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Votre goût a servi de règle à mon ouvrage :
J'ai tenté les moyens d'acquérir son suffrage.
Vous voulez qu'on évite un soin trop curieux,
Et des vains ornements l'effort ambitieux (3);
Je le veux comme vous : cet effort ne peut plaire.
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire (*).
Non qu'il faille bannir certains traits délicats :
Vous les aimez, ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu'Ésope se propose,
J'y tombe au moins mal que je puis.
Enfin, si dans ces vers je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi; c'est toujours quelque chose.

Comme la force est un point

Dont je ne me pique point,

Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,

Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.

C'est là tout mon talent; je ne sais s'il suffit.

(1) Esop., 127, 44, Lignator et Mercurius.

du livre IV, t. III, p. xxx, édit. 1741, in-40.

Rabelais, second prologue

(2) Nous croyons que ces initiales signifient: A M. le Chevalier de Bouil

lon.

(3) Ambitiosa recidet

Ornamenta.

(WALCK.)

(HORAT. De Arte poetica, v. 447.)

(4) L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a.

(GRESSET.)

Tantôt je peins en un récit

La sotte vanité jointe avecque l'envie,

Deux pivots sur qui roule aujourd'hui notre vie.
Tel est ce chétif animal

Qui voulut en grosseur au bœuf se rendre égal.
J'oppose quelquefois, par une double image,

Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,

Les agneaux aux loups ravissants,

La mouche à la fourmi; faisant de cet ouvrage
Une ample comédie à cent actes divers,
Et dont la scène est l'univers.
Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle :
Jupiter comme un autre. Introduisons celui
Qui porte de sa part aux belles la parole:
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un bûcheron perdit son gagne-pain,
C'est sa cognée; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avait pas des outils à revendre:
Sur celui-ci roulait tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face était de pleurs toute baignée :
O ma cognée! ô ma pauvre cognée (1)!
S'écriait-il: Jupiter, rends-la-moi;
Je tiendrai l'être encore un coup de toi.
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu; la connaîtras-tu bien?

(1) Le sujet de cette fable a aussi été traité par Rabelais. Voici comment il fait parler le bûcheron après la perte de l'outil qui le faisait vivre. « En cestuy estrif commença crier, prier, implorer, invoquer Jupiter, par oraisons moult disertes (comme vous savez que nécessité feut inventrice d'éloquence), levant la face vers les cieulx, les genoilz en terre, la teste nue, les bras haultz en l'aer, les doigtz des mains escarquillez, disant à chaque refrain de ses suffrages, à haulte voix infatiguablement: Ma coignée, Jupiter! ma coignée, ma coignée! Rien plus, o Jupiter! que ma coignée ou deniers pour en achapter une aultre! Hélas! ma pauvre coignée!.

Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit: Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première;
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :
Je suis content si j'ai cette dernière.
Tu les auras, dit le dieu, toutes trois:
Ta bonne foi sera récompensée.
En ce cas-là, je les prendrai, dit-il.
L'histoire en est aussitôt dispersée;
Et boquillons (1) de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor;
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt : La voilà !
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien,
C'est le plus sûr: cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

(1) On disait autrefois boquet pour bosquet, et boquillon poar bosquillon, pprenti bûcheron.

II.

Le Pot de terre et le Pot de fer (1).

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.

(1) Esop., 329, 295, Olla.

Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage (1)
De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,
Si peu que la moindre chose
De son débris serait cause:
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure (2),
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet (3) qu'ils treuvent.

Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux :

(1) Qu'il ferait fort sagement. Ancienne locution. « Tu fais que sage de confesser la vérité avant qu'on te donne la géhenne pour te la faire dire.» AMYOT, traduct. de Plutarque, Vie de Marc-Antoine, chap. x11.

(2) D'un accident. Un grand nombre d'éditions modernes portent:

Vous menace, d'aventure.

La virgule apres le verbe change tout à fait le sens, d'aventure devenant ainsi adverbe, et signifiant par hasard. Nous avons suivi les éditions originales. (3) Achoppement, secousse.

Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d'un de ces pots.

III.

Le petit Poisson et le Pécheur (1).

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c'est folie:

Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'était encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin :

Mettons-le en notre gibecière.

Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi? Je ne saurais fournir

Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir;

Je serai par vous repêchée;

Quelque gros partisan m'achètera bien cher:

Au lieu qu'il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat: quel plat! croyez-moi, rien qui vaille.
Rien qui vaille ! eh bien, soit, repartit le pêcheur :
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,

Vous irez dans la poêle; et, vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.

Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras:
L'un est sûr; l'autre ne l'est pas.

(1) Æsop., 20, Piscator et Smaris; 124, Piscator et Cerrus.

1 partisan, financier.

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