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l'éloge, ainsi que de l'académicien qu'on a perdu.

L'orateur n'a pas ici de grandes passions à exciter. Il ne faut donc pas que son style ait cette force et cette véhémence qui remue l'âme, et l'arrache à elle-même. Mais on exige que l'orateur étale les plus beaux ornemens, les plus brillantes fleurs de l'éloquence, pourvu qu'il le fasse sans affectation et avec goût. On exige qu'il joigne à la justesse et à l'élévation des pensées, une diction riche, nombreuse et variée. Le plus parfait modèle qui puisse être proposé en ce genre d'éloquence, est le discours que prononça Racine à la réception de Thomas Corneille, qui succédait à son frère. En voici un morceau frappant. Après avoir comparé le grand Corneille aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes, dit-il, ne s'honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en-même-temps qu'eux, il continue ainsi :

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« Oui, Monsieur; que l'ignorance rabaisse tant qu'elle voudra l'éloquence et la poésie, et traite les habiles écri» vains de gens inutiles dans les Etats; nous ne craindrons point de dire, à » l'avantage des lettres et de ce corps dont vous faites maintenant partie du moment que des esprits sublimes, pas

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>> sant de bien loin les bornes communes,

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se distinguent, s'immortalisent par des >> chefs-d'œuvre comme ceux de monsieur » votre frère, quelque étrange inégalité que durant leur vie la fortune mette

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entre eux et les plus grands héros, après » leur mort cette différence cesse. La » postérité, qui se plaît, qui s'instruit » dans les ouvrages qu'ils lui ont laissés, ne fait point de difficulté de les égaler » à tout ce qu'il y a de plus considérable » parmi les hommes, fait marcher de pair l'excellent poète et le grand capi» taine. Le même siècle, qui se glorifie aujourd'hui d'avoir produit Auguste, ne se glorifie guère moins d'avoir pro>> duit Horace et Virgile. Ainsi, lorsque » dans les âges suivans on parlera avec » étonnement des victoires prodigieuses >> et de toutes les grandes choses qui ren>> dront notre siècle l'admiration de tous » les siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place >> parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra toujours avec plaisir >> que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes.. On croira même ajouter quel» que chose à la gloire de notre auguste >> monarque, lorsqu'on dira qu'il à es» timé, qu'il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie; que même, deux jours avant sa mort, et lorsqu'il ne lui

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>> restait qu'un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de > sa libéralité; et qu'enfin les dernières » paroles de Corneille ont été des remercimens pour Louis-le-Grand ».

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Tout est beau, tout est grand dans ce discours. Il y règne, d'un bout à l'autre, une éloquence noble, sublime, et enmême-temps naturelle : c'est un vrai chef-d'œuvre.

II. Des Harangues et des Eloges.

Les Harangues ou complimens de félicitation, de remercîmens, de condoléance, etc., que les corps littéraires font aux princes, sont dans le genre brillant et fleuri. La briéveté, l'élégance, la délicatesse surtout, doivent les distinguer, parce que l'éloge en fait ordinairement le fond. On remarquera ces qualités dans les deux exemples suivans. Le premier est un compliment fait à Louis XV sur son sacre, par Fontenelle, au nom de l'Académie française.

SIRE,

« Au milieu des acclamations de tout » le royaume, qui répète avec tant de >> transport celles que votre majesté a › entendues à Reims, l'Académie fran»çaise est trop heureuse et trop honorée

» de pouvoir faire entendre sa voix jus» qu'au pied de votre trône. La nais>> sance, sire, vous a donné à la France » pour roi, et la religion veut que nous >> tenions aussi de sa main un si grand >> bienfait. Ce que l'une a établi par 'un

droit inviolable, l'autre vient de le » confirmer par une auguste cérémonie. >> Nous osons dire cependant que nous >> l'avions prévenue: votre personne était » déjà sacrée par le respect et par l'a» mour. C'est en elle que se renferment >> toutes nos espérances; et ce que nous » découvrons de jour en jour dans votre » majesté, nous promet que nous allons

voir revivre en-même-temps les deux » plus grands d'entre nos monarques, >> Louis, à qui vous succédez, et Charle>> magne, dont on vous a mis la couronne » sur la tête ».

Pierre-le-Grand, empereur de Russie, qui après avoir voyagé dans les différentes parties de l'Europe, pour s'instruire des lois, des mœurs et des arts, acquit, le premier, l'immortelle gloire de civiliser ses peuples, était venu à Paris en 1717; et deux ans après, il fit savoir à l'Académie royale des sciences qu'il désirait être à la tête de ses membres honoraires. Fontenelle, secrétaire perpétuel de cette compagnie, lui écrivit

en ces termes :

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SIRE,

« L'honneur que votre majesté fait à , l'Académie royale des sciences, de vouloir bien que son auguste nom soit mis à la tête de sa liste, est infiniment au-dessus des idées les plus ambitieuses qu'elle pût concevoir, et de toutes les actions de grâces que je suis chargé de vous en rendre. Ce grand nom, qu'il nous est presque permis de compter parmi les nôtres, marquera éternellement l'époque de la plus heureuse révolution qui puisse arriver à un empire, celle de l'établissement des - sciences et des arts dans le vaste pays de la domination de votre majesté. La victoire que vous remportez, sire, sur la barbarie qui y régnait, sera la plus éclatante et la plus singulière de toutes vos victoires. Vous vous êtes fait, ainsi d'autres héros, de nouveaux sujets par les armes: mais de ceux que la naissance vous avait soumis, vous vous en êtes fait, par les connaissances qu'ils tiennent de vous, des sujets tout nouveaux, plus éclairés, plus heureux, plus dignes de vous obéir, vous les >>> avez conquis aux sciences; et cette espèce de conquête, aussi utile pour eux que glorieuse pour vous, vous était réservée. Si l'exécution de ce grand » dessein, conçu par votre majesté,

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