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ment, comme toute la philosophie, mais avec grande diversité d'opinions, selon les diverses nations, religions, professions, sans accord ny

ces trois ventres, comme le paralytique, ne laisse pas d'exercer toutes les trois, bien que plus foiblement, ce qu'il ne feroit si chascune faculté avoit son creux à part.

Aucuns ont pensé que l'ame raisonnable n'estoit point organique, et n'avoit besoin pour faire ses fonctions d'aucun instrument corporel, pensant bien par là prouver l'immortalité de l'ame; mais sans entrer en un labyrinthe de discours, l'experience oculaire et ordinaire dement ceste opinion, et convainq du contraire; car l'on sçait que tous hommes n'entendent ny ne raisonnent de mesme et esgalement, ains avec très grande diversité; et un mesme homme aussi change, et en un temps raisonne mieux qu'en un autre, en un aage, en un estat et certaine disposition qu'en un autre, tel mieux en santé qu'en maladie, et tel autre mieux en maladie qu'en santé; un mesme en un temps prevaudra en jugement et sera foible en imagination. D'où peuvent venir toutes ces diversités et changemens, sinon de l'organe et instrument changeant d'estat? Et d'où vient que l'yvrognerie, la morsure du chien enragé, une fievre ardente, un coup en teste, une fumée montant de l'estomach, et autres accidens, feront culbutter et renverseront entierement le jugement, tout l'esprit intellectuel, et toute la sagesse de Grece, voire contraindront l'ame de desloger du corps? Ces accidens purement corporels ne peuvent toucher ny arriver à ceste haute faculté spirituelle de l'ame raisonnable, mais seulement aux organes et instrumens, lesquels estans detraqués et desbauchés, l'ame ne peut bien et reglement agir, et estans par trop forcés et violentés, est contraincte de s'absenter et s'en aller. Au reste se servir d'instrument ne prejudicie point à l'immortalité, car Dieu s'en sert bien et y accommode ses actions. Et comme selon la diversité de l'air, region et climat, Dieu produict hommes fort divers en esprit et suffisance naturelle, car en Grece et en Italie il les produict bien plus ingenieux qu'en Moscovie et Tartarie, aussi l'esprit, selon la diversité des dispositions organiques, des instrumens corporels, raisonne mieux ou moins. Or l'instrument de l'ame raisonnable, c'est le cerveau et le temperament d'iceluy, duquel nous avons à parler.

Temperament est la mixtion et proportion des quatre premieres qualités, chaud, froid, sec et humide, ou bien une cinquiesme et comme l'harmonie resultante de ces quatre. Or du temperament du cerveau vient et depend tout l'estat et l'action de l'ame raisonnable; mais ce qui cause et apporte une grande misere à l'homme est que les trois facultés de l'ame raisonnable, entendement, memoire, imagination, requierent et s'exercent par temperamens contraires. Le temperament de l'entendement est sec, d'où vient que les advancés en aage prevalent en entendement par dessus les jeunes, d'autant que le cerveau s'essuye et s'asseiche toujours plus; aussi les melancholiques secs, les affligés indigens, et qui sont à jeun (car la tristesse et le jeusne desseiche), sont prudens et ingenieux. Splendor siccus, animus sapientissimus. Vexatio dat intellectum*. Et les bestes de temperament plus sec, comme fourmis, abeilles, elephans, sont prudentes et ingenieuses (comme les humides, tesmoin le pourceau, sont stupides, sans esprit); et les meridionaux, secs et moderés en

• Tempérament sec, esprit très sage. Les peines qu'on éprouve aug. mcutent l'intelligence

resolution certaine. La generale cognoissance et dispute d'icelle se peut rapporter à ces dix points: definition, essence ou nature, facultés

chaleur interne du cerveau, à cause du violent chaud externe. Le temperament de la memoire est humide (d'où vient que les enfans l'ont meilleure que les vicillards), et le matin après l'humidité acquise par le dormir de la nuict, plus propre à la memoire, laquelle est aussi plus vigoureuse aux septentrionaux. J'entends icy une humidité non aqueuse, coulante, en laquelle ne se puisse tenir aucune impression; mais aêrée, gluante, grasse et huileuse, qui facilement reçoit et retient fort, comme se voit aux peinctures faites en huile. Le temperament de l'imagination est chaud, d'où vient que les frenetiques, maniaques et malades de maladies ardentes, sont excellens en ce qui est de l'imagination, poësie, divination, et qu'elle est forte en la jeunesse et adolescence (les poëtes et prophetes ont fleury en cest aage), et aux lieux mitoyens entre septentrion et midy.

De la diversité des temperamens, il advient que l'on peut estre mediocre en toutes les trois facultés, mais non pas excellent, et que qui est excellent en l'une des trois est foible ès autres. Que les temperamens de la memoire et de l'entendement soient fort differens et contraires, cela est clair, comme le sec et l'humide; de l'imagination qu'il soit contraire aux autres il ne le semble pas tant, car la chaleur n'est pas incompatible avec le sec et l'humide, et toutesfois l'experience monstre que les excellens en l'imagination sont malades en l'entendement et memoire, et tenus pour fols et furieux; mais cela vient que la chaleur grande qui sert à l'imagination consomme et l'humidité qui sert à la memoire, et la subtilité des esprits et figures, qui doit estre en la secheresse qui sert à l'entendement, et ainsi est contraire et destruict les autres deux.

De tout cecy il est evident qu'il n'y a que trois principaux temperamens qui servent et fassent agir rame raisonnable et distinguent les esprits, sçavoir : le chaud, le sec et l'humide; le froid ne vaut à rien, n'est point actif, et ne sert qu'à empescher tous les mouvemens et fonctions de l'ame; et quand it se lit souvent aux autheurs que le froid sert à l'entendement, que les froids de cerveau, comme les melancholiques et les meridionaux, sont prudens, sages, ingenieux, là le froid se prend non simplement, mais pour une grande moderation de chaleur; car il n'y a rien plus contraire à l'entendement et sagesse que la grande chaleur, laquelle au contraire sert à l'imagination; et selon les trois temperamens il y a trois facultés de l'ame raisonnable. Mais, comme les temperamens aussi, les facultés reçoivent divers degrés, subdivisions et distinctions.

Il y a trois principaux offices et differences d'entendement, inferer, distinguer, eslire. Les sciences qui appartiennent à l'entendement sont la theologie scholastique, la theorique de medecine, la dialectique, la philosophie naturelle et morale. Il y a trois sortes de differences de memoire: recevoir et perdre facilement les figures, recevoir facilement et difficilement perdre, difficilement recevoir et facilement perdre. Les sciences de la memoire sont la grammaire, theorique de jurisprudence, et theologie positive, cosmographie, arithmetique.

De l'imagination y a plusieurs differences et en beaucoup plus grand nombre que de la memoire et de l'entendement; à elle apartiennent proprement les inventions, les faceties et bro

et actions, unité ou pluralité, origine, entrée au corps, residence en iceluy, siege, suffisance à exercer ses fonctions, sa fin et separation du

corps.

cards, les poinctes et subtilités, les fictions et mensonges, les figures et comparaisons, la proprieté, netteté, elegance, gentillesse; pourquoy appartiennent à elle la poësie, l'eloquence, musique, et generalement tout ce qui consiste en figure, correspondance, harmonie et proportion.

De tout cecy appert que la vivacité, subtilité, promptitude, et ce que le commun appelle esprit, est à l'imagination chaude; la solidité, maturité, verité est à l'entendement sec. L'imagination est active, bruyante; c'est elle qui remue tout et met tous les autres ́en besongne. L'entendement est action morne et sombre. La memoire est purement passive, et voicy comment l'imagination premierement recueille les especes et figures des choses tant presentes par le service des cinq sens, qu'absentes par le benefice du sens commun; puis les represente, si elle veust, à l'entendement, qui les considere, examine, cuit et juge; puis elle-mesme les met en depost et conserve en la memoire, comme l'escrivain au papier, pour de rechef, quand besoing sera, les en tirer et extraire (ce que l'on appelle reminiscence), ou bien si elle veust les recommande à la memoire avant les presenter à l'entendement. Par quoy recueillir, representer à l'entendement, mettre en la memoire, et les extraire, sont tous œuvres de l'imagination. Et ainsi à elle appartient le sens commun, la reminiscence, et ne sont point puissances separées d'elle, comme aucuns veulent, pour faire plus de trois facultés de l'ame raisonnable.

Le vulgaire, qui ne juge jamais bien, estime et faict plus de feste de la memoire que des deux autres; pource qu'elle en compte fort, a plus de monstre et faict plus de bruit en public; et pense-t-il que pour avoir bonne memoire l'on est fort scavant, et estime plus la science que la sagesse; c'est toutesfois la moindre des trois, qui peust estre avec la folie et l'impertinence; mais très rarement elle excelle avec l'entendement et sagesse, car leurs temperamens sont contraires. De ceste erreur populaire est venue la mauvaise instruction de la jeunesse, qui se voyt par-tout*. Ils sont tousjours après à luy faire apprendre par cœur (ainsi parlent-ils) ce que les livres disent, afin de les pouvoir alleguer, et à luy remplir et charger la memoire du bien d'autruy, et ne se soucient de luy reveiller et esguiser l'entendement, et former le jugement, pour lui faire valoir son propre bien et ses facultés naturelles, pour le faire sage et habile à toutes choses. Aussi voyons-nous que les plus sçavans qui ont tout Aristote et Ciceron en la teste sont plus sots et plus ineptes aux affaires, et que le monde est mené et gouverné par ceux qui n'en sçavent rien. Par l'advis de tous les sages, l'entendement est le premier, la plus excellente et principale piece du harnois. Si elle joue bien, tout va bien, et l'homme est sage; et au rebours, si elle se rescompte, tout va de travers. En second lieu est l'imagination: la memoire est la derniere.

Toutes ces differences s'entendront peut-estre encores mieux par cette similitude qui est une peincture ou imitation de l'ame raisonnable. En toute cour de justice y a trois ordres et estages; le plus haut, des juges, auquel y a peu de bruit, mais grande action; car sans s'esmouvoir et agiter, ils jugent, • Foyer liv. 131, e. 15.

Il est premierement très difficile de definir et bien dire au vray que c'est que l'ame, comme generalement toutes formes, d'autant que ce sont choses relatives qui ne subsistent point

decident, ordonnent, determinent de toutes choses; c'est l'image du jugement plus haute partie de l'ame. Le second, des advocats et procureurs, auquel y a grande agitation et bruict sans action; car ils ne peuvent rien vuider ny ordonner, seulement secouer les affaires; c'est la peincture de l'imagination, faculté remuante, inquiete, qui ne s'arreste jamais, non pas pour le dormir profond, et faict un bruit au cerveau comme un pot qui boult, mais qui ne ressoult et n'arreste rien. Le troisiesme et dernier estage est du greffe et registre de la cour, où n'y a bruit ny action; c'est une pure passion, un gardoir et reservoir de toutes choses, qui represente bien la memoire.

L'ame, qui est la nature et la forme de tout animal, est de soy toute sçavante, sans estre apprinse, et ne faut point à produire ce qu'elle sçait, et bien exercer ses fonctions comme il faut, si elle n'est empeschée, et moyennant que ses instrumens soient bien disposés; dont a esté bien et vrayement dict par les sages que nature est sage, sçavante, industrieuse, et rend habile à toutes choses, ce qui est aisé à monstrer par induction. L'ame vegetative de soy sans instruction forme le corps en la matrice tant excellemment, puis le nourrit et le faict croistre, attirant la viande, la retenant et cuisant, et rejettant les excremens; elle rengendre et refaict les parties qui défaillent; ce sont choses qui se voyent aux plantes, besles, et en l'homme. La sensitive, de soy, sans instruction, faict aux bestes et en l'homme remuer les pieds, les mains, et autres membres, les gratter, frotter, secouer, tetter, demener les levres, pleurer, rire. La raisonnable de mesme, non selon l'opinion de Platon, par reminiscence de ce qu'elle sçavoit avant entrer au corps, comme si elle estoit plus aagée que le corps; ny selon Aristote, par reception et acquisition venant de dehors par les sens, estant de soy une carte blanche et vuide; mais de soy et sans instruction imagine, entend, retient, raisonne et discourt. Et pource que ceste proposition. semble plus difficile à croire de la raisonnable que des autres, elle se prouve premierement par le dire des plus grands philosophes, qui tous ont dict que les semences des grandes vertus et sciences estcient esparses naturellement en l'ame; puis par raison tirée de l'experience, les bestes raisonnent, discourent, font plusieurs choses de prudence et d'entendement, comme il a esté bien prouvé cy-dessus. Ce qu'advouant mesme Aristote, a rendu la nature des bestes plus excelJente que l'humaine, laquelle il faict vuide et ignorante du tout; mais les ignorans appellent cela instinct naturel, qui ne sont que des mots en l'air; car après ils ne sçavent declarer qu'est-ce qu'instinct naturel. Les bommes melancholiques, maniaques, phrenetiques et atteints de certaines maladies qu'Hippocrates appelle divines, sans l'avoir apprins, parlent latin, font des vers, discourent prudemment et hautement, devinent les choses secrettes et à venir (lesquelles choses les sots ignorans attribueront au diable ou esprit familier) bien qu'ils fussent auparavant idiots et rustiques, et qui depuis sont retournés tels apres la guarison. Item y a des enfans qui bientost après estre nays ont parlé, comme ceux qui sont venus de parens vieils. D'où ont-ils apprius et tiré tout cela, tant les bestes que les hommes ?

Si toute science venoit, conime veust Aristote, des sens,

d'elles-mesmes, mais sont parties d'un tout; c'est pourquoy il y a une telle et si grande diversité de definitions d'icelle, desquelles n'y en a aucune receue sans contredit: Aristote en a

il s'ensuivroit que ceux qui ont les sens plus entiers et plus vifs seroient plus ingenieux et plus sçavans; et se voyt contraire souvent, qu'ils ont l'esprit plus lourd et sont plus mal-habiles; et plusieurs se sont privés à escient de l'usage d'iceux, affin que l'ame fist mieux et plus librement ses affaires. Et seroit chose honteuse et absurde que l'ame tant haute et divine questast son bien des choses si viles et caduques comme les sens; car c'est au rebours que les sens ont tout de l'ame, et sans elle ne sont et ne peuvent rien. Et puis enfin que peuvent apercevoir les sens, sinon les accidens et superficies des choses? car les natures, formes, les thresors et secrets de nature, nullement.

Mais on demandera pourquoy donc ces choses ne se fontelles tousjours par l'ame? Pourquoy ne faict-elle en tout temps ses propres fonctions, et que plus foiblement et plus mal elle les faict en un temps qu'autre ? L'ame raisonnable agit plus foiblement en la jeunesse qu'en la vieillesse, et au contraire la vegetative, forte et vigoureuse en la jeunesse, est foible en la vieillesse, en laquelle elle ne peust refaire les dents tombées comme en la jeunesse. La raisonnable faict en certaines maladies ce qu'elle ne peust en santé, et au rebours en santé ce qu'elle ne peust en maladie. A quoy pour tout la response (touchée cy-dessus) est que les instrumens desquels l'ame a besoing pour agir ne sont ny ne peuvent tousjours estre disposés comme il faut pour exercer toutes fonctions et faire tous cffects, voire ils sont contraires et s'entr'empeschent; et, pour le dire plus court et plus clairement, c'est que le temperament du cerveau, duquel a esté tant parlé cy-dessus, par lequel et selon lequel l'ame agit, est divers et changeant ; et estant bon pour une fonction d'ame, est contraire à l'autre ; estant chaud et humide en la jeunesse, est bon pour la vegetative et mal pour la raisonnable; et au contraire froid et sec en la vieillesse, est bon pour la raisonnable, mal pour la vegetative. Par maladie ardente fort eschauffé et subtilisé, est propre à l'invention et divination, mais impropre à maturité et solidité de jugement et sagesse.

De l'utilité et singularité ou pluralité des ames en l'homme, les opinions et raisons sont fort diverses entre les sages. Qu'il y en aye trois essentiellement distinctes, c'est l'opinion des Egyptiens et d'aucuns Grecs comme Platoniciens. Mais c'est chose estrange qu'une mesme chose aye plusieurs formes essentielles. Que les ames soient singulieres, et à chascun homme la sienne, c'est l'opinion de plusieurs, contre laquelle l'on dict qu'il faudroit ou qu'elle fust toute mortelle, ou bien en partie mortelle en la vegetative et sensitive, et en partie immortelle en la raisonnable, et ainsi seroit divisible. Qu'il n'y en aye qu'une seule raisonnable generalement de tous hommes, c'est l'opinion des Arabes, venue de Themistius, Grec, mais refutée par plusieurs. La plus commune opinion est qu'il n'y en a en chascun homme qu'une en substance, cause de la vie et de toutes les actions, laquelle est tout en tout et toute en chaque partie; mais elle est garnie et enrichie d'un très grand nombre de diverses facultés et puissances, merveilleusement differentes, voire contraires les unes aux autres, selon la diversité des vaisseaux et instrumens où elle est retenue et des objects qui lui sont proposés. Elle exerce l'ame sensitive et raisonnable au cerveau, la vitale et irascible au cœur, ta na

refusé douze qui estoient devant luy et n'a peu bien establir la sienne.

Il est bien aisé à dire ce que ce n'est pas; que ce n'est pas feu, air, eau, ny le temperament des quatre elemens ou qualités ou humeurs, lequel est tousjours muable, sans lequel l'animal est et vit; et puis c'est accident, et l'ame est substance: item les mineraux et les choses inanimées ont bien un temperament des quatre elemens et qualités premieres. Ny sang (car il y a plusieurs choses animées et vivantes

turelle vegetative et concupiscible au foye, la genitale aux genitoires; ce sont les principales et capitales, ne plus ne moins que le soleil un en son essence, despartant ses rayons en divers endroicts, eschauffe en un lieu, esclaire en un autre, fond la cire, seiche la terre, blanchit la neige, nourrit la peau, dissipe les nuées, tarrit les estangs; mais quand et comment, si toute entiere et en un seul coup, ou successivement elle arrive au corps, c'est une question. La commune opinion venue d'Aristote est que l'ame vegetative et sensitive, qui est toute materielle et corporelle, est en la semence et avec elle descendue des parens, laquelle conforme le corps en la matrice, et iceluy faict arrive la raisonnable de dehors; et que pour cela il n'y a deux ny trois ames, ny ensemble ny successivement, et ne se corrompt la vegetative par l'arrivée de la sensitive, ny la sensitive par l'arrivée de la raisonnable. Ce n'est qu'une qui se faict, s'acheve et se parfaict avec le temps et par degrés, comme la forme artificielle de l'homme, qui se peindroit par pieces l'une après l'autre, la teste, puis la gorge, le ventre, etc. Autres veulent qu'elle y entre toute entiere avec toutes ses facultés en un coup, sçavoir: lorsque le corps est tout organisé, formé et tout achevé d'estre faict, et qu'auparavant n'y a eu aucune ame, mais seulement une vertu et energie naturelle, forme essentielle de la nature, laquelle agissant par les esprits qui sont en ladite semence, comme par instrumens, forme et bastit le corps, et agence tous les membres; ce qu'estant faict, ceste energie s'evanouit et se perd, et par ainsi la semence cesse d'estre semence, perdant sa forme par l'arrivée d'un autre plus noble, qui est l'ame humaine; laquelle faict que ce qui estoit semence est maintenant homme.

L'immortalité de l'ame est la chose la plus universellement, religieusement et plausiblement receue par tout le monde (j'entends d'une externe et publique profession, non d'une interne, serieuse et vraye creance, de quoy sera parlé cyaprès), la plus utilement creue, la plus foiblement prouvée et establie par raisons et moyens humains *. Il semble y avoir une inclination et disposition de nature à la croire, car l'homme desire naturellement allonger et perpetuer son estre, d'où vient aussi ce grand et furieux soin et amour de nostre posterité et succession. Puis deux choses servent à la faire valoir et rendre plausible: l'une est l'esperance de gloire et reputation, et le desir de l'immortalité du nom, qui, tout vain qu'il est, a un merveilleux credit au monde; l'autre est l'impression que les vices qui se desrobent de la veue et cognoissance de l'humaine justice demeurent toujours en butte à la divine, qui les chastiera, voire après la mort.

Voyez ci-après, L II, c. 3.

sans sang, et plusieurs animaux meurent sans perdre goutte de sang ). Ny principe ou cause de mouvement (car plusieurs choses inanimées meuvent, comme la pierre d'aymant meut le fer; l'ambre, la paille; les medicaments, les racines des arbres coupées et seches tirent et meuvent ). Ny l'acte ou vie ou energie ou perfection (car ce mot d'entelechie est diversement tourné et interpreté ) du corps vivant; car tout cela est l'effect et l'action de l'ame et non l'ame, comme le vivre, le voyr, l'entendre est l'action de l'ame; et puis il s'ensuivroit que l'ame seroit accident et non substance, et ne pourroit estre sans ce corps, duquel elle est acte et perfection; non plus que le couvercle d'une maison ne peust estre sans icelle, et un relatif sans correlatif; bref, c'est dire ce qu'elle faict et est à autruy, non ce qu'elle est en soy

Mais de dire ce que c'est, il est très mal aysé; l'on peust bien dire tout simplement que c'est une forme essentielle vivifiante qui donne à la plante vie vegetative, à la beste vie sensitive, laquelle comprend la vegetative; à l'homme vie intellective qui comprend les deux autres, comme aux nombres le plus grand contient les moindres, et aux figures le pentagone contient le tetragone et cestuy-cy le trigone. J'ay dit l'intellective plustost que la raisonnable, qui est comprise en l'intellective, comme le moindre au plus grand; car la raisonnable, en quelque sens et mesure, selon tous les plus grands philosophes, et l'experience se trouve aux bestes, mais non l'intellective qui est plus haute. Sicut equus et mulus, in quibus non est intellectus1. L'ame donc est non le principe, ce mot ne convient proprement qu'à l'autheur souverain premier, mais cause interne de vie, mouvement, sentiment, entendement. Elle meut le corps et n'est point meue, ainsi qu'au contraire le corps est meu et ne meut point; elle meut, dis-je, le corps et non soy-mesme, car rien ne se meut soy-mesme que Dieu, et tout ce qui se meut soy-mesme est eternel et maistre de soy, et ce qu'elle meut le corps ne l'a point de soy, mais de plus haut.

De quelle nature et essence est l'ame, l'humaine s'entend (car la brutale sans aucun double est corporelle, materielle, esclose et née

(1) Comme le cheval et le mulet qui n'ont point d'intelligence. Psaume XXXI, v. 2.

avec la matiere et avec elle corruptible)? C'est une question qui n'est pas si petite qu'il semble; car aucuns l'affirment corporelle, les autres incorporelle: cecy est fort accordable si l'on ne veut opiniastrer. Qu'elle soit corporelle, voicy de quoy : les esprits et demons bons et meschans qui sont du tout separés de la matiere sont corporels par le dire de tous les philosophes et principaux theologiens, Tertullien, Origene, sainct Basile, Gregoire, Augustin, Damascene. Combien plus l'ame humaine qui a commerce et est joincte à la matiere? Leur resolution est que toute chose créée, comparée à Dieu, est grossiere, corporelle, materielle; Dieu seul est incorporel. Que tout esprit est corps et de nature corporelle. Après l'authorité presque universelle, la raison est irrefragable. Tout ce qui est enfermé dedans ce monde fini est fini, limité en vertu et en substance, borné de superficie, clos et comprins en lieu, qui sont les vrayes et naturelles conditions d'un corps; car il n'y a que le corps qui aye superficie, qui soit resserré et enfermé en lieu. Dieu seul est partout, infini, incorporel; les distinctions ordinaires circumscriptivè, definitivè, effectivè1, ne sont que verbales et ne detruisent en rien la chose; car tousjours il demeure vray que les esprits sont tellement en lieu qu'en ce mesme temps qu'ils sont en un lieu ils ne peuvent estre ailleurs, et ne sont en lieu ou infini, ou très grand ou très petit, mais esgal à leur mesurée et finie substance et superficie. Et si cela n'estoit ainsi, les esprits ne changeroient point de lieu, ne monteroient ny ne descendroient, comme l'Escriture affirme qu'ils font, et par ainsi seroient immobiles, indivisibles, seroient par-tout indifferemment. Or, est-il qu'ils changent de lieu; le changement convainq qu'ils sont mobiles, divisibles, subjects au temps et à la succession d'iceluy, requise au mouvement et passage d'un lieu à autre, qui sont toutes qualités d'un corps. Mais pource que plusieurs simples, soubs ce mot de corporel, imaginent visible, palpable, et ne pensent que l'air pur ou le feu hors la flamme et le charbon soient corps, ils ont dict que les esprits, tant separés que humains, ne sont corporels, comme de vray ils ne le sont en ce sens ; car ils sont d'une substance invisible, soit aërée, comme veulent

(1) Circonscriptivement, définitivement, effectivement.

la pluspart des philosophes et theologiens, ou celeste, comme aucuns Hebrieux et Arabes, appellans de mesme nom le ciel et l'esprit essence propre à l'immortalité, ou plus subtile et deliée encores, si l'on veut, mais tousjours corporelle, puis qu'elle est finie et limitée de place et de lieu, mobile, subjecte au mouvement et au temps. Finalement, s'ils n'estoient corporels, ils ne seroient pas passibles et capables de souffrir comme ils sont; l'humain reçoit de son corps plaisir, desplaisir, volupté, douleur, aussi bien à son tour comme le corps de luy et de ses passions; plus des qualités bonnes et mauvaises, vertus, vices, affections, qui sont tous accidens; et tous, tant les separés et demons que les humains, sont subjects aux supplices et tourmens. Ils sont donc corporels, car il n'y a rien de passible qui ne soit corporel; c'est au corps d'estre subject des accidens.

Or, l'ame a un très grand nombre de vertus et facultés, autant quasi que le corps a de membres; elle en a aux plantes, plus encores aux bestes, et plus beaucoup en l'homme, sçavoir: vivre, sentir, mourir, appeter, attirer, assembler, retenir, cuire, digerer, nourrir, croistre, rejetter, voir, oyr, gouster, flairer, parler, spirer, respirer, engendrer, penser, opiner, raisonner, contempler, consentir, dissentir, souvenir, juger; toutes lesquelles choses ne sont point parties de l'ame, car ainsi elle seroit divisible et seroit establie d'accidens, mais sont ses qualités naturelles. Les actions viennent après et suivent les facultés, et ainsi sont trois degrés, selon la doctrine du grand sainct Denis, suivie de tous, qu'il faut considerer ès creatures spirituelles trois choses, essence, faculté, operation; par le dernier, qui est l'action, l'on cognoist la faculté, et par celle-cy l'essence. Les actions peuvent bien estre empeschées et cesser du tout, sans prejudice aucun de l'ame et de ses facultés, comme la science et faculté de peindre demeure entiere au peintre, encores qu'il aye la main liée et soit impuissant à peindre. Mais si les facultés perissent, il faut que l'ame s'en aille, ne plus ny moins que le feu n'est plus, ayant perdu la faculté de chauffer.

Après l'essence et nature de l'ame aucunement expliquée, il se presente ici une question des plus grandes, sçavoir si en l'animal, specialement en l'honime, il n'y a qu'une ame, ous'il y en a plusieurs. Il y a diversité d'opinions

mais qui reviennent à trois. Aucuns des Grecs, et à leur suitte presque tous les Arabes, ont pensé (non seulement en chascun homme, mais generalement en tous hommes) n'y avoir qu'une ame immortelle; les Egyptiens pour la pluspart ont tenu tout au rebours, qu'il y avoit pluralité d'ames en chascun, toutes distinctes, deux en chaque beste et trois en l'homme, deux mortelles, vegetative et sensitive, et la troisiesme intellective, immortelle. La tierce opinion, comme moyenne et plus suivie, tenue par plusieurs de toutes nations, est qu'il y a une ame en chasque animal sans plus; en toutes ces opinions il y a de la difficulté. Je laisse la premiere comme trop refutée et rejetée. La pluralité d'ames en chaque animal et homme, d'une part, semble bien estrange et absurde en la philosophie, car c'est donner plusieurs formes à une mesme chose, et dire qu'il y a plusieurs substances et subjects en un, deux bestes en une, trois hommes en un ; d'autre part elle facilite fort la creance de l'immortalité de l'intellectuelle, car estans ainsi trois distinctes, il n'y a aucun inconvenient que les deux meurent et la troisiesme demeure immortelle. L'unité semble resister à l'immortalité; car comment une mesme indivisible pourra-t-elle estre en partie mortelle et en partie immortelle? comme semble toutesfois avoir voulu Aristote. Certes il semble par necessité qu'elle soit ou du tout mortelle ou du tout immortelle, qui sont deux très lourdes absurdités; la premiere abolit toute religion et saine philosophie, la seconde faict aussi les bestes immortelles. Neantmoins est bien plus vraysemblable qu'il n'y a qu'une ame en chasque animal, la pluralité et diversité des facultés, instrumens, actions n'y deroge point, ny ne multiplie en rien ceste unité, non plus que la diversité des ruisseaux l'unité de la source et fontaine, ny la diversité des effects du soleil, eschauffer, esclairer, fondre, secher, blanchir, noircir, dissiper, tarir l'unité et simplicité du soleil; autrement il y auroit un très grand nombre d'ames en un homme et de soleils au monde; et ceste unité essentielle de l'ame n'empesche point l'immortalité de l'humaine en son essence, encores que les facultés vegetative et sensitive, qui sont accidens, meurent, c'est-à-dire ne puissent estre exercées hors le corps, n'ayant l'ame subject ni instrument pour ce faire, mais si faict bien tousjours

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