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RHÉTORIQUE

FRANÇAISE.

La définition qu'on a donnée de la Rhétorique est l'art de bien dire, mots par lesquels nous devons entendre ici l'art de bien écrire et de bien composer en prose. On écrit bien, lorsqu'en observant les règles de sa langue, on répand et l'on distribue à propos dans un ouvrage tous les ornemens dont il est susceptible. On compose bien, lorsqu'en suivant certaines règles déterminées propres à chaque genre, on parvient à faire un ouvrage vraiment beau dans son ensemble et dans toutes ses parties. Les ornemens du discours et les règles des divers ouvrages en prose sont donc les deux objets qui vont faire la matière de ce petit Traité.

L'éfinition

pensées.

PREMIERE PARTIE.

DES ORNEMENS DU DISCOURS.

AVAN

VANT de faire connaître les divers ornemens qui peuvent embellir le discours, il est important que je donne quelques notions des pensées et du style en général.

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

I.

Des Pensées.

PENSER, c'est former dans son esprit et qualités des la peinture d'un objet spirituel ou sensible. Ainsi, les pensées sont les images des choses. La vérité est une qualité qui leur est essentielle, et qui en fait le fondement et la solidité. Une peinture n'est véritable qu'autant qu'elle est ressemblante. Il en est de même d'une pensée : elle n'est vraie dans l'esprit de celui qui écrit, et conséquemment ne se montre telle aux yeux du lecteur, que quand l'image que l'écrivain se forme d'un objet, représente fidèlement cet objet avec ses

Propriétés. Si cette image le représente tout entier, dans toute son étendue, alors la pensée est vraie, de quelque côté qu'on la considère; et c'est ce qui en fait la jus

tesse.

Pour donner à une pensée cette vérité, cette justesse que la raison exige, il faut que l'écrivain saisisse et marque le rapport ou la disconvenance des idées dont elle est composée; c'est-à-dire, la convenance ou l'opposition qu'a l'objet dont il se forme une image, avec d'autres objets, soit sensibles, soit intellectuels. La terre est ronde. Voilà une pensée vraie : elle marque le rapport et la convenance qu'il y a entre l'idée de terre et l'idée de rondeur. Le menteur n'est pas estimable. Voilà encore une pensée vraie : elle marque la disconvenance et l'opposition qu'il y a entre l'idée de menteur et

l'idée d'estime.

Pensées

particuliers.

Il y a des pensées qui ont un caractère propre, ou des agrémens particuliers agrémens qui les distinguent. Les unes doivent ce caractère à la nature même de l'objet. Quand il est noble, grand, sublime, triste, gracieux, etc., la pensée l'est aussi. Les autres ont par elles-mêmes des agrémens, tels que la force, la hardiesse, la vivacité, la finesse, la naïveté, etc.

La pensée est forte, lorsque l'objet qu'elle représente fait une profonde impression dans l'esprit. Telle est celle-ci

de Salluste sur Catilina tué dans une bataille que ce fier conspirateur contre Rome, sa patrie, livra à l'armée de la république son corps fut trouvé parmi ceux de ses ennemis; et la fierté qui paraissait sur son visage pendant sa vie, y était encore empreinte. L'objet de cette pensée est la fierté, l'audace, l'air menacant que nous voyons sur le visage de Catilina, tout mort qu'il est, et assurément cet objet ne peut que nous frapper, nous étonner, et remuer fortement notre âme. Boileau dit, dans son épitre sur le Passage du Rhin:

De tant de coups affreux la tempête orageuse,
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oserait balancer.

Ces deux derniers vers renferment une pensée très-forte, parce que l'objet qu'elle représente fait une impression des plus vives et des plus profondes. C'est Louis XIV qui commande à la fortune : le destin de la guerre dépend de lui; sa présence rend ses soldats invincibles : dès qu'il parait, on est assuré de la victoire.

La pensée est hardie, lorsque l'objet dont elle est l'image se peint dans l'esprit avec des couleurs extraordinaires. Horace dit que les soucis volent autour des lambris dorés....... que le chagrin,

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