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un homme à l'improviste, lui mettre le poignard sous la gorge; celui-ci, saisi de frayeur, crier, supplier, s'enfuir, ou faire de vains efforts pour se défendre, et enfin tomber percé de coups? Ne verrai-je point son sang couler, la pâleur de son visage, ses yeux s'éteindre, et sa bouche qui s'entrouvre pour rendre le dernier soupir?

Il s'ensuit de la réflexion de ce judicieux écrivain, que l'orateur doit imaginer vivement, pour se pénétrer des actions qu'il veut exciter. Il ne manquera pas alors de peindre avec force, de rendre son discours passionné, et d'émouvoir, par ce moyen, les passions de ses audi

teurs.

Je pourrais faire voir, par divers exemples, la manière dont les meilleurs, orateurs ont excité les passions. Il suffira d'en citer un seul fourni par un grand maître, et qui peut bien servir de modèle: il est tiré d'une Oraison de Ciceron contre Verrès, préteur de Sicile, qui avait condamné au dernier supplice Gavius, citoyen romain. Voici à-peu-près le sens littéral de ce morceau :

« Au milieu de la place publique de » Messine, un citoyen romain était cruel» lement frappé de verges: tandis que » dans ses cuisantes douleurs, à travers » le bruit des coups redoublés, il ne fai> sait entendre d'autre plainte, d'autre

>> crique celui-ci : Je suis citoyen romain. » Il croyait qu'en réclamant ce titre, il » se verrait délivré du rigoureux supplice

qu'on lui faisait subir. Ce fut en vain : » non-seulement il ne fut point arraché » à la violence et au déchirement des » verges, mais encore dans ce moment » même où sa voix gémissante répétait, >> sans interruption, le nom de citoyen >> romain, le supplice de la croix, oui, de la croix, était préparé pour ce mal» heureux tout meurtri de coups, et qui, jusqu'à ce jour, n'avait point vu » d'exemple d'un pareil pouvoir ».

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Après cette description vive et touchante, l'orateur invoquant les lois qui défendaient de condamner au supplice des verges ou de la mort un citoyen de Rome, sans l'ordre du peuple romain, s'écrie, pour faire sentir toute l'injustice de cet indigne

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traitement :

« O doux nom de la liberté, ô admi»rable prérogative de notre ville! O loi Porcia! O leis des Sempronius! O puis»sance des tribuns si désirée, et quel quefois rendue au peuple remain! Tout » s'est-il évanoui, jusque là qu'un citoyen romain, dans une des provinces » du peuple romain, dans une ville de » ses alliés, ait été publiquement frappé » de verges, par l'ordre d'un homme » que ce niême peuple romain avait gra>tuitement honoré des haches et des fais

ceaux? Si les cris douloureux, les vives supplications de ce malheureux en proie à l'ardeur des torches brûlantes et à la rigueur des autres tourmens, n'étaient pas capables d'ébranler ton âme, ne devais-tu pas, au-moins, être touché des sanglots, des larmes et des gémissemens de tous les Romains présens à ce barbare spectacle? Tu as osé faire attacher à une croix un homme qui se disait citoyen romain » !

qui

L'orateur n'en reste pas là: il rapporte ne dernière circonstance du supplice de Gavius, pour accabler Verrès de tout odieux qu'il mérite, en peignant aux de ses juges son industrieuse

yeux cruauté :

« Tu ne peux point nier, puisque tu n'as pas craint de le dire publiquement, » que tu n'aies fait planter l'instrument de son supplice dans cet endroit de la » ville qui est près du détroit, afin que >> celui qui se disait citoyen romain, pût » du haut de cette croix jeter ses der»niers regards sur l'Italie et sur sa pro» pre maison, Oui, Messieurs, c'est la » première croix, la seule croix qui, » depuis la fondation de Messine, ait été » élevée en cet endroit: et ce lieu a été » choisi, afin que le malheureux Gavius » comprit, en mourant, qu'un bras de » mer très-étroit formait la séparation de > l'esclavage de la liberté, et afin que

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» l'Italie vît un de ses enfans mourir vic>> time de tous les excès du pouvoir tyrannique ».

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Enfin, Cicéron termine ce récit passionné, et bien capable d'allumer toute l'indignation des juges contre Verrès, par ces paroles si fortes et si pathétiques :

Si j'adressais ces plaintes, je ne dis » pas à des citoyens romains, je ne dis » pas à quelques-uns de nos alliés, je ne >> dis pas à des nations chez lesquelles > notre nom fût parvenu, je ne dis pas » enfin à des hommes, mais à des bêtes » sauvages, aux pierres et aux rochers » les plus durs d'un affreux désert; ces » êtres muets, inanimés et insensibles » seraient touchés du récit d'une action » si indigne et si atroce. Que doit-ce » donc être, lorsque je parle à l'auguste » sénat de Rome, aux auteurs des lois, » des jugemens et de notre jurispru»dence, etc. » ?

ARTICLE II.

De la Disposition.

L'invention, comme on vient de le voir, aide l'orateur à trouver les choses qu'il doit dire. La disposition lui prescrit la manière de les distribuer, de les arranger, de les lier entre elles. Le succès

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du discours, dit Cicéron (*), dépend de la forme qu'on lui donne, et de la manière dont on le traite: car quant aux choses, aux matières des preuves, l'intelligence en est aisée. Que reste-t-il ensuite à l'art de la composition? sinon qu'il faut ; 1.o commencer par un exorde qui nous concilie la bienveillance des auditeurs, qui les rende attentifs, et qui les dispose à nous écouter favorablement; 2.° exposer le fait d'une manière claire, si courte et si plausible, que l'on comprenne aisément l'état de la question; 3. établir solidement ses moyens, et renverser ceux de l'adversaire par des raisonnemens concluans et placés avec ordre, de manière que l'on sente la liaison des conséquences avec les principes; 4. terminer le discours par une péroraison qui puisse allumer ou éteindre les passions, selon le besoin. Voilà donc la disposition générale du discours. Les principales parties qui le composent sont l'exorde, la narration, la confirmation, et la péroraison.

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I. De l'Exorde..

L'exorde est le commencement du discours. L'orateur y doit préparer l'esprit de ses auditeurs à recevoir favora

(*) De Orat., n.o 122.

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