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Le Militarisme, cause de dégénérescence physique

Les Spartiates nous fournissent un remarquable exemple de sélection artificielle appliquée à l'homme et sur une grande échelle; chez eux, en vertu d'une loi spéciale, les enfants subissaient aussitôt après leur naissance, un examen rigoureux, un triage. Tous les enfants faibles, maladifs, entachés de quelque vice corporel, étaient mis à mort. Seuls, les enfants parfaitement sains et robustes avaient le droit de vivre et seuls, plus tard, ils se reproduisaient. Par ce moyen, non seulement la race spartiate se maintenait dans un état exceptionnel de force et de vigueur, mais encore, à chaque génération, elle gagnait en perfection corporelle. Sûrement, c'est à cette sélection artificielle que le peuple de Sparte dut ce haut degré de force virile et de rude vertu héroïques par lequel il s'est signalé dans l'histoire de l'antiquité.

Beaucoup de ces tribus d'Indiens Peaux-Rouges de l'Amérique du Nord, qui actuellement sont refoulées dans la lutte pour l'existence par la prépondérance de la race blanche, en dépit de la plus héroïque résistance, doivent aussi leur grande force corporelle et leur vaillance guerrrière à un triage minutieux des nouveaux-nés. Là ausssi tous les enfants débiles ou atteints d'un vice corporel quelconque sont mis à mort; seuls, les individus parfaitement robustes sont épargnés et perpétuent la race. Que par l'effet de cette sélection artificielle, continuée durant de nombreuses générations, la race soit considérablement fortifiée, c'est ce qu'on ne peut mettre en doute et ce qui est suffisamment démontré par quantité de faits bien connus.

C'est tout à fait à rebours de la sélection artificielle des Indiens et des anciens Spartiates que se fait dans nos modernes Etats militaires le choix des individus pour le recrutement des armées permanentes. Nous considérerons ce triage comme une force. spéciale de la sélection et nous lui donnerons le nom très juste

de << sélection militaire ». Malheureusement, à notre époque plus que jamais, le militarisme joue le premier rôle dans ce qu'on appelle la civilisation; le plus clair de la force et de la richesse des États civilisés les plus prospères est gaspillé pour porter ce militarisme à son plus haut degré de perfection. Au contraire, l'éducation de la jeunesse, l'instruction publique, c'est-à-dire les bases les plus solides de la vraie prospérité des États et l'ennoblissement de l'homme, sont négligées et sacrifiées de la manière la plus lamentable. Et cela se passe ainsi chez des peuples qui se prétendent les représentants les plus distingués de la plus haute culture intellectuelle, qui se croient à la tête de la civilisation! On sait que, pour grossir le plus possible les armées permanentes, on choisit par une rigoureuse conscription tous les jeunes hommes sains et robustes. Plus un jeune homme est vigoureux, bien portant, normalement constitué, plus il a de chances d'être tué par les fusils à aiguille, les canons rayés et autres engins civilisateurs de la même espèce. Au contraire, tous les jeunes gens malades, débiles, affectés de vices corporels, sont dédaignés par la sélection militaire; ils restent chez eux en temps de guerre, se marient et se reproduisent. Plus un jeune homme est infirme, faible, étiolé, plus il a de chances d'échapper au recrutement et de fonder une famille. Tandis que la fleur de la jeunesse perd son sang et sa vie sur les champs de bataille, le rebut dédaigné, bénéficiant de son incapacité, peut se reproduire et transmettre à ses descendants toutes ses faiblesses et toutes ses infirmités. Mais, en vertu des lois qui régissent l'hérédité, il résulte nécessairement de cette manière de procéder que les débilités corporelles et les débilités intellectuelles qui en sont inséparables doivent non seulement se multiplier, mais encore s'aggraver. Par ce genre de sélection artificielle et par d'autres encore s'explique suffisamment le fait navrant, mais réel, que, dans nos États civilisés, la faiblesse de corps et de caractère sont en voie d'accroissement et que l'alliance d'un esprit libre, indépendant, à un corps sain et robuste devienne de plus en plus rare.

Aux progrès de la débilité chez les peuples civilisés modernes, inévitable conséquence de la sélection militaire, vient s'ajouter un autre mal c'est que la médecine contemporaine, quelque

perfectionnée qu'elle soit, est encore bien souvent impuissante à guérir radicalement les maladies, mais elle est bien plus en état qu'autrefois de faire durer les affections lentes, chroniques, pendant de longues années. Or, précisément, des maladies de ce genre, fort meurtrières, comme la phtisie, la scrofule, la syphilis, et aussi nombre d'affections mentales sont tout spécialement héréditaires et passent de parents maladifs à une partie, quelquefois à la totalité de leurs enfants. Or, plus les parents maladifs réussissent, grâce à l'art médical, à prolonger longtemps leur misérable existence, plus leurs rejetons ont chance d'hériter de leur incurable maladie. Le nombre des individus de la génération suivante qui seront atteints, grâce à cette sélection médicale, du vice héréditaire paternel s'accroît ainsi continuellement.

Si quelqu'un proposait de mettre à mort dès leur naissance, à l'exemple des Spartiates et des Indiens Peaux-Rouges, les pauvres et chétifs enfants, auxquels on peut à coup sûr prophétiser une vie misérable, plutôt que de les laisser vivre à leur grand dommage et à celui de la collectivité, notre civilisation soi-disant humanitaire pousserait avec raison un cri d'indignation. Mais cette << civilisation humanitaire » trouve tout simple et admet sans murmurer, à chaque explosion guerrière, que des centaines et des milliers de jeunes hommes vigoureux, les meilleurs de la génération, soient sacrifiés au jeu de hasard des batailles, et pourquoi, je le demande, cette fleur de la population est-elle sacrifiée? Pour des intérêts qui n'ont rien de commun avec ceux de la civilisation, des intérêts dynastiques tout à fait étrangers à ceux des peuples qu'on pousse à s'entre-égorger sans pitié. Or, avec le progrès constant de la civilisation dans le perfectionnement des armées permanentes, les guerres deviendront naturellement de plus en plus fréquentes. Nous entendons aujourd'hui cette << civilisation humanitaire » vanter l'abolition de la peine de mort comme une « mesure libérale » !

(Histoire de la Création, par Ernest Hæckel. 1 vol. 12 fr. 50, chez Schleicher frères, 15, rue des Saints-Pères.

Si on compare la mortalité des militaires aux civils du même âge, on trouve que la vie militaire a une influence sur la diminution de la vie. C'est ainsi qué, toutes proportions gardées, et en égalisant autant que possible les conditions de ces deux groupes, la mortalité de l'armée est de 18 0 00, alors que celle des célibataires de vingt à vingt-cinq ans n'est que de 13 environ. L'armée, qui est composée d'hommes choisis, donnant plus de décès que les civils du même âge qui ont été exclus de l'armée comme incapable de supporter les fatigues du service militaire, l'armée se trouve dans des conditions hygiéniques très inférieures. Dr CHERVIN.

(Dictionnaire des sciences anthropologiques.)

M. Charles E. Woodruff, médecin militaire, a fait une grande découverte, et il la communique au très officiel Army and Navy Register, qui la publie avec un courage professionnel dont les exemples sont bien rares en Europe. Cette découverte consiste en ceci, que les écoles spéciales militaires en général, et celle du West-Point en particulier, ne fournissent qu'un seul résultat, à savoir, l'amoindrissement physique, et l'annihilation mentale de leurs élèves. Une longue expérience personnelle, et des informations prises aux sources mêmes, permettent à M. Woodruff d'affirmer qu'un jeune homme, quand il sort de West-Point, fût-ce dans les premiers rangs, en sait infiniment moins long sur toutes matières, que lorsqu'il y est entré, füt-ce avec les notes les moins bonnes. Il y a, en outre, chez ce jeune homme, un commencement d'atrophie des facultés de compréhension, de mémoire et d'élocution. D'autre part, ce malheureux. quand même il aurait été jadis champion de tous les sports à l'Université, a perdu presque tout de son endurance et de sa souplesse, de sa robustesse et de son adresse.

La Revue Bleue.

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