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produise et qu'ils apparoissent sages et moderés; mais ils se rongent au dedans et se font un effort qui leur couste plus que ne vaut tout. Il vaudroit mieux se courroucer et esventer un peu ce feu au dehors, affin qu'il ne fust si ardent et ne donnast tant de peine au dedans. On incorpore la cholere en la cachant. Il vaut mieux que sa poincte agisse un peu au dehors que la replier contre soy: Omnia vitia in aperto leviora sunt, et tunc perniciosissima cum simulata sanitate subsidunt'.

Aussi contre ceux qui n'entendent ou ne se laissent gueres mener par raison, comme le genre de valets, et qui ne font que par craincte, faut que la cholere y supplée vraye ou simulée, sans laquelle souvent n'y auroit reiglement en la famille. Mais que ce soit avec ces conditions: 1o non souvent et à tous propos; 20 ny pour choses legeres, car estant ordinaire viendroit à mespris et n'auroit poids ny effect; 30 non en l'air et à coup perdu, grondant et criaillant en absence, mais qu'elle arrive et frappe celuy qui en est-cause et de qui l'on se plainct; 4o que ce soit vivement, pertinemment et serieusement, sans y mesler risée, affin que ce soit utile chastiment du passé et proIvision à l'advenir. Bref il en faut user comme d'une medecine.

Tous ces remedes au long deduicts sont aussi contre les suivantes passions.

CHAPITRE XXXII.

Contre la hayne.

Pour se deffendre contre la hayne, il faut tenir une reigle qui est vraye, que toutes choses ont deux anses par lesquelles l'on les peut prendre. Par l'une elles nous semblent griefves et poisantes, par l'autre aysées et legeres. Prenons donc les choses par la bonne anse, et nous trouverons ce qu'il y a de bon et à aymer en tout ce que nous accusons et hayssons; car il n'y a rien au monde qui ne soit pour le bien de l'homme. Et en celuy qui nous offense nous avons plus subject de le plaindre que de le hayr, car il est le premier offensé et en reçoit

(1) Tous les vices, lorsqu'ils se montrent à découvert, offrent moins de dangers; mais ils sont bien plus dangereux, lorsqu'ils existent cachés au fond d'une âme qui n'en paraît pas atteinte. SÉN. Ep. LVI.

le plus grand dommage, pource qu'il perd en cela l'usage de la raison, la plus grande perte qui puisse estre. Tournons donc en tel accident la hayne en pitié et mettons peine de rendre dignes d'estre aymés ceux que nous voudrons hayr, ainsi que fit Lycurgue à celuy qui luy avoit crevé l'œil, lequel il rendit pour peine de l'injure un honneste, vertueux et modeste citoyen par sa bonne instruction1.

CHAPITRE XXXIII.

Contre l'envie."

Contre ceste passion considerons ce que nous estimons bien et envions à autruy. Nous envions ès autres volontiers des richesses, des honneurs, des faveurs; c'est faulte de savoir ce que leur couste cela. Qui nous diroit : vous en aurez autant à mesme prix, nous n'en voudrions pas. Pour les avoir il faut flatter, endurer des afflictions, des injures, bref perdre sa liberté, complaire et s'accommoder aux voluptés et passions d'autruy. L'on n'a rien pour rien en ce monde. Penser arriver aux biens, honneurs, estats, offices autrement, et vouloir pervertir la loy ou bien la coustume du monde, c'est vouloir avoir le drap et l'argent. Pourquoy, toy qui fais profession d'honneur et de vertu, te fasches-tu, si tu n'as ces biens-là qui ne s'acquierent que par honteuse patience? Ayez donc plustost pitié des autres qu'envie. Si c'est un vray bien qui soit arrivé à autruy, nous nous en debvons resjouyr; car nous debvons desirer le bien les uns des autres. Se plaire au bien d'autruy, c'est accroistre le sien.

CHAPITRE XXXIV.

Contre la vengeance.

Contre ceste cruelle passion il faut premierement se souvenir qu'il n'y a rien de si honorable que de sçavoir pardonner. Un chascun peut poursuivre la raison et la justice du tort qu'il a receu ; mais donner grace et remission, il n'appartient qu'au prince souverain. Si donc tu veux estre roy de toy-mesme et faire acte royal, pardonne librement et use de grace envers celuy qui t'a offensé2.

(1) DUVAIR, Philosophie morale des stoïques, p. 883. (2) DUVAIR, de la Sainte Philosophie, p. 1089.

Secondement qu'il n'y a rien de si grand et victorieux que la dureté et insensibilité courageuse aux injures, par laquelle elles retournent et rejaillissent entieres aux injurians, comme les coups roides assenés aux choses très dures et solides qui ne font autre chose que blesser et estourdir la main et le bras du frappeur. Mediter vengeance est se confesser blessé; se plaindre, c'est se dire atteint et inferieur: Ultio doloris confessio est: non est magnus animus quem incurvat injuria; ingens animus et verus œstimator sui non vindicat injuriam, quia non sentit.

L'on objecte qu'il est dur, grief et honteux de souffrir une offense; je l'accorde et suis d'advis de ne souffrir, ains de vaincre et demeurer maistre, mais d'une belle et honorable façon, en la dedaignant et celuy qui la faict, et encores plus en bien faisant. En tous les deux Cesar estoit excellent. C'est une glorieuse victoire de vaincre et faire bouquer l'ennemy par bienfaict et d'ennemy le rendre amy. Et que la grandeur de l'injure ne nous retienne point; au contraire estimons que, plus elle est grande, plus est-elle digne d'estre pardonnée, et que, plus la vengeance en seroit juste, plus la clemence en est louable 2.

Et puis ce n'est raison d'estre juge et partie, comme l'on veut en la vengeance; il s'en faut remettre au tiers; il faut pour le moins en avoir conseil de ses amis et des sages, et ne s'en croire pas soy-mesme. Jupiter peut bien seul darder les foudres favorables et de bon augure; mais quand il est question de lancer les nuisibles et vengeurs, il ne le peut sans le conseil et assistance de douze dieux. C'est grand cas que le plus grand des dieux, qui peut de luy-mesme bien faire à tout le monde, ne peut nuire à personne qu'après une solennelle deliberation. La sagesse de Jupiter crainct mesme de faillir quand il est question de se venger; il luy faut du conseil qui le retienne.

Il faut donc nous former une moderation d'esprit; c'est la vertu de clemence, qui est une

(1) Se venger, c'est avouer qu'on a été blessé; or il n'est pas d'un grand cœur d'être blessé d'une injure; un cœur haut et qui sait s'apprécier ce qu'il vaut, ne se venge point d'une injure, parce qu'il ne l'a point sentie. SÉN. de Ira, liv. III, c. 5.

(2) DUVAIR, Philosophie morale des stoïques, p. 899, que Charron copie dans toute cette fin mot pour mot.

douceur et gratieuseté qui tempere, retient et reprime tous les mouvemens. Elle nous munira de confiance, nous persuadera que nous ne pouvons estre offensés que de nous-mesmes; que des injures d'autruy il n'en demeurera en nous que ce que nous en voudrons retenir. Elle nous conciliera l'amitié de tout le monde, nous apportera une modestie et bienseance agreable à

tous.

CHAPITRE XXXV.

Contre la jalousie.

Le seul moyen de l'esviter est de se rendre digne de ce que l'on desire; car la jalousie n'est qu'une deffiance de soy-mesme et un tesmoignage de nostre peu de merite. L'empereur Aurele, à qui Faustine sa femme demandoit ce qu'il feroit si son ennemy Cassius gagnoit contre luy la bataille, dist: « Je ne sers point si mal les dieux qu'ils me veulent envoyer une telle fortune.» Ainsi ceux qui ont part en l'affection d'autruy, s'il leur advient quelque craincte de la perdre, disent: «Je n'honore pas si peu son amitié qu'il m'en veuille priver. » La confiance de nostre merite est un grand gage de la volonté d'autruy.

Qui poursuit quelque chose avec la vertu est ayse d'avoir un compagnon à la poursuite, car il sert de relief et d'esclat à son merite. L'imbecilité seule crainct la rencontre, pource qu'elle pense qu'estant comparée avec un alltre son imperfection paroistra incontinent. Ostez l'emulation, vous ostez la gloire et l'esperon à la vertu.

Le conseil aux hommes contre ceste maladie, quand elle leur vient de leurs femmes, c'est que la pluspart des grands et galands hom mes sont tombés en ce malheur sans qu'ils en ayent faict aucun bruict: Lucullus, Cesar, Pompée, Caton, Auguste, Antonius et tant d'autres. Mais, diras-tu, le monde le sçait et en parle; et de qui ne parle-t-on en ce sens, du plus grand au plus petit? On engage tous les jours tant d'honnestes hommes en ce reproche en ta presence! Si tu t'en remues, les dames mesmes s'en mocqueront; la frequence de cest accident doibt meshuy en avoir moderé l'aigreur. Au reste, sois tel que l'on te plaigne, que ta vertu estouffe ce malheur affin que les gens de bien

ne t'en estiment rien moins, mais en maudissent l'occasion.

Nous la prendrons icy un peu plus au large pour la reigle et le debvoir en toute prosperité, comme la force estoit la reigle en toute adversité, et sera la bride comme la force l'esperon. Avec ces deux nous dompterons ceste partie brutale, farouche et revesche des passions qui est en nous, et nous nous porterons bien et sagement en toute fortune et en tous accidens, qui est le plus haut poinct de sagesse.

Quant aux femmes, il n'y a point de conseil contre ce mal, car leur nature est toute confite en soupçon, vanité, curiosité. Il est vray qu'elles-mesmes se guerissent aux despends de leurs maris, versant leur mal sur eux, et guerissent leur mal par un plus grand. Mais si elles estoient capables de conseil, l'on leur diroit de ne s'en soucier ny faire semblant de s'en appercevoir, qui est une douce mediocrité entre ceste folle jalousie et ceste autre façon opposite qui se practique aux Indes et aux autres nations, où les femmes travaillent d'acquerir des amis et des femmes à leurs maris, cher-reiglement; retranchement de la superflue, eschant sur-tout leur honneur (or c'est un tesmoignage de la vertu, valeur et reputation aux hommes en ces pays-là, d'avoir plusieurs femmes) et plaisir; ainsi Livia à Auguste, Stratonique au roy Dejotarus; ou bien multiplication de lignée comme Sara, Lia, Rachel, à Abraham et Jacob.

DE LA TEMPERANCE, QUATRIESME VERTU.

CHAPITRE XXXVI.

De la temperance en general.

Temperance se prend doublement, en terme general, pour une moderation et douce attrempance en toutes choses. Et ainsi ce n'est point une vertu speciale, mais generale et commune, c'est un assaisonnement de toutes; et est perpetuellement requise, principalement aux affaires où y a de la dispute et contestation, aux troubles et divisions. Pour la garder il n'y a que n'avoir point d'intentions particulieres, mais simplement se tenir à son debvoir. Toutes intentions legitimes sont temperées; la cholere, la hayne sont au-delà du debvoir et de la justice et servent seulement à ceux qui ne se tiennent à leur debvoir par la raison simple.

Specialement pour une bride et reigle aux choses plaisantes, voluptueuses, qui chatouillent nos sens et nos appetits naturels: Habena voluptatis, inter libidinem et stuporem naturæ posita, cujus duæ partes: verecundia in fuga turpium, honestas in observatione decori2.

(1) Stratonice.

(2) Dans la volupté, il est un frein qui arrête les désirs déréglés et l'intempérance de la nature; c'est ce sentiment de pudeur qui MORAL.

La temperance a donc pour son subject et objet general toute prosperité, chose plaisante et plausible, mais specialement et proprement la volupté, de laquelle elle est retranchement et

trangere, vitieuse; reiglement de la naturelle et necessaire: Voluptatibus imperat ; alias odit et abigit; alias dispensat et ad sanum modum redigit; nec unquam ad illas propter illas ve nit; scit optimum esse modum cupitorum, non quantum velis, sed quantum debeas1. C'est l'authorité et puissance de la raison sur les cupidités et violentes affections qui portent nos volontés aux plaisirs et voluptés. C'est le frein de nostre ame et l'instrument propre à escumer les bouillons qui s'eslevent par la chaleur et l'intemperance du sang, affin de contenir l'ame une et esgale à la raison, affin qu'elle ne s'accommode point aux objects sensibles, mais plustost qu'elle les accommode et fasse servir à soy. Par icelle nous sevrons nostre ame du laict doux des delices de ce monde, et la rendons capable d'une plus solide et succulente nourritu re. C'est une reigle laquelle doucement accommode toutes choses à la nature, à la necessité. simplicité, facilité, santé, fermeté. Ce sont cho ses qui vont volontiers ensemble et sont les mesures et bornes de sagesse; comme au rebours l'art, le luxe et superfluité, la varieté et multiplicité, la difficulté, la maladie et delicatesse se font compagnie, suyvent l'intemperance et la folie Simplici cura constant necessaria, in deliciis laboratur.... Ad parata nati sumus;

nous éloigne des choses honteuses, et l'honnêteté qui nous porte à observer les lois de la bienséance.

(1) La tempérance commande aux voluptés; elle hait et re pousse les unes; elle gouverne les autres, et les retient dans de justes bornes. Ce n'est jamais pour s'y livrer aveuglément qu'elle s'en approche; elle n'ignore pas que cette maxime: « ne pas faire tout ce qu'on voudrait, mais seulement autant qu'on doit, » est la meilleure des règles pour quiconque éprouve des passions. SEX. Ep. LXXXVIII.

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nos omnia nobis difficilia facilium fastidio fe- | Nil dignum putare quod speres. Quid dignum habet fortuna quod concupiscas1.

cimus1.

CHAPITRE XXXVII.

De la prosperité et advis sur icelle.

La prosperité qui nous arrive doucement par le commun cours et train ordinaire du monde, ou par nostre prudence et sage conduicte, est bien plus ferme et asseurée et moins enviée que celle qui vient comme du ciel avec eclat, outre et contre l'opinion de tous, et l'esperance mesme de celui qui en est estrené.

La prosperité est très dangereuse; tout ce qu'il y a de vain et de leger en l'ame se sousleve au premier vent favorable. Il n'y a chose qui tant perde et fasse oublier les hommes que la grande prosperité, comme les bleds se couchent par trop grande abondance, et les branches trop chargées se rompent; dont il est bien requis, comme en un pas glissant, de se bien tenir et garder, et sur-tout de l'insolence, de la fierté et presomption. Il y en a qui se noyent à deux doigts d'eau, et à la moindre faveur de la fortune s'enflent, se mescognoissent, deviennent insupportables, qui est la vraye peincture de folie.

De là il vient qu'il n'y a chose plus caduque et qui soit de moindre durée que la prosperité mal conseillée, laquelle ordinairement change les choses grandes et joyeuses en tristes et calamiteuses, et la fortune d'amoureuse mere se change en cruelle marastre.

Or, le meilleur advis pour s'y bien porter est de n'estimer gueres toutes sortes de prosperités et bonnes fortunes, et par ainsi ne les desirer aucunement; si elles arrivent de leur bonne grace, les recepvoir tout doucement et allegrement, mais comme choses estrangeres, nullement necessaires, desquelles l'on se fust bien passé, dont il ne faut faire mise ny recepte, ne s'en hausser ny baisser: Non est tuum fortuna quod fecit tuum 2. - Qui tutam vitam agere volet, ista viscata beneficia devitet.

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CHAPITRE XXXVIII.

De la volupté et advis sur icelle.

Volupté est une perception et sentiment de ce qui est convenable à la nature; c'est un mouvement et chatouillement plaisant, comme à l'opposite la douleur est un sentiment triste et desplaisant toutesfois ceux qui la mettent au plus haut et en font le souverain bien, comme les Epicuriens, ne la prennent pas ainsi, mais pour une privation de mal et desplaisir, en un mot indolence. Selon eux n'avoir point de mal est le plus heureux bien-estre que l'homme puisse esperer icy: Nimium boni est cui nihil est mali. Cecy est comme un milieu ou neutralité entre la volupté prise au sens premier et commun et la douleur; c'est comme jadis le sein d'Abraham entre le paradis et l'en. fer des damnés. C'est un estat et une assiette

douce et paisible, une equable, constante et arrestée volupté, qui ressemble aucunement l'euthymie et tranquillité d'esprit, estimée le souverain bien par les philosophes; l'autre premiere sorte de volupté est active, agente et mouvante. Et ainsy y auroit trois estats, les deux extresmes opposites, douleur et volupté, qui ne sont stables ni durables, et toutes deux maladives. Et celuy du milieu stable, ferme, sain, auquel les Epicuriens ont voulu donner le nom de volupté (comme ce l'est aussi, eu egard à la douleur), la faisant le souverain bien. C'est ce qui a tant descrié leur eschole, comme Seneque a ingenuement recognu et dict. Leur mal estoit au titre et aux mots, non

en la substance, n'y ayant jamais eu de doctrine ni vie plus sobre, moderée et ennemie des desbauches et des vices que la leur. Et n'est pas du tout sans quelque raison qu'ils ont appellé ceste indolence et estat paisible volupté; car ce chatouillement, qui semble nous eslever an

(1) Voulez-vous mener une vie tranquille? défendez-vous des bienfaits décevants de la fortune. Ne regardez aucune de ses faveurs comme digne de vos vœux. Qu'a-t-elle, en effet, qui mérite vos désirs? SEN. Ep. VII.-ID. Nat. Quæst. liv. M, in Præfat.

(2) ENXIUS, apud Cicer. (3) De fulvuía, joie.

dessus de l'indolence, ne vise qu'à l'indolence comme à son but; comme par exemple l'appetit qui nous ravit à l'accoinctance des femmes ne cherche qu'à fuyr la peine que nous apporte le desir ardent et furieux à l'assouvir, nous exempter de ceste fievre et nous mettre en repos.

L'on a parlé fort diversement, trop court et destroussement de la volupté; les uns l'ont deïfiée, les autres l'ont detestée comme un monstre, et au seul mot ils tremoussent, ne le prenant qu'au criminel. Ceux qui la condamnent tout à plat disent que c'est chose: 1o courte et briefve, feu de paille, mesme si elle est vive et active; 20 fresle et tendre, aysement et pour peu corrompue et emportée, une once de douleur gastera une mer de plaisir; cela s'appelle l'artillerie enclouée; 30 humble, basse, honteuse, s'exerçant par vils outils en lieux cachés et honteux, au moins pour la plupart, car il y a des voluptés pompeuses et magnifiques; 4o subjecte bientost à satieté; l'homme ne sçauroit demeurer long-temps en la volupté; il en est impatient, dur, robuste autrement à la douleur, comme a esté dict; suivie le plus souvent du repentir, produisant de très pernicieux effects, ruine des personnes, familles, republiques; et sur-tout ils alleguent que quand elle est en son plus grand effort, elle maistrise de façon que la raison n'y peut avoir accès.

D'autre part l'on dict qu'elle est naturelle, créée et establie de Dieu au monde pour sa conservation et durée, tant en detail des individus qu'en gros des especes. Nature, mere de volupté, conserve cela qu'ès actions qui sont pour nostre besoin elle y a mis de la volupté. Or, bien vivre est consentir à nature. Dieu, dit Moyse, a créé la volupté : Plantaverat Dominus paradisum voluptatis', a mis et estably l'homme en un estat, lieu et condition de vie voluptueuse; et enfin qu'est-ce que la felicité derniere et souveraine, sinon volupté certaine et perpetuelle: Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ, et torrente voluptatis tuæ potabis eos2. Suis contenta finibus res est divina voluptas3. Et de faict les plus reiglés philosophes et

(1) Dieu avait planté un paradis de volupté. Gen. c. 2, v. 8. (2) Ils seront enivrés de l'abondante félicité de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices. Psaume XXXV, v. 9.

(3) La volupté qui se trouve satisfaite de rester dans ses linites est une chose vraiment divine.

plus grands professeurs de vertu, Zeno, Caton, Scipion, Epaminondas, Platon, Socrates mesme, ont esté par effect et amoureux et buveurs, danseurs, joueurs, et ont traicté, parlé, escrit de l'amour et autres voluptés.

Parquoy cecy ne se vuide pas en un mot et tout simplement : faut distinguer, les voluptés sont diverses. Il y en a de naturelles et non ly naturelles; ceste distinction, comme plus importante, sera tantost plus considerée. Il y en a de glorieuses, fastueuses, difficiles; d'autres sombres, doucereuses, faciles et prestes. Combien qu'à la verité dire la volupté est une qualité peu ambitieuse, elle s'estime assez riche de soy sans y mesler le prix de la reputation, et s'ayme mieux à l'ombre. Celles aussi qui sont tant faciles et prestes sont lasches et morfondues, s'il n'y a de la malaisance et difficulté ; laquelle est un allechement, une amorce, un aiguillon à icelles. La ceremonie, la vergongne et difficulté qu'il y a de parvenir aux derniers exploits de l'amour sont ses aiguisemens et allumettes, c'est ce qui lui donne le prix et la poincte. Il y en a de spirituelles et corporelles, non qu'à vray dire elles soient separées, car elles sont toutes de l'homme entier et de tout le subject composé, et une partie de nous n'en a point de si propres que l'autre ne s'en sente, tant que dure le mariage et amoureuse liaison de l'esprit et du corps en ce monde. Mais bien y en a auxquelles l'esprit a plus de part que le corps, dont conviennent mieux à l'homme qu'aux bestes et sont plus durables, comme celles qui entrent en nous par les sens de la veue et de l'ouye, qui sont deux portes de l'esprit ; car ne faisant que passer par-là, l'esprit les reçoit, les cuit et digere, s'en paist et delecte long-temps; le corps s'en sent peu. D'autres, où le corps a plus de part, comme celles du goust et de l'attouchement, plus grossieres et materielles, esquelles les bestes nous font compagnie; telles voluptés se traictent, exploictent, s'usent et achevent au corps mesme, l'esprit n'y a que l'assistance et compagnie, et sont courtes; c'est feu de paille.

Le principal en cecy est sçavoir comment il se faut comporter et gouverner aux voluptés, ce que la sagesse nous apprendra, et c'est l'office de la vertu de temperance. Il faut premierement faire grande et notable difference entre les naturelles et non naturelles. Par les non naturelles nous n'entendons pas seulement celles

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