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Il serait aisé de le prouver par une foule d'exemples. Je me borne à celui-ci, tiré du panégyrique de saint Benoît.

Nul presque de tous ceux que le » monde séduit et entraîne, n'est content » de sa destinée; et si l'espoir d'une con>>dition plus heureuse n'adoucissait les

peines de notre état présent, et ne liait » encore nos cœurs au monde, il ne fau» drait, pour nous en détromper, que » les dégoûts et les amertumes vives que » nous y trouvons. Mais nous sommes, >> chacun en secret, ingénieux à nous sé» duire sur l'amertume de notre condi» tion présente. Loin de conclure que le » monde ne saurait faire des heureux, et

qu'il faut chercher ailleurs le bonheur » où nous aspirons, et que le monde ne ⚫ saurait nous donner, nous nous y pro» mettons toujours ce qui nous manque » et ce que nous souhaitons: nous char>> mons nos ennuis présens par l'espoir » d'un avenir chimérique; et par une » illusion perpétuelle et déplorable, nous » rendons toujours inutiles les dégoûts que » Dieu répand sur nos passions injustes, » pour nous rappeler à lui par des espé>> rances que l'événement dément toujours, » mais où nous prenons de notre méprise » même l'occasion de tomber dans de »> nouvelles ».

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III. Des Passions.

Les passions sont, en général, des mouvemens qui s'élèvent dans notre âme, et qui sont un effet des impressions qu'elle reçoit. Si ces impressions sont légères, les mouvemens qui se font sentir dans notre âme sont doux; et alors on les nomme simplement sentimens. Si ces impressions sont vives, les mouvemens qui agitent notre âme sont véhémens; et alors on les nomme proprement pas

sions.

- Les objets présentés à notre âme lui paraissent-ils agréables ou utiles? notre volonté se porte vers ces objets, les poursuit, les aime, et s'y attache de là l'amour. Ces objets lui paraissent-ils désagréables ou pernicieux ? notre volonté s'en éloigne, les fuit et les déteste : de là la haine. Ces deux passions sont la base de toutes les autres: il n'en est absolument aucune qui ne se rapporte à l'une de ces deux-là, et qui n'en soit comme une émanation.

Ces mouvemens que notre âme éprouve à la vue des objets, sont indifférens par eux-mêmes, quelque doux, quelque impétueux qu'on les suppose. Mais si vous vous réjouissez d'un bien arrivé à votre ennemi, ce sentiment de joie est bon et louable. Si, au contraire, vous vous

Définition des passions.

réjouissez des revers qu'il a essuyés, ce sentiment est criminel et vicieux. Si vous vous indignez à la vue de la prospérité d'un méchant, cette indignation est louable. Si vous vous indignez à la vue de la prospérité d'un homme de bien, cette indignation est criminelle.

Ces mouvemens de notre âme peuvent donc être en nous les principes des différentes vertus, ou des différens vices, selon l'objet vers lequel ils sont dirigés. Ainsi les passions sont bonnes, lorsqu'elles nous portent à quelque chose d'honnête; mauvaises, lorsqu'elles nous portent à quelque chose de vicieux, ou même à quelque chose d'honnête d'une manière vicieuse. Chercher, par exemple, à procurer un emploi à son ami, c'est. une chose honnête. Mais chercher à le faire élever à ce poste, en prenant des mesures pour en déposséder celui qui l'occupe, c'est une chose criminelle et digne de toute censure.

Puisque les passions ne sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises, il s'ensuit non-seulement que l'usage n'en peut pas être répréhensible dans le discours oratoire, mais encore qu'il n'en peut être que louable, si on les dirige vers un objet qui de sa nature soit bon et utile. Ajoutons que cet usage des passions est absolument nécessaire. Ce n'est qu'en les excitant que l'orateur est vraiment

éloquent ce n'est que par elles qu'il triomphe des cœurs, y exerce un empire souverain, les arrache au vice, en leur inspirant la haine la plus forte pour tout ce qui est mauvais et criminel, les entraîne à la vertu, en leur inspirant l'amour le plus vif pour tout ce qui est bon et

honnête.

Mais, pour que l'orateur soit autorisé à exciter une passion quelconque, il faut que ses auditeurs aient une âme susceptible de cette passion, que la chose pour laquelle il veut l'exciter, puisse en être un sujet, et que les motifs pour lesquels il veut l'exciter, soient justes. Ces trois préceptes sont trop clairs par eux-mêmes, il est trop aisé d'en saisir toute l'étendue, pour qu'il soit besoin de les développer.

Moyens

d'exciter

Le plus sûr moyen d'exciter les passions, est d'en être soi-même pénétré. les passions. Voulez-vous, dit Horace (1), m'attendrir le récit de vos malheurs, et me par tirer des larmes, commencez à en verser vous-même. Il n'est pas possible, dit Cicéron (2), que celui qui écoute se porte à la douleur, à la haine, à l'envie, à la crainte, aux pleurs, à la pitié, si l'orateur ne se montre touché des sentimens qu'il veut inspirer aux autres. Quel est l'orateur qui pourra se flatter

(1) Art Poét.

(2) De Orat. Liv. II.

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d'inspirer à ses auditeurs la pitié pour les malheureux, s'il ne la ressent luimême? Quel est le général d'armée qui fera naître dans le cœur de ses soldats la passion de la gloire, s'il n'en est luimême dévoré? Rappelons encore ici ce précepte si vrai et si connu, que, pour être éloquent, il faut sentir vivement, avoir une âme toute de feu: sans cela on ne pourra jamais enflammer l'âme des

autres.

Mais comment sentir vivement des choses qui n'ont qu'un rapport indirect avec nous, ou même qui nous sont purement étrangères? Comment éprouver une émotion vive et profonde, pour la faire naître dans les autres? Voici sur ce sujet la pensée de Quintilien.

Quoique nous ne soyons pas les maîtres de nos mouvemens, dit ce rhéteur (*), nous pouvons cependant nous faire des images si vives et si justes des choses absentes, qu'elles les rendent présentes et comme exposées à nos yeux. Celui qui s'en forme de telles, est toujours puissant et fort dans ses mouvemens. Par exemple, ajoute-t-il un peu plus bas, si j'ai à déplorer un assassinat, ne pourrai-je point me figurer tout ce qui vraisemblablement s'est passé en cette occasion ? ne verrai-je point l'assassin attaquer

(*) Inst. Liv. VI, ¢. 2.

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