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Une armée, dans les temps anciens, avait presque toujours pour origine une bande de pillards, ou, ce qui revient au même, de gens ne voulant pas travailler et résolus de vivre du travail des autres. Naturellement, ces brigands, une fois leur autorité reconnue, devenaient les protecteurs nés de ceux qui travaillaient pour eux. C'est ainsi que l'ordre a été créé dans le monde par le brigand devenu gendarme.

ERNEST RENAN.

La caserne est une invention hideuse des temps modernes. Elle ne remonte qu'au dix-septième siècle. Avant, on n'avait que le bon corps de garde où les soudards jouaient aux cartes et faisaient des contes de Merlusine. Louis XIV est un précurseur de la Convention et de Bonaparte. Mais le mal a atteint sa plénitude depuis l'institution du service pour tous. Avoir fait une obligation aux hommes de tuer, c'est la honte des empereurs et des républiques, le crime des crimes. Aux âges qu'on dit barbares, les villes et les princes confiaient leur défense à des mercenaires qui faisaient la guerre en gens avisés et prudents; il n'y avait parfois que cinq ou six morts dans une grande bataille. Et quand les chevaliers allaient en guerre, du moins n'y étaient-ils pas forcés; ils se faisaient tuer pour leur plaisir. Sans doute n'étaient-ils bons qu'à cela. Personne, au temps de saint Louis, n'aurait eu l'idée d'envoyer à la bataille un homme de savoir et d'entendement. Et l'on n'arrachait pas non plus le laboureur à la glèbe pour le mener à l'ost. Maintenant, on fait un devoir à un pauvre paysan d'être soldat. On l'exile de la maison dont le toit fume dans le silence doré du soir, des grasses prairies où paissent les bœufs, des champs, des bois paternels; on lui enseigne, dans la cour d'une vilaine caserne, à tuer régulièrement des hommes; on le menace, on l'injurie, on le met en prison; on lui dit que c'est un honneur, et, s'il ne veut point s'honorer de cette manière, on le fusille. Il obéit parce qu'il est

sujet à la peur et, de tous les animaux domestiques, le plus doux, le plus riant et le plus docile. Nous sommes militaires en France, et nous sommes citoyens, autre motif d'orgueil que d'être citoyen! Cela consiste pour les pauvres à soutenir et à conserver les riches dans leur puissances et leur oisiveté. Ils y doivent travailler devant la majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. C'est un des bienfaits de la Révolution. Comme cette révolution a été faite par des fous et des imbéciles au profit des acquéreurs de biens nationaux et qu'elle n'aboutit en somme qu'à l'enrichissement des paysans madrés et des bourgeois usuriers, elle éleva, sous le nom d'égalité, l'empire de la richesse. Elle a livré la France aux hommes. d'argent, qui, depuis cent ans, la dévorent. Ils y sont maîtres et seigneurs. Le gouvernement apparent composé de pauvres diables piteux, miteux, marmiteux et calamiteux, est aux gages des fins renards. Depuis cent ans, dans ce pays empanaché, quiconque aime les pauvres est tenu comme traître à la société. Et l'on est un homme dangereux quand on dit qu'il est des misérables. On a fait même des lois contre l'indignation et la pitié. Et ce que je dis ici ne pourrait pas s'imprimer.

ANATOLE FRANCE.

(Le Lys rouge, pages 116 à 118; 1 vol., 3 fr. 50, chez Calmann Lévy.)

LES SOLDATS

Autrefois, nous avions des casques et des arcs,
De noirs chevaux el des trompettes éclatantes.
Nos rêves s'éployaient dans les toiles des tentes

Et nous trainions l'or des vaincus dans de grands chars.

Nous portions le soleil dans nos cœurs héroïques
Et la gloire vibrail sur le luth de nos rois.
Les peuples s'enfuyaient lorsque le vent, le soir,
Agitait sur les monts nos bannières tragiques.

L'âme sainte des feux qui reillaient dans les camps
Enseignait aux vainqueurs l'amitié de la terre.
Ils plantèrent un jour les grands glaives brillants
Et connurent la joie des rêves sédentaires.

Oh! Rudes jours vécus dans des années de fer,
Sang qui coulait avec les ruisseaux des montagnes,
Souvenirs de héros mourant les bras ouverts
Et de flambeaux levés sur des champs de bataille!

Guerre de nations, d'esclaves et de cultes!
Quand nos âmes luisaient vers les étoiles d'or,
Les cantiques sacrés étaient des chants de lutte
Et Dieu dans les clochers faisait sonner la mort.

Les cuirasses étaient fleuries de croix dorées;
Des prêtres, après les combats, augustement,
Promenaient dans le soir au-dessus des armées
Les rouges crucifix de soleil et de sang...

Gout de mort! Durs instincts! Amertume des siècles!
En d'infinis troupeaux où luisaient les aciers,
Nous marchions derrière les rois, graves bergers,
Et les drapeaux claquaient au haut des cit.delles.

Temps épique dont la rumeur résonne encore!
Les panaches étaient couleur de liberté,
Les cavaliers qui galopaient dans les aurores
Semblaient tendre leurs mains vers des fleurs de clarté.

Nous avons combattu sous la lueur des astres,
Poussés sur des remparts et des ponts qui tremblaient,
Chanté des chants de joie quand les cités brûlaient
El gémi de douleur aux heures de désastres.

Et nous avons dressé coneme une oeuvre immortelle,
Un jour, aux dieux de la patrie et du hasard,
Sous des cieux inconnus où flottaient de grands aigles,
Des trophées de fusils, de morts et d'étendards.

Vaine pierre jelée dans le temps éternel!
Et maintenant les jours sont comptés, ô Victoire!
Tu ne l'étendras plus dans la couche des chefs
Pour enivrer leurs nuits avec la chair de gloire;

Tu ne lèveras plus vers le soir les prunelles
Où venaient e mirer l'éclat des fers levés
Et tu ne riras plus de tes lèvres cruelles
Quand ton char triomphant sonnait sur les pavés.

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Dans nos cœurs, le dégoût des idoles aimées
Est passé comme un flot plus vaste que la mer;
Nous maudissons le Dieu qui lève les armée;
Et qu'honore le flottement des drapeaux clairs.

Nous ferons des bùchers sur les places publiques
Pour l'or et les statues, les épées et les croix,
Les lauriers tomberont du front des républiques
Et le vent soufflera dans la barbe des rois...

Nous pleurons le péché d'avoir porté des armes,
Nous, les vainqueurs enfin vaincus par le remords,
Pour avoir trop compris la souffrance des larmes
Et quelle angoisse était sur la face des morts...

Donnez-nous les rameaux de paix, les fleurs d'amour.
Voici le glaive impur à la lame sanglante.
Quelle vigne sacrée, quelles roses puissantes
Pourront lui dérober la lumière du jour ?

Quelle eau pure saura laver nos mains coupables?
Pour que le poids de tant de fautes et de sang
N'augmente le fardeau des hommes misérables,
Pour que la pureté vienne au cœur des enfants.

Il faudra que nos fils, par les printemps vermeils,
Retournant les sillons de la glèbe vivante,
Dans les siècles futurs, sous de nouveaux soleils,
Fassent monter la vie de la Terre clémente.

Maurice MAGRE.

(La Chanson des hommes, pages 134 et suiv.; 1 vol., chez E. Fasquelle, éditeur. éditeur, 11, rue de Grenelle.)

RÉFUTATION DU MILITARISME

Nous avons dit ailleurs que la conscription ou le recrutement, ce vasselage moderne était incompatible avec la liberté. Dans un gouvernement libre, si quelque chose doit surtout l'être, c'est le choix d'un état; car il n'est pas plus licite de forcer un homme à être soldat qu'il ne l'était naguère de l'obliger à être moine. Aussi avons-nous ajouté que le recrutement militaire était le plus lourd, le plus inique, le plus désastreux de tous les impôts, et que l'Europe lui devait:

1o L'étiolement de la famille pauvre;

2o L'accroîssement de sa misère;

3° L'affaiblissement de son intelligence;

4o Sa démoralisation, son besoin d'émeute et de révolutions; 5o La désorganisation sociale et le retour vers la barbarie. L'étiolement de la famille. Parce qu'on ne garde pour la perpétuer que les sujets infirmes, malsains ou mal bâtis.

L'accroissement de la misère. - Le soldat improductif comme nous le faisons, est une plante parasite qui épuise le sol sans donner de fruits, c'est une charge pour tous y compris luimême. Il faut bien que le travailleur, ce travailleur qui est son père où son frère, travaille pour deux, si lui, soldat, lui le plus valide de la famille, ne travaille pas. Il faut même que ce père, que ce frère travaille pour trois, si après l'avoir nourri, il doit encore l'habiller, l'armer et l'équiper; car, qui fait vivre le soldat, qui l'entretient? Le travailleur. Chaque fois qu'on lève un soldat, ce sont donc trois hommes à qui on prend le tiers de leur substance, ou qu'on force à travailler un tiers de plus qu'ils ne le devraient pour vivre eux-mêmes.

Cette charge ne cesse pas de peser sur le travailleur, même quand le conscrit a fait son temps. Parti avant d'être bon ouvrier, il n'est plus ouvrier du tout quand il revient. C'est donc un nouvel apprentissage qu'il lui faut faire. Mais l'instant est passé,

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