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On sent la différence de l'harmonie dans ces deux périodes. Dans celle-ci, elle est forte, vive, rapide; dans l'autre, elle est douce, mais en -même-temps majestueuse. C'est à cette variété que l'écrivain doit s'attacher, pour se faire lire avec un plaisir et un intérêt qui se soutiennent jusqu'à la fin.

Le style périodique a plus de noblesse, d'harmonie et de dignité que le style coupé. Celui-ci est plus léger, plus vif, plus brillant. Ni l'un ni l'autre ne doivent être exclus d'aucun sujet. Il faut même les employer tour-à-tour, pour répandre de la variété dans un ouvrage. Cependant on peut dire en général que le style périodique convient mieux aux sujets nobles et sérieux, et le style coupé aux sujets agréables et badins.

On peut conclure de ces notions préliminaires sur les pensées et le style en général, qu'il faut bien prendre garde, quand les pensées ont en elles-mêmes des agrémens, à ne pas les en dépouiller par le mauvais emploi des expressions; et que, quand elles n'en ont pas, il faut s'appliquer à leur en donner par l'expression même. Il est essentiel pour cela de savoir, 1.° quelles doivent être les qualités du style; 2.° qu'est-ce que le style figuré; 3.o quelles en sont les différentes espèces. C'est ainsi que l'on connaîtra les tours, les ornemens, les

richesses variées que nous fournit notre langue, et que l'on apprendra en-mêmetemps l'art de les employer, en fixant son attention sur l'usage qu'en ont fait les bons écrivains.

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Des Qualités du Style.

QUELQUE sujet que l'on traite, et quelle

que soit la forme du style que l'on emploie, on ne doit jamais oublier que le principe et le fondement de l'art d'écrire est, suivant Horace, le bon sens, c'està-dire, ce jugement droit, cette raison sage qui retient toujours dans de justes bornes l'esprit le plus vif et le plus brillant, l'imagination la plus féconde et la plus impétueuse. Boileau, qui a senti toute la vérité de ce précepte, a dit après le poète latin:

Aimez donc la raison. Que toujours vos écrits Empruntent d'elle seule, et leur lustre et leur prix (*).

-Les qualités, ou agrémens du style, auxquelles il faut principalement s'attacher, sont la clarté et la convenance : toutes les autres sont comprises dans ces

(*): Art poét., ch. I.

Nécessité d'être clair dans son style.

deux là. Je vais les faire connaître, et je dirai ensuite un mot des défauts qui leur sont opposés.

ARTICLE Ier.

De la Clarté du Style.

La lumière du soleil frappe nos yeux sans que nous y fassions attention: telle doit être, suivant la pensée de Quintilien (1), la lumière qui brille dans un ouvrage d'esprit. Un écrivain ne pense, ne parle que pour les autres. Son premier devoir est donc de parler d'une manière à se faire entendre, d'une manière même à ne pouvoir n'être pas entendu. Une pensée a besoin d'être présentée dans tout son jour, pour être bien saisie du lecteur. Pourquoi affecteriez-vous de l'envelopper et de ne la présenter qu'à demi? Croiriez-vous par là montrer de la finesse, de la profondeur, de l'esprit ? Quelle erreur ! L'esprit n'a consisté ni ne consistera jamais dans une manière de s'exprimer entortillée, mystérieuse et presque énigmatique,

Ce que j'appelle esprit, c'est la vive peinture
Des naïves beautés qu'étale la nature,
Qui fait que d'un coup-d'œil le lecteur aperçoit
Un objet tout entier et tel qu'il le conçoit (2).

(1) De Iust., 1. 8, c. 2.

(2) Pope, Essai sur la Critique, trad. du Resnel.

par

l'abbé

Voilà le bon esprit, l'esprit vrai, l'esprit seul agréable, qui fait le mérite d'un ouvrage, la gloire d'un écrivain, et le charme du lecteur. Oui, il faut qu'à la première lecture, avec une médiocre attention, sans gêne et sans étude, on trouve un sens net et développé. Si l'on est obligé de le chercher, le style manque de clarté, et par-là même est vicieux.

Il est donc du devoir de l'écrivain, de donner à ses pensées toute l'explication et toute la clarté qu'il faut, pour que ses lecteurs les comprennent parfaitement. S'il doit, suivant le précepte d'Horace, tâcher d'être court, c'est sans rien omettre de ce qui est essentiel et nécessaire. Mais, en fuyant toute brièveté obscure, il prendra bien garde, enmême-temps, de ne pas tomber dans l'excès contraire, la prolixité. On évite ce défaut, en passant sous silence tout ce qui est superflu, c'est-à-dire, tout ce qui peut être aisément entendu sans être exprimé.

Moyens d'être clair

dans

Pour être clair dans votre style, ne dites ni plus ni moins qu'il ne faut; et pour parvenir à ce point, plus difficile son style. et plus délicat qu'on ne pense, concevez bien votre idée, saisissez-la toute entière, embrassez-la dans toute son étendue : il est impossible que vous ne la rendiez de même, sans rester au-dessous, sans aller

au-delà. Quand l'image que nous nous formons d'un objet est claire et lumineuse dans notre esprit, elle doit nécessairement se montrer telle aux yeux du lecteur. Réfléchir long-temps sur son sujet, le posséder pleinement; arranger toutes ses pensées avec ordre, et les enchaîner si bien qu'elles paraissent naître sans effort les unes des autres; voilà le vrai moyen de mettre tout-à-la-fois de l'ensemble et de la clarté dans son style.

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit ou moins nette ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément (*).

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Observez aussi à la lettre ce précepte si sage que donne La Bruyère. Tout écrivain, dit-il, pour écrire nettement doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu'il lit pour la première fois, où il n'a nulle part, et que l'auteur aurait soumis à sa critique; et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est en effet intelligible.

Un moyen encore infaillible d'écrire avec clarté, c'est de placer les mots

(*) Boileau,, Art poét., ch. I.

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