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et que le dénouement, amené naturellement par degrés, soit tiré du seul fond des événemens.

Il est permis de rompre le fil du récit de la principale action par des incidens, qui ne sont autre chose que des événemens, des circonstances particulières. Mais il faut que ces incidens soient vraisemblables; qu'ils tiennent par quelque chose au sujet; qu'ils piquent assez la curiosité, et offrent assez d'intérêt pour dédommager le lecteur de l'impatience qu'il a de voir la fin des

aventures.

Je ne m'étendrai pas d'avantage sur les règles du roman, parce qu'on pourra y appliquer celles du poëme épique. Mais je ne saurais trop répéter que le romancier doit toujours présenter la vertu sous des couleurs favorables et attrayantes, la faire respecter, la faire aimer dans le sein même des plus affreux malheurs et des plus humiliantes disgrâces; qu'il doit peindre le vice sous les couleurs les plus noires et les plus propres à inspirer l'horreur qu'il mérite, fût-il monté au faîte des honneurs, et parvenu au comble de la plus brillante prospérité. Tout écrivain qui s'écarte de ce principe, n'est digne ni du nom d'honnête homme, ni de celui de bon citoyen.

Je croirais hors de propos de remonter ici à la première origine des romans, sur laquelle nous avons un très-bon ouvrage

de l'auteur que j'ai déjà cité. Il me paraît de même assez inutile de faire connaître ceux que les Grecs nous ont laissés. Je me bornerai donc à dire qu'en France les romans prirent naissance avec la chevalerie, sous le règne de Charlemagne. Nos auteurs montrèrent, durant plusieurs siècles, une espèce d'émulation, pour célébrer la bravoure et la générosité des chevaliers qui couraient le monde dans la vue de redresser les torts, c'est-àdire, pour défendre l'honneur, la justice, la veuve, l'orphelin et les dames. Les productions romanesques de ces écrivains surannés ne respirent que la vertu. Elles offrent, il est vrai, un mélange bizarre de magie, d'enchantemens, et de faits inimitables qui ne sont plus guère de notre goût. Mais elles nous rappellent les mœurs de l'ancienne chevalerie; et c'est ce qui nous les fait lire avec plaisir et avec intérêt. Tels sont deux ouvrages charmans qu'a publiés le comte de Tressan; Traduction libre d'Amadis de Gaule, et un Corps d'extraits de romans de chevalerie.

une

Vers la fin du seizième siècle, d'Urfé donna, dans son Astrée, une nouvelle forme au roman. Il feignit que, du temps de nos premiers rois, une troupe de bergers et de bergères habitaient dans le Forez, sur les bords de la rivière du Lignon, et y goûtaient les plaisirs purs

que procurent la vie champêtre et les travaux rustiques. Mais l'amour ne tarda pas à troubler leur repos, et produisit parmi eux des événemens considérables qu'il décrit dans son roman. On dit que d'Urfé a voulu, sous cette image, présenter un tableau des intrigues de la cour de Henri VI.

Il serait trop long et même superflu de faire connaître ici tous les bons romans qui ont été écrits en français depuis l'Astrée. Ceux qu'on met au nombre des meilleurs, sont Zaïde et la Princesse de Clèves, par madame de Lafayette; faits avec goût, écrits avec décence, et trèspropres à entretenir dans les cœurs l'amour de la vertu.

Les Mémoires d'un homme de qualité, le Doyen de Killerine, et autres de l'abbé Prévost, pleins des situations les plus attendrissantes ou les plus terribles, et qui décèlent l'imagination la plus féconde; mais où quelquefois les événemens ne s'accordent pas assez avec la vraisem blance:

Gilblas, le Diable boiteux, et autres de le Sage: ils offrent un tableau de tous les états de la vie, le portrait ou la satire du monde:

Le Paysan parvenu de Marivaux; très-plaisant.

Je me borne à ceux-là, sans parler de ceux qui ont été traduits des langues

étrangères, quoiqu'il y en ait beaucoup qui peuvent également être lus sans danger. Mais on fera mieux de les lire tard.

FIN.

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