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Ils conviennent de prix, et se mettent en quête;
Trouvent l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre.
Le marché ne tint pas; il fallut le résoudre :
D'intérêts contre l'ours, on n'en dit pas un mot.
L'un des deux compagnons grimpe au faîte d'un arbre;
L'autre, plus froid que n'est un marbre,

Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,
Ayant quelque part ouï dire

Que l'ours s'acharne peu souvent

Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire.
Seigneur ours, comme un sot, donna dans ce panneau :
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie;

Et, de peur de supercherie,

Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l'haleine.

C'est, dit-il, un cadavre; ôtons-nous, car il sent (1).
A ces mots, l'ours s'en va dans la forêt prochaine.
L'un de nos deux marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille
Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Eh bien, ajouta-t-il, la peau de l'animal?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille?
Car il t'approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre. -
Il m'a dit qu'il ne faut jamais

Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre (2).

(1) L'effet de la prévention est ici très-bien critiqué. C'est ainsi que, dans Molière, M. de Sottenville repousse son gendre à jeun, en lui disant: Retirezvous, vous puez le vin.

(2) « Quand ils furent joincts, celuy qui estoit dessus l'arbre demanda à son compagnon par serment ce que l'ours luy avoit dit en conseil, que si longtemps lui avoit tenu le museau contre l'oreille à quoy son compagnon lui respondit: Il me disoit que jamais je ne marchandasse de la peau de l'ours jusqu'à ce que la beste fust morte. »

(COMINES.)

1

!

XXI. - L'Ane vêtu de la peau du Lion (1).

De la peau du lion l'âne s'étant vêtu,
Était craint partout à la ronde;
Et, bien qu'animal sans vertu (2),
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur:

Martin (3) fit alors son office.

Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice

S'étonnaient de voir que Martin
Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France (4)
Par qui cet apologue est rendu familier (3).
Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

1

(1) Esop., 141, Asinus pellem Leonis gestans; 262, Asinus et leonina pellis.

(2) Sans courage, du mot virtus.

(3) Martin-bâton, dont il a déjà été fait mention dans la fable v du livre IV. (4) La Fontaine insiste sur ce défaut, qu'on appellerait aujourd'hui un do faut national, et dont nous ne sommes nullement corrigés. Notre poëte dit encore, liv. VIII, fab. xv:

Se croire un personnage est fort commun en France.

C'est proprement le mal français,

La sotte vanité nous est particulière.
C'est-à-dire: reçoit une fréquente application.

:

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Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui:

Le conte fait passer le précepte avec lui (*).
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire (3);
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison qu'égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue;
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu'aucuns l'en ont blamé (*);
Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.

(1) Esop., 41, 131, Bubulcus.

(2) Florian a repris en sous-œuvre, dans la première de ses fables. l'idée exprimée dans ces vers par La Fontaine. La fable dit à la vérité:

Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble;
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée;
A cause de moi, chez les fous,
Vous ne serez point maltraitée.
Servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,

Vous verrez, ma sœur, que partout

Nous passerons de compagnie.

(8) Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.

(HORACE.)

(4) C'est ce que Phèdre nous apprend lui-même dans ces vers, livre III (able x, v. 60:

Hæc exsecutus sum propterea pluribus,

Brevitate quoniam nimia zuosdam offendimus.

Mais sur tous certain Grec (1) renchérit, et se pique
D'une élégance laconique :

Il renferme toujours son conte en quatre vers :
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet quant à l'événement,

Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme, à peu près, Ésope le raconte :
Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,

Si tu fais, disait-il, ô monarque des dieux,

Quele drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,

Parmi vingt veaux je veux choisir
Le plus gras, et t'en faire offrande!
A ces mots, sort de l'antre un lion grand et fort;
Le pâtre se tapit, et dit, à demi mort:

Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande!
Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
O monarque des dieux! je t'ai promis un veau:
Je te promets un bœuf si tu fais qu'il s'écarte!

C'est ainsi que l'a dit le principal auteur:
Passons à son imitateur.

(1) Gabrias (Note de La Fontaine). - Gabrias, Babrias, Babrius: ces trois noms sont ceux d'un seul et même personnage.

Les fables de Babrius jouissaient, dans l'antiquité, d'une grande réputation. Julius Titianus, qui vivait sous Caracalla, en avait fait une traduction en prose latine. Au moyen âge, un moine nommé Ignatius Magister, les arrangea en quatrains, probable

ment d'après la traduction de Titianus. La Fontaine, à son tour, s'inspira des quatrains d'Ignatius, en regrettant de ne pouvoir recourir au texte du fabuliste grec; car au xvu siècle on ne connaissait qu'une seule fable de cet auteur. Postérieurement à La Fontaine on en retrouva encore une ou deux, et cette découverte ne fit que rendre la perte des autres plus sensible. Le célèbre philosophe Herder, admirateur enthousiaste de la poésie grecque, a dit à ce propos : « Celui qui aurait le bonheur de retrouver le véritable Babrius ferait à la littérature un précieux cadeau. Les deux ou trois fables complètes que nous possédons de cet auteur respirent, sous le rhythmele plus harmonieux, une simplicité si charmante, que Phèdre, avec son élégance recherchée, peut à peine lui être comparé. » Ce qu'Herder souhaitait s'est réalisé. Le véritable Babrius a été retrouvé, vers 1842, dans le couvent de Sainte-Laure, au mont Athos, par M. Minoïde Minas, chargé d'une mission par le ministre de l'instruction publique. La réputation de Babrius a été pleinement justifiée par cette découverte. Voir : BAbrii Fabulæ I ambicæ CXXIII, nunc primum editæ. Jo. Fr. Boissonade recensuit, latine convertit, annotavit. Paris, Didot, 1844, in-8°.

II. Le Lion et le Chasseur (').

Un fanfaron, amateur de la chasse,
Venant de perdre un chien de bonne race
Qu'il soupçonnait dans le corps d'un lion,
Vit un berger. Enseigne-moi, de grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison;
Que, de ce pas, je me fasse raison.
Le berger dit: C'est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un mouton
Par chaque mois, j'erre dans la campagne
Comme il me plaît; et je suis en repos.
Dans le moment qu'ils tenaient ces propos,

(1) Gabria3, 56, de Venatore timido et Pastore. - Esop., 267, 178, Venator meticulosus et Lignator

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