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ministre et deux chefs ont été tués pendant le combat; » il ne fallait pas que l'affaire, où nous-mêmes n'avions pas perdu un seul homme, parût excéder l'importance d'un engagement quelconque avec des rebelles. La Gazette ajoutait : «< 500 prisonniers sont tombés entre nos mains »; la vérité est que pas un indigène n'en est sorti vivant.

P. VIGNÉ D'OCTON.

(La Gloire du sabre, pages 207 à 214; Société d'éditions littéraires, Paris.)

Dans les colonies nouvellement conquises, le régime du sabre est le seul qui puisse convenir... Qui veut la fin veut les moyens, et nous avouons préférer voir fusiller les Malgaches par douzaine, si cela est nécessaire, que de savoir nos soldats en proie à tous les maux engendrés par une insurrection persistante. (UN COLONIAL, L'Armée à Madagascar, dans la France militaire, 14 janvier 1897.)

C'est une tradition chez les races militaires que de mépriser les travaux de la vie agricole et industrielle.

ESQUIROS.

Le général wurtembergeois qui, après Reichsoffen, avait établi son quartier général à Jeandhaus, disait à Rattier, quand il quitta le château: « Oh! priez Dieu pour vous que nous rencontrions l'ennemi loin d'ici, parce que le soldat qui s'est battu devient une bête féroce pendant trois jours... »

(Journal des Goncourt.)

Je le crois d'autant plus fermement que l'éducation des masses, dans le sens de leurs intérêts, éducation que je réclame comme le plus ferme appui de l'hygiène leur apprendra aussi que la guerre est une plaie sociale dont on peut se guérir. E. DUCLAUX.

(L'Hygiène sociale, page 36.)

Atrocités de la Guerre

Deux compagnies, zouaves et turcos, sous les ordres d'un chef de bataillon, avaient été désignées pour ce périlleux assaut. Un peloton de spahis les accompagnait. Les zouaves, s'appuyant sur le degré d'ancienneté de leur capitaine, réclamaient impérieusement l'honneur de passer les premiers.

Ces casse-cou, qui sont des héros, se ruèrent à la mort avec une intrépidité sauvage.

Des échelles, façonnées à la hâte, furent appliquées au rocher, et pendant que leurs sapeurs y creusaient des entailles pour faciliter à d'autres l'escalade, ils montaient à l'assaut.

Les premiers tombèrent. Retranchés derrière leurs pierres, les Kabyles les tuaient à coup sûr. C'était prévu, mais cela mit au ventre cette rage qui enfante des merveilles.

Deux sapeurs, à l'aide d'un levier, essavent de faire crouler la muraille. Tués presque aussitôt, d'autres les remplacent qui vont, à leur tour, grossir le tas déjà gros de cadavres.

L'exaspération des assaillants est à son paroxysme : ils s'aident des mains, des pieds, des ongles: enfin une pierre se détache, puis une autre.

La brèche est faite, un jeune sous-lieutenant s'y engouffre, le revolver au poing. On ne le revit plus vivant, mais la compagnie entière passa.

Ce fut une orgie de sang. Les zouaves s'y vautrèrent.
L'ombre épaisse augmentait l'horreur du massacre.

L'incertitude enveloppait les coups; on se tâtait dans les ténèbres, on se saisissait à la gorge, à la tête, aux membres, et alors on se ruait. Un clairon eut trois doigts coupés par les dents d'un Kabyle. Un caporal sortit avec un œil pendant sur sa joue déchirée. Les dents et les ongles jouaient comme les yatagans et les baïonnettes.

Quelques coups de feu retentissaient dans ce gouffre, au milieu des hurlements qui ne ressemblaient à rien de ce qu'entendent d'habitude les hommes et, de temps à autre, une clameur plus aiguë et plus sinistre, des éclats stridents de voix de femmes qui, soudain, s'arrêtent dans le gosier.

Nous étions pàles, en bas, écoutant, le sabre au fourreau, spectateurs inutiles et envieux. La fureur est contagieuse et le sang a des vapeurs qui grisent. Celui qui regarde tuer ne peut rester impassible. Dans les batailles rangées, les troupes de réserve demandent la lutte à grands cris; elles brûlent de se ruer au feu et de tuer à leur tour.

Les tirailleurs s'étaient élancés à l'escalade. Ils durent redescendre. On étouffait là-haut et il n'y avait plus de place. Plus rien à faire. Les grands bruits se taisaient. On n'entendait plus la respiration haletante du combat, cris et coups de feu avaient cessé. Ce n'était qu'un long murmure étouffé: le bruit des voix qui s'appellent et se reconnaissent.

- De la lumière! De la lumière!

Ce fut le dernier mot qu'on jeta au dehors.

On monta des torches de résine et, à la flamme grésillante, ceux qui restaient purent se voir.

Beaucoup des nôtres, hélas! gisaient par terre; mais les Kabyles, tous. Accablés par le nombre, ils avaient lutté jusqu'au bout, jeunes et vieux, et étaient tombés frappés en face.

Quelques-uns râlaient. Un coup de baïonnette les fit taire. A quoi bon garder des blessés? Pourquoi remplir nos ambulances d'éclopés ennemis? N'avions-nous pas assez des nôtres? Ils étaient si endommagés, du reste, qu'ils seraient morts quelques heures après ou quelques années plus tard, de misère et de faim.

On les acheva par humanité.

Alors on aperçut, dans le fond de la grotte, un tableau sinistre.

Les femmes s'acculaient là, entassées, pressées, sanglantes, déguenillées, folles. Quelques-unes, accroupies sur un cadavre, cachaient leur tête dans leurs mains; mais le plus grand nombre debout, farouches, menaçantes.

Le commandant, vieux routier, qui avait appris l'humanité dans ses longues guerres, car il n'y a que les conscrits et les lâches qui tuent sans raison ni pitié, le commandant avait

dit :

Epargnez les femmes.

Recommandation inutile. Dans la chaleur de l'action, on ne peut y regarder de si près. On frappe à droite et à gauche, sans trop savoir où l'on frappe; hommes ou femmes, tout y passe; on les reconnaîtra bien ensuite. Il faisait noir d'ailleurs, et quand on eut des lumières, on s'aperçut que sabres et baïonnettes s'étaient égarés et avaient fouillé quelques seins de jeune fille et plus d'un ventre de jeune mère.

L'une d'elles, avec deux enfants derrière ses épaules, et le pistolet au poing, jetait des regards de louve enragée. Dans sa main gauche était un flissa sanglant qu'elle pressait contre sa poitrine, et sous l'une de ses mamelles nues s'ouvrait une large entaille. Elle avait joué du couteau dans la mêlée et portait la marque des braves, et maintenant, acculée comme une louve au fond de sa tanière, blessée et haletante, elle défendait ses petits. Méfiez-vous des femmes, cria un vieux sergent, qui agitait sa torche à quelques pas d'elle, en voilà une qui se prépare à nous brûler la moustache; jette tes armes, gourgandine, ou je t'ouvre la panse!

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Elle ne comprit pas les paroles, mais elle vit le geste et, par un rapide mouvement, leva son pistolet et pressa la détente. Le sang avait mouillé l'amorce et le coup ne partit pas.

On l'aurait tuée sans le commandant qui cria :

Assez de massacre, qu'on les désarme!

Elles se laissèrent désarmer et fouiller sans résistance. Alors, dans ces coins obscurs, au milieu de ces cadavres et de ce sang, il s'accomplit des œuvres sans nom.

Les actes hideux après les actions épiques.

On étouffait. La poudre, la fumée, l'odeur âcre de la résine, celle de la sueur humaine se mêlaient aux chaudes vapeurs du sang et prenaient les plus robustes à la gorge.

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Il y eut une sorte de panique, et tous se ruèrent vers l'entrée. On se poussa, on se battit, on foula les blessés, et quelques-uns, qui tombèrent, ne se relevèrent plus. Enfin, la moitié des hommes descendit, puis ce fut le tour des blessés, puis des femmes.

Comme elles résistaient, ne sachant ce qu'on voulait d'elles,

on les poussa à coups de crosse, et trébuchant, se heurtant, roulant sur les morts, elles arrivèrent à l'ouverture.

Sanglantes, déchirées, demi-nues avec leurs lambeaux de gandoura descendant à peine aux genoux, elles montraient tout aux hommes qui, en bas, tête levée, jouissaient du spectacle.

Quelques-unes, les plus jeunes, voyant au-dessous d'elles cette foule et ces regards, ramenaient contre leurs cuisses serrées leur reste de jupe, suppliaient et pleuraient, refusant de descendre. Alors des huées et des rires.

Mais celles qui trouvaient encore dans leur désespoir une place pour la pudeur étaient le petit nombre, les unes toutes jeunes filles dont l'infortune n'atteignait pas celle des épouses et des mères.

Celles-ci, abîmées dans leur désastre, s'étalaient, sans y songer, aux cyniques regards. Qu'était le sentiment de la pudeur après de telles calamités? En quelques heures, elles avaient tout perdu, tout ce qui compte dans la vie, père et fils, frères et époux, patrie, famille, foyer. Que pouvaient, après cela, les regards de soldats ivres de sang qui se repaissaient de leur chair?

Le tour des morts vint ensuite.

On commença par les nôtres. On les descendit, et vingt-deux fois un lugubre fardeau glissa le long des échelles. Mais comme le temps pressait, on précipita les autres.

Ils tombaient dans le bassin devenu rouge, éclaboussant avec fracas l'eau ensanglantée. Bientôt le tas grossit et dépassa le niveau de la fontaine; alors, à chaque chute, on entendait un bruit sourd comme celui d'un bœuf qu'on abat; à quelques-uns les bras s'ouvraient comme s'ils étaient vivants encore, puis le corps rigide rejaillissait et tressautait sur le tas funèbre.

Les femmes voyaient cela; elles s'enfonçaient leurs ongles dans leurs joues creuses, lançaient des sanglots rauques.

Il fallut les emmener avant qu'on achevât la besogne et nous les chassâmes devant nous.

Hector FRANCE.

L'Homme qui tue, 1" partie, ch. XLV; Edinger, éditeur, 34, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.)

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