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» la nation; une reine perverse y fanatise un roi im» bécile, elle y élève les louveteaux de la tyrannie. » Des prêtres insermentés y bénissent les armes de >> l'insurrection contre le peuple. Ils y préparent la » Saint-Barthélemy des patriotes. Le génie de l'Au» triche s'y cache dans des comités présidés par An» toinette; on y fait signe aux étrangers, on leur fait >> passer par des convois secrets l'or et les armes de » la France, pour que les tyrans, qui rassemblent >> leurs armées sur vos frontières, vous trouvent af>> famés et désarmés. Les émigrés, d'Artois, Condé, » y reçoivent le mot d'ordre des vengeances pro» chaines du despotisme. Une garde étrangère de >> stipendiés suisses ne suffit pas aux projets liberti>>cides de Capet. Chaque nuit, les bons citoyens, » qui rodent autour de ce repaire, y voient entrer >> furtivement d'anciens nobles qui cachent des armes » sous leurs habits. Ces chevaliers du poignard, que » sont-ils sinon les assassins enrôlés du peuple? Que » fait donc La Fayette? est-il dupe ou complice? com>> ment laisse-t-il libres les avenues de ce palais qui » ne s'ouvriront que pour la vengeance ou pour la >> fuite? Qu'attendons-nous pour achever la Révolu>>tion dont nous laissons l'ennemi couronné attendre, >> au milieu de nous, l'heure de la surprendre et de >> l'anéantir? Ne voyez-vous pas que le numéraire » disparaît, qu'on discrédite les assignats? Que si>> gnifient sur vos frontières ces rassemblements d'é

>>migrés et ces armées qui s'avancent pour vous » étouffer dans un cercle de fer? Que font donc vos >> ministres? Comment les biens des émigrés ne sont>> ils pas confisqués? leurs maisons brûlées? leurs » têtes mises à prix ? Dans quelles mains sont les ar>> mes? Dans les mains des traîtres! Qui commande >> vos troupes? Des traîtres! Qui tient les clefs de vos » places fortes? Des traîtres, des traîtres, partout des >> traîtres! et, dans, ce palais de la trahison, le roi » des traîtres! le traître inviolable et couronné, le roi! » Il affecte l'amour de la constitution, vous dit-on? » piége! Il vient à l'Assemblée? piége! c'est pour >> mieux voiler sa fuite! Veillez! veillez! Un grand » coup se prépare, il va éclater; si vous ne le pré» venez pas par un coup plus soudain et plus terri» ble, c'en est fait du peuple et de la liberté ! »

II.

Ces déclamations n'étaient pas toutes sans fondement. Le roi, honnête et bon, ne conspirait pas contre son peuple; la reine ne songeait pas à vendre à la maison d'Autriche la couronne de son mari et de son fils. Si la constitution qui s'achevait eût pu donner l'ordre au pays et la sécurité au trône, aucun sacrifice de pouvoir n'eût coûté à Louis XVI. Jamais prince ne trouva mieux, dans son caractère, les conditions de sa modération; la résignation passive,

qui est le rôle des souverains constitutionnels, était sa vertu. Il n'aspirait ni à reconquérir ni à se venger. Tout ce qu'il désirait, c'était que sa sincérité fût appréciée enfin par son peuple, que l'ordre se rétablît au dedans, que la paix se maintînt au dehors, et que l'Assemblée, revenant sur les empiétements qu'elle avait accomplis contre le pouvoir exécutif, revisât la constitution, en reconnût les vices, et restituât à la royauté le pouvoir indispensable pour faire le bien du royaume.

La reine elle-même, bien que d'une ame plus forte et plus absolue, était vaincue par la nécessité, et s'associait aux intentions du roi; mais le roi, qui n'avait pas deux volontés, avait cependant deux ministères et deux politiques : une en France avec ses ministres constitutionnels, une au dehors avec ses frères et avec ses agents auprès des puissances. Le baron de Breteuil et M. de Calonne, rivaux d'intrigue, parlaient et traitaient en son nom. Le roi les désavouait, quelquefois sincèrement, quelquefois sans sincérité, dans ses lettres officielles aux ambassadeurs : ce n'était pas hypocrisie, c'était faiblesse; un roi captif peut paraître excusable de parler tout haut à ses geoliers et tout bas à ses amis. Ces deux langages, ne concordant pas toujours, donnaient à Louis XVI Tapparence de la déloyauté et de la trahison. Il ne trahissait pas, il hésitait.

Ses frères, et principalement le comte d'Artois,

faisaient du dehors violence à ses volontés et interprétaient arbitrairement son silence. Ce jeune prince allait, de cour en cour, solliciter au nom de son frère la coalition des puissances monarchiques, contre une doctrine qui menaçait déjà tous les trônes. Accueilli à Florence par l'empereur d'Autriche, Léopold, frère de la reine, il en avait obtenu quelques jours après, à Mantoue, la promesse d'un contingent de trentecinq mille hommes. Le roi de Prusse, l'Espagne, le roi de Sardaigne, Naples et la Suisse garantissaient des forces proportionnées. Louis XVI tantôt saisissait cette espérance d'une intervention européenne comme un moyen d'intimider l'Assemblée et de la ramener à une conciliation avec lui, tantôt il la repoussait comme un crime. L'état de son esprit, à cet égard, dépendait de l'état du royaume; son âme suivait le flux et le reflux des événements intérieurs. Un bon décret, une réconciliation cordiale avec l'Assemblée, un applaudissement du peuple venaient-ils consoler sa tristesse, il se reprenait à l'espérance et écrivait à ses agents de dissoudre les rassemblements hostiles de Coblentz. Une émeute nouvelle assiégeait-elle le palais, l'Assemblée avilissait-elle la dignité royale par quelque abaissement ou par quelque outrage, il recommençait à désespérer de la constitution et à se prémunir contre elle. L'incohérence de ses pensées était plutôt le crime de sa situation que le sien; mais elle compromettait à la fois sa cause

dedans et dehors. Toute pensée qui n'est pas une se détruit elle-même. La pensée du roi, quoique droite au fond, était trop vacillante pour ne pas varier avec les événements; or, les événements n'avaient qu'une direction: la destruction de la monarchie.

III.

Cependant, au milieu de ces tergiversations de la volonté royale, il est impossible à l'histoire de méconnaître que, dès le mois de novembre 1790, le roi méditait vaguement le plan d'une évasion de Paris combiné avec l'empereur. Louis XVI avait obtenu de ce prince la promesse de faire marcher un corps de troupes sur la frontière de France, au moment qu'il lui indiquerait; mais le roi avait-il l'intention de sortir du royaume et d'y rentrer à la tête de forces étrangères, ou simplement de rassembler autour de sa personne une partie de sa propre armée dans une place frontière et de traiter de là avec l'Assemblée? La dernière hypothèse est la plus vraisemblable.

Louis XVI avait beaucoup lu l'histoire, et surtout l'histoire d'Angleterre. Comme tous les malheureux, il cherchait dans les infortunes des princes détrônés des analogies avec sa propre infortune. Il avait été frappé de ces deux circonstances: que Jacques II avait perdu sa couronne pour avoir quitté son royaume, et que Charles Ier avait été décapité pour avoir fait

TOME I.

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