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en l'air, qui ne se pouvoient bien tenir longuement en usage, encores leurs inventions, quand elles seront mises en practique, ne seroient pas sans plusieurs incommodités et difficultés. L'homme les cause et les produict luy-mesme par son vice et intemperance et par ses passions contraires, et n'en faut pas accuser l'estat ny autre que l'homme, qui ne sçait bien user d'aucune chose; et peut-on dire encores qu'à cause de ces espines et difficultés, c'est une eschole de vertu, un apprentissage et un exercice familier et domestique; et disoit Socrates, le docteur de sagesse, à ceux qui luy objectoient la teste de sa femme, qu'il apprenoit par là en sa maison à estre constant et patient partout ailleurs, et à trouver douces les poinctures de la fortune; et puis enfin on ne contredict pas que celuy qui s'en passe ne fasse encores mieux. Mais à l'honneur du mariage, le chrestien dict que Dieu l'a institué au paradis terrestre avant tout autre chose, en l'estat d'innocence et de perfection; voylà quatre recommandations, la quatriesme passe tout et sans replique. Depuis, le fils de Dieu l'a approuvé et honoré de sa presence, son premier miracle, et miracle faict en faveur dudict estat et des gens mariés, et l'a honoré de ce privilege, qu'il sert de figure de ceste grande union de luy avec son eglise, et pour ce il a esté appellé mystere et grand.

A la verité le mariage n'est point chose indifferente ou mediocre; c'est du tout un grand bien ou un grand mal, un grand repos ou un grand trouble, un paradis ou un enfer; c'est une très douce et plaisante vie, s'il est bien faict; un rude et dangereux marché, et une bien espineuse et poisante liaison, s'il est mal rencontré ; c'est une convention où se verifie bien à poinct ce que l'on dict: Homo homini deus, aut lupus1.

Mariage est un ouvrage basti de plusieurs pieces; il y faut un rencontre de beaucoup de qualités, tant de considerations, outre et hors les personnes mariées; car quoy qu'on die, l'on ne se marie seulement pour soy; la posterité, la famille, l'alliance, les moyens y poisent beaucoup; voilà pourquoi il s'en trouve si peu de bons; et ce qui s'en trouve si peu, c'est signe

(1) L'homme est pour l'homme un dieu ou un loup. PLAUTE, Asinaire, act. II, sc iv, v. 88, dit seulement: Lupus est homo komini.

de son prix et de sa valeur, c'est la condition des plus grandes charges. La royauté est aussi pleine de difficultés, et peu l'exercent bien et heureusement. Mais ce que nous voyons souvent qu'il ne se porte pas bien, cela vient de la licence et desbauches des personnes et non de l'estat et institution du mariage, dont il se trouve plus commode aux ames bonnes, simples et populaires, où les delices, la curiosité, l'oysiveté, le troublent moins; les humeurs desbauchées, les ames turbulentes et detracquées ne sont pas propres à ce marché.

Mariage est un sage marché, un lien et une cousture saincte et inviolable, une convention honorable; s'il est bien façonné et bien prins, il n'y a rien plus beau au monde; c'est une douce societé de vie, pleine de constance, de fiance et d'un nombre infini d'utiles et solides offices et obligations mutuelles; c'est une compagnie non point d'amour, mais d'amitié. Ce sont choses fort distinctes que l'amour et l'amitié, comme la chaleur de fievre et maladifve et la chaleur naturelle et saine. Le mariage a pour sa part l'amitié, l'utilité, la justice, l'honneur, la constance, un plaisir plat voirement, mais sain, ferme et plus universel. L'amour se fonde au seul plaisir et l'a plus vif, aigu et cuisant. Peu de mariages succedent bien, qui sont commencés et acheminés par les beautés et desirs amoureux; il y faut des fondemens plus solides et constants, et y faut aller d'aguet; ceste bouillante affection ny vaut rien, voire est mieux conduict le mariage par main tierce.

Cecy est bien dict sommairement et simplement. Pour une plus exacte description, nous sçaurons qu'au mariage y a deux choses qui luy sont essentielles et semblent contraires, mais ne le sont pas, sçavoir une equalité, comme sociale et entre pareils, et une inequalité, c'està-dire superiorité et inferiorité. L'equalité consiste en une entiere et parfaicte communication et communauté de toutes choses, ames, volontés, corps, biens; loy fondamentale du mariage, laquelle en aucuns lieux s'estend jusques à la vie et la mort, tellement que le mari mort, faut que la femme suive incontinent. Cela se practique en aucuns lieux par loix publiques du pays et souvent de si grand'ardeur qu'estant plusieurs femmes à un mary elles contestent et plaident publiquement à qui aura l'honneur d'aller dormir (c'est leur mot) avec leur es

poux, alleguant pour l'obtenir et y estre preferées, leur bon service, qu'elles estoient les mieux aimées et ont eu de luy le dernier baiser, ont eu enfans de luy.

El certamen habent lethi, quæ viva sequatur
Conjugium; pudor est non licuisse mori.
Ardent victrices, et flammæ pectora præbent,
Imponuntque suis ora perusta viris'.

En autres lieux s'observoit, non par les loix publiques, mais par les pactes et conventions du mariage, comme fut entre Marc-Antoine et Cleopatra. Ceste equalité aussi consiste en la puissance qu'ils ont sur la famille en commun, dont la femme est dicte compagnonne du mary, dame de la maison et famille, comme le mary le maistre et seigneur; et leur authorité conjoincte sur toute la famille est comparée à l'aristocratie.

La distinction de superiorité et inferiorité consiste en ce que le mary a puissance sur la femme, et la femme est subjecte au mary; cecy est selon toutes loix et polices, mais plus ou moins selon la diversité d'icelles. Par-tout la femme, bien qu'elle soit beaucoup plus noble et plus riche, est subjecte au mary; ceste superiorité et inferiorité est naturelle, fondée sur la force et suffisance de l'un, foiblesse et insuffisance de l'autre. Les theologiens la fondent bien sur d'autres raisons tirées de la Bible; l'homme a esté faict le premier, de Dieu seul et immediatement, par exprès, pour Dieu son chef, et à son image et parfaict, car nature commence tousjours par chose parfaicte; la femme faicte en second lieu, après l'homme, de la substance de l'homme, par occasion et pour autre chose, mulier est vir occasionatus, pour servir d'aide et de second à l'homme, qui est son chef, et par ainsi imparfaicte. Voylà par l'ordre de la generation. Celuy de la corruption et de peché preuve le mesme; la femme a esté la premiere en prevarication et de son chef a peché, l'homme second et à l'occasion

(1) Elles se disputent à qui mourra, à qui suivra vivante son époux sur le bûcher; c'est une honte pour celle à qui il n'est pas permis de mourir. Celles qui l'emportent se livrent elles-mêmes aux flammes et collent leurs lèvres sur les restes brûlants de leurs maris. PROPERT., liv. III, élég. XIII, v. 19.

(2) La femme est homme par hasard. ARIST. liv. II, de la Generation des animaux, c. 5, dit : «La femme est comme un homme imparfait. »

de la femme; la femme done derniere au bier. et en la generation, et occasionnée premiere au mal et occasion d'iceluy, et est justement assubjectie à l'homme premier au bien et dernie au mal.

Ceste superiorité et puissance maritale a este en aucuns lieux telle que la paternelle, sur la vie et la mort, comme aux Romains par la loy de Romulus; et le mary pouvoit tuer sa femme en quatre cas: adultere, supposition d'enfans, fausses clefs, et avoir beu du vin. Aussi chez les Grecs, dict Polybe, et les anciens Gaulois, dict César1, la puissance maritale estoit sur la vie et la mort de la femme. Ailleurs, et là mesme depuis, ceste puissance a esté moderée; mais presque partout la puissance du mary et la subjection de la femme porte que le mary est maistre des actions et vœux de sa femme, la peut corriger de paroles et tenir aux ceps (la battre de coups est indigne de femme d'honneur, dict la loy), et la femme est tenue de tenir la condition, suivre la qualité, le pays, la famille, le domicile et le rang du mary, doibt accompagner et suivre le mary par-tout, en voyage, en exil, en prison, errant, vagabond, fugitif. Les exemples sont beaux de Sulpitia suivant son mary Lentulus, proscrit, et relegué en Sicile; Ærithrée, son mary Phalaris banni; Ipsicrates, femme du roy Mythridates, vaincu par Pompée, s'en allant et errant par le monde. Aucuns adjoustent à la guerre et aux provinces où le mary est envoyé avec charge publique. Et la femme ne peut estre en jugement, soit en demandant ou deffendant, sans l'authorité de son mary, ou du juge à son refus ; et ne peut appeller son mary en jugement sans permission du magistrat.

Le mariage ne se porte pas de mesme façon, et n'a pas mesmes loix et reigles par-tout; selon les diverses religions et nations il a ses reigles ou plus lasches et larges, ou plus estroictes; selon la chrestienté la plus estricte de toutes, le mariage est fort subject et tenu de court. Il n'a que l'entrée libre. Sa durée est toute contraincte, dependant d'ailleurs que de nostre vouloir. Les autres nations et religions, pour rendre le mariage plus ayse, libre et fertile, reçoivent et practiquent la polygamie et la repudiation, liberté de prendre et laisser femme,

(1, De Bello Gallico, liv. VI, c. 18, et POLYE. liv. IL

accusent la chrestienté d'avoir tollu ces deux, et par ce moyen prejudicié à l'amitié et multiplication, fins principales du mariage; d'autant que l'amitié est ennemie de toute contrainete et se maintient mieux en une honneste liberté. Et la multiplication se faict par les femmes, comme nature nous monstre richement aux loups, desquels la race est si fertile en la production de leurs petits, jusques au nombre de douze ou treize, et surpassant de beaucoup les autres animaux utiles, desquels on tue si grand nombre tous les jours, et si peu de loups; et toutesfois c'est la plus sterile de toutes. Ce qui vient de ce que de si grand nombre il y a une seule femelle qui le plus souvent profite peu et ne porte point, estouffée par la multitude des masles concurrens et affamés, la plus grande partie desquels meurt sans produire à faute de femelles. Aussi voit-on combien la polygamie profite à la multiplication parmi les nations qui la reçoivent, Juifs, Mahometans et autres Barbares, qui font des amas de trois à quatre cents mille combattans. Au contraire le christianisme tient plusieurs personnes attachées ensemble, l'une des parties estant sterile, quelquesfois toutes les deux; lesquels colloqués avec d'autres, l'un et l'autre laisseroit grande posterité; mais au mieux toute sa fertilité consiste en la production d'une seule femme. Finalement reprochent que ceste restriction chrestienne produict des desbauches et adulteres. Mais à tout cela on respond que le christianisme ne considere pas le mariage par des raisons purement humaines, naturelles, temporelles; mais le regarde d'un autre visage et a ses raisons plus hautes et nobles, comme il a esté dict, joinet que l'experience monstre en la pluspart des mariages que la contraincte sert à l'amitié, principalement aux ames simples et debonnaires qui s'accommodent facilement où ils se trouvent attachés. Et quant aux desbauches, elles viennent du desreiglement des mœurs qu'aucune liberté n'arreste. Et de faict les adulteres se trouvent en la polygamie et repudiation, tesmoin chez les Juifs, et David, qui ne s'en garda, pour tant de femmes qu'il eust; et au contraire ont esté long-❘ temps incognus en des polices bien reiglées, où n'y avoit polygamie ny repudiation, tesmoin Sparte et Rome long-temps après sa fondation. Il ne s'en faut donc pas prendre à la religion,

qui n'enseigne que toute netteté et continence.

La liberté de la polygamie, qui semble aucunement naturelle, se porte diversement selon les diverses nations et polices. Aux unes toutes les femmes à un mary vivent en commun et sont en pareil degré et rang, et leurs enfans de mesme; ailleurs il y en a une qui est la principale et comme maistresse, et les enfans heritent aux biens, honneurs et titre du mary; les autres femmes sont tenues à part et portent en aucuns lieux titre de femmes legitimes, et ailleurs sont concubines, et leurs enfans pensionnaires seulement.

L'usage de la repudiation de mesme est different; car chez aucuns, comme Hebreux, Grecs, Armeniens, l'on n'exprime point la cause de la separation, et n'est permis de reprendre la femme une fois repudiée, bien est permis de se remarier à d'autres; mais en la loy mahometane, la separation se faict par le juge avec cognoissance de cause (sauf que ce fust par consentement mutuel), laquelle doibt estre adultere, sterilité, incompatibilité d'humeurs, entreprinse sur la vie de sa partie, choses directement et capitalement contraires à l'estat et institution du mariage; et est loisible de se reprendre toutes et quantes fois qu'ils voudront. Le premier semble meilleur pour tenir en bride les femmes superbes et les fascheux marys; le second, qui est d'exprimer la cause, deshonore les parties, empesche de trouver party, descouvre plusieurs choses qui debvroient demourer cachées. Et advenant que la cause ne soit pas bien verifiée et qu'il leur faille demourer ensemble, s'ensuyvent empoisonnemens et meurtres souvent incogneus aux hommes, comme il fut descouvert à Rome auparavant l'usage de la repudiation, où une femme surprinse d'avoir empoisonné son mary en accuse d'autres, et celle-cy d'autres, jusques à soixantedix, de mesme crime, qui furent toutes executées. Mais le pire a esté que l'adultere demeure presque par-tout sans peine de mort, et sculement y a divorce et separation de compagnie, introduict par Justinien, homme du tout possedé de sa femme, qui fit passer tout ce qu'elle put à l'advantage des femmes; d'où il sort un danger de perpetuel adultere, desir de la mort de sa partie, le delinquant n'est point puny, l'innocent injurié demeure sans reparation.

Du debvoir des mariés, voyez l. III, c. xII.

CHAPITRE XLVIII.

Des parens et enfans.

Il y a plusieurs sortes et degrés d'authorité et puissance humaine, publique et privée; mais il n'y en a point de plus naturelle ny plus grande que celle du pere sur les enfans (je dis pere, car la mere, qui est subjecte à son mary, ne peust proprement avoir les enfans en sa puissance et subjection); mais elle n'a pas toujours ny en tous lieux esté pareille. Anciennement presque par-tout elle estoit absolue et universelle sur la vie, la mort, la liberté, les biens, l'honneur, les actions et deportemens des enfans, comme sont de plaider, se marier, acquerir biens: sçavoir est chez les Romains par la loi expresse de Romulus: Parentum in liberos omne jus esto relegandi, vendendi, occidendi1, exceptés seulement les enfans au-dessoubs trois ans, qui ne peuvent encore avoir mesdict ny mesfaict. Laquelle loy fut renouvellée depuis par la loy des douze tables, par laquelle estoit permis au pere de vendre ses enfans jusques à trois fois; chez les Perses, selon Aristote2; ehez les anciens Gaulois, comme dict Cesar et Prosper3; chez les Moscovites et Tartares, qui peuvent les vendre jusques à la quatriesme fois. Et semble qu'en la loy de nature ceste puissance aye esté, par le faict d'Abraham voulant tuer son fils. Car si cela eust esté contre le debvoir et hors la puissance du pere, il n'y eust ja mais consenti, et n'eust jamais pensé que ce fust esté Dieu celuy qui le luy mandoit, s'il eust esté contre la nature; et puis nous voyons qu'lsaac n'y a point resisté ny allegué son innocence, scachant que cela estoit en la puissance du pere. Ce qui ne desroge aucunement à la grandeur de la foy d'Abraham; car il ne voulut sacrifier son fils en vertu de son droict ou puissance, ny pour aucun demerite d'Isaac, mais purement pour obeir au commandement de Dieu. En la loy de Moyse de mesme, sauf quelque modification. Voylà quelle a esté ceste

(1) Que les pères aient tout droit sur leurs enfants, de les bannir, de les vendre, de les tuer. L. in suis, DICEST. de lib. et posth.

(2) Ethic. Nicom. liv. VIII, c. 12.

(3) CESAR, de Bello Gallico, c. 18. PROSPER. AQUITAN. in epist. Sigism.

(4) Gen. c. 22, v. 9 et sa.

MORAL,

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Or les raisons et fruicts d'une si grande et absolue puissance des peres sur leurs enfans, très bonne pour la culture des bonnes mœurs, chasser les vices et pour le bien public, estoient premierement de contenir les enfans en crainte et en debvoir; puis à cause qu'il y a plusieurs fautes grandes des enfans qui demeureroient impunies, au grand prejudice du public, si la cognoissance et punition n'estoit qu'en la main de l'authorité publique, soit pource qu'elles sont domestiques et secrettes, outre qu'il n'y a point de partie et poursuivant. Car les parens qui le sçavent et y sont plus interessés, ne les descrieront pas, outre qu'il y a plusieurs vices, desbauches, insolences, qui ne se punissent jamais par justice. Joinct qu'il survienne plusieurs choses à desmesler et plusieurs differends entre les parens et enfans, les freres et sœurs, pour les biens ou autres choses, qu'il n'est pas beau de publier, qui sont assoupies et esteinetes par ceste authorité paternelle. Et la loy n'a point pensé que le pere abusast de ceste puissance à cause de l'amour tant grande qu'il porte naturellement à ses enfans, incompatible avec la cruauté, qui est cause qu'au lieu de les punir à la rigueur, ils intercedent plustost pour eux quand ils sont en justice et n'ont plus grand tourment que voir leurs enfans en peine, et bien peu ou point s'en est-il trouvé qui se soit servi de ceste puissance sans très grande occasion, tellement que c'estoit plustost un espouvantail aux enfans et très utile qu'une rigueur de faict.

Or ceste puissance paternelle, comme trop aspre et dangereuse, s'est quasi de soy-mesme perdue et abolie (car c'a esté plus par desaccoustumance que par loy expresse) et a commencé de decliner à la venue des empereurs romains. Car dès le temps d'Auguste, ou bientost après, n'estoit plus en vigueur; dont les enfans devindrent si fiers et insolens contre leurs peres que Seneque, parlant à Neron, di

() DIOD. de Sic. liv. 1, sect. II, c. 27.

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soit qu'on avoit veu punir plus de parricides depuis cinq ans derniers qu'en sept cents ans auparavant1, c'est-à-dire depuis la fondation de Rome. Auparavant s'il advenoit que le pere tuast ses enfans, il n'estoit point puni, comme nous apprenons par exemple de Fulvius2, senateur, qui tua son fils pource qu'il estoit participant à la conjuration Catilinaire, et de plusieurs autres senateurs qui ont faict les procès criminels à leurs enfans en leurs maisons, et les ont condamnés à mort, comme Cassius Tratius, ou à exil perpetuel, comme Manlius Torquatus son fils Syllanus. Il y a bien eu des loix après qui enjoignent que le pere doibt presenter à la justice ses enfans delinquans, pour les faire chastier, et que le juge prononcera la sentence telle que le pere voudra, qui est encore un vestige de l'antiquité; et voulant oster la puissance au pere, ils ne l'osent faire qu'à demy, et non tout ouvertement. Ces loix posterieures n'approchent de la loi de Moyse, qui veut qu'à la seule plaincte du pere faicte devant le juge, sans autre cognoissance de cause, le fils rebelle et contumax soit lapidé3, requerant la presence du juge, à fin que la punition ne se fasse secrettement et en cholere, mais exemplairement. Et ainsi, selon Moyse, la puissance paternelle est plus libre et plus grande qu'elle n'a esté depuis les empereurs ; mais depuis, soubs Constantin le Grand, et puis Theodose, finalement soubs Justinien, elle a esté presque du tout esteincte. De là est advenu que les enfans ont apprins à refuser à leurs parens obeissance, leurs biens et leurs secours et à plaider contre eux; chose honteuse de voir nos palais pleins de tels procès. Et les en a-t-on dispensés soubs pretexte de devotion et d'offrande, comme chez les Juifs, dès auparavant Jesus-Christ, comme il leur reproche; et depuis en la chrestienté, selon l'opinion d'aucuns, voire les tuer ou en se deffendant ou s'ils se rendent ennemis de la republique ; combien que jamais il n'y sçauroit avoir assez juste cause de tuer ses parens: Nullum tantum scelus admitti potest a patre, quod sit parricidio vindicandum, et nullum scelus rationem habet1.

(1) SÉN. de Clementia, liv. II, c. 3.

(2) SALUST. in Bello Catil.

(3) Deuter. c. 221, v. 18, 19, 20, 21.

(4) Il n'est point de crime, commis par un père, quelque grand que soit ce crime, qui doive être puni par un parricide.

Or, l'on ne sent pas quel mal et prejudice il est advenu au monde du ravallement et extinction de la puissance paternelle. Les republiques auxquelles elle a esté en vigueur ont fleuri. Si l'on y cognoissoit du danger et du mal, l'on la pouvoit aucunement moderer et reigler; mais de l'abolir, comme elle est, il n'est ny beau, ny honneste, ny expedient, mais bien dommageable, comme nous venons de le dire.

Du debvoir reciproque des parens et enfans, voyez liv. III, chap. XIV.

CHAPITRE XLIX.

Seigneurs et esclaves, maistres et serviteurs.

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L'usage des esclaves et la puissance des seigneurs ou maistres sur eux, pleine et absolue, bien que ce soit chose usitée par tout le monde et de tout temps (sauf depuis quatre cents ans qu'elle s'est relaschée, mais qui se retourne mettre sus), si est elle comme monstrueuse et honteuse en la nature humaine, et qui ne se trouve point aux bestes, lesquelles ne courent ny ne consentent à la captivité de leurs semblables, ny activement ny passivement. La loy de Moyse l'a permis comme d'autres choses, ad duritiem cordis eorum 1, mais non telle qu'ailleurs; car ny si grande et absolue, ny perpetuelle, ains moderée et bornée court à sept ans au plus2: la chrestienne l'a laissée, la trouvant universelle par-tout, comme aussi d'obeir aux princes et maistres idolastres et telles autres choses, qui ne se pouvoient du premier coup et tout hautement esteindre, mais facilement et tout doucement avec le temps les a abolis.

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-Rien de ce qui est crime ne saurait être justifié. Quest. Declamat. 28. TIT.-LIV. VIII, c. 28, ex Oratione Scipion. Afric.

* Variante. L'usage des esclaves et la puissance des seigneurs ou maistres sur eux, bien que ce soit chose usitée par tout le monde et de tout temps (sauf depuis quatre cents ans qu'elle s'est relaschée, mais qui se retourne mettre sus); la generalité ou universalité n'est pas certaine preuve ny marque infaillible de nature, tesmoin les sacrifices des bestes, specialement des hommes, observés et tenus pour actes de pieté par tout le monde, qui toutesfois sont contre nature. La malice humaine passe tout, force nature, faict passer en force de loy tout ce qu'elle veut : n'y a cruauté ni meschanceté si grande qu'elle ne fasse tenir pour vertu et picté.

(1) A cause de la dureté de leurs cœurs. Exod. c. III, v. & (2) Deuter. c. 15, v. 12.

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