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péride, il aurait pu dire, en ajoutant une épithète pour arrondir sa phrase: Hypéride a imité, en ce qu'il a de beau, Péloquent Démosthène.

Voici encore une suite de phrases dont le sens est louche. «François I.er érigea » Vendôme en duché-pairie, en faveur » de Charles de Bourbon, et il le mena » à la conquête de Milan, où il se com» porta vaillamment. Quand ce prince >>> eut été pris à Pavie, il ne voulut point » accepter la régence qu'on lui propo> sait il fut déclaré chef du conseil. Il continua de travailler pour la liberté du roi; et quand il fut délivré, il con» tinua à le bien servir ».

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»

Le lecteur qui ne serait pas au fait de l'histoire, n'aurait-il pas bien de la peine à démêler les divers rapports du mot prince et du pronom il, employé tant de fois? L'historien, loin de faire un si fréquent usage de ce pronom, aurait dû répéter plusieurs fois le nom dont il tient la place. C'est ce que font les meilleurs écrivains, plutôt que de rien laisser dans le discours qui présente un sens entortillé.

La phrase suivante, sans être précisément louche, n'est pas à l'abri d'une juste critique cet illustre infortuné fut conduit à Pignerol, où M. de SaintMars était commandant. Lorsqu'il fut nommé à la lieutenance de roi de Sainte

Obscurité

Marguerite, il emmena avec lui son captif. Le rapport de ce pronom il, placé avant le verbe nommer, est-il bien sensible au premier coup d'œil, et ne faut-il pas que le lecteur réfléchisse un peu pour le voir? C'est un soin que l'auteur aurait pu aisément lui épargner, en disant: Cet illustre infortuné fut conduit à Pignerol, où M. de Saint-Mars était commandant. Lorsque celui-ci fut nommé à la lieutenance de roi de Sainte

Marguerite, il emmena avec lui son captif.

Si je pouvais soupçonner que ces remarques parussent minutieuses ou trop sévères, je répéterais ici que l'écrivain ne prenant la plume que pour instruire ou pour amuser ses lecteurs, doit, par l'arrangement des mots et des phrases, leur faciliter tous les moyens possibles de pénétrer promptement et sûrement le vrai sens de ce qu'il veut dire. Quintilien ne veut pas qu'on donne au lecteur ou à l'auditeur la peine de rien éclair

cir.

L'obscurité qui vient de la pensée, da style dans est ce qu'on appelle du galimatias,

la pensée,

et phébus.

ou

ou galimatias du phébus. Le galimatias est une suite de phrases qui n'ont aucun sens raisonnable, et auxquelles on ne comprend rien. Il a été comparé à un épais brouillard, qui nous empêche tout-à-fait de voir. Le phébus n'est pas si obscur : il

signifie, ou paraît signifier quelque chose. C'est un brouillard dans lequel il entre quelque rayon de lumière. Mais cette lumière est trop faible pour que nous puissions distinguer les objets. Maynard disait à un écrivain de son temps, qui tombait dans le phébus et le galima

tias:

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique :
Tes écrits auraient besoin
D'un deviu qui les explique.
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu'il pense,
Dis-moi, qui peut t'empêcher
De te servir du silence?

Le conseil était très-raisonnable. Il vaut mieux se taire, que de parler pour n'être pas entendu.

J'écris principalement pour les jeunes gens; et c'est en dire assez pour qu'on sente la nécessité où je suis de leur faire connaître les fautes de style échappées à nos meilleurs écrivains. Mais comme je suis bien loin de croire que mes observations puissent être une règle pour eux, je me suis imposé la loi de m'appuyer toujours de l'autorité des critiques sages et éclairés, dont le goût sûr et les connaissances profondes sont généralement reconnus. Je vais donc citer encore Racine, toujours admiré, mais toujours bien apprécié, quant au style

par

l'abbé d'Olivet. Voici la remarque de cet habile grammairien sur ces vers que le poète met dans la bouche de Mithridate: Apprenez..... qu'il n'est point de Rois,

Qui sur le trône assis, n'enviassent peut-être Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé, Que Rome et quarante ans ont à peine achevé. Je suis arrêté, dit-il, par le grand nom de Racine, qui ne permet point d'appeler ceci du galimatias. On aura beau me dire avec Racine le fils, que que hasarder ces alliances de mots n'appartient qu'à celui qui a le crédit de les faire approuver; je conviendrai qu'en effet, lorsqu'un vers ronfle bien dans la bouche d'un acteur, quelquefois le parterre ne demande rien de plus. Mais il n'est pas moins vrai qu'un auteur ne doit jamais courir après un bel arrangement de mots, sans avoir égard à la clarté des idées, et à la justesse des métaphores.

L'abbé d'Olivet termine cette remarque en citant le P. du Cerceau, qui dans ses réflexions sur la poésie française, s'exprime ainsi : J'avoue que je n'entends pas trop bien ce que signifie un naufrage élevé au-dessus de la gloire des autres rois, et encore moins ce que veut dire, achever un naufrage. Ces expressions figurées ont d'abord quelque chose qui éblouit, et l'on ne se donne pas

la peine de les examiner, parce qu'on les devine plutôt qu'on ne les entend. Mais quand on y regarde de près, on est tout surpris de ne trouver qu'un barbarisme brillant dans ce qu'on avait admiré.

Il arrive très-souvent que l'obscurité du style vient, non pas précisément du fond des pensées, mais du tour qu'on emploie pour les rendre. Ne nous lassons pas, lorsqu'il s'agit d'instruire, de citer les observations de nos plus grands génies et de nos meilleurs écrivains. Un tour heureux, dit Montesquieu en parlant de quelques auteurs modernes, leur paraît plat, parce qu'il n'a pas l'air d'avoir coûté: une idée mise galamment, mais en habit simple, ne paraît pas piquante à ces messieurs. Ils veulent lui donner des grâces de leur façon ; ils la tournent, ils la serrent, et, après bien des soins, ils arrivent à être entortillés, pour avoir voulu être délicats, et à être obscurs pour avoir eu envie d'être

vifs.

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II. De l'Affectation du Style.

L'Affectation du style est un éloignement du naturel. Dire en termes trop recherchés des choses simples et communes, pour les faire paraître plus grandes et plus ingénieuses qu'elles ne le sont

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