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conscrivant dans ses véritables limites, crée un plan vaste, mais tout-à-la-fois simple, cláir, juste et exact. Elle est le fruit du génie, qui résulte du concert de l'imagination qui embellit les objets, et du jugement qui conduit toujours l'esprit au vrai, et, par conséquent, au beau; génie que l'étude et les préceptes ne peuvent point donner, mais qu'ils peuvent seuls diriger et perfectionner.

Il est seulement question de cette invention oratoire, qui est un effet de l'art, et au moyen de laquelle l'orateur peut aisément trouver les choses qui doivent composer son discours. L'objet qu'il se propose est de persuader; et, pour en venir à bout, il doit, comme je l'ai déjà dit ailleurs, instruire, plaire et toucher, quoiqu'il arrive quelquefois qu'un seul de ces moyens suffise. Il doit instruire, c'est-à-dire, éclairer l'esprit en faisant connaître la vérité; plaire, c'est-à-dire, flatter l'imagination en faisant admirer cette vérité; toucher, c'est-à-dire, maîtriser l'âme, en faisant sentir tout le poids et toute la force de cette vérité. Or, pour instruire, il faut qu'il fasse usage des preuves; pour plaire, il faut qu'il peigne les mœurs; pour toucher, il faut qu'il excite les passions. A chacune de ces trois choses se rapporte spécialement chacun des trois genres d'éloquence dont nous avons parlé; le

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genre simple, aux preuves que l'orateur veut développer; le genre fleuri, aux moeurs qu'il veut peindre; le genre sublime, aux passions qu'il veut exciter. Mais il est bon d'observer ici que ces trois cho. ses peuvent se trouver, et se trouvent quelquefois ensemble. Bien souvent l'orateur, en faisant valoir une preuve, peint en-même-temps les mœurs et excite les passions.

I. Des Preuves.

L'orateur qui se propose d'instruire doit exposer clairement la vérité qu'il veut faire connaître. Mais après l'avoir exposée, il faut qu'il l'établisse, et la prouve si solidement, qu'elle ne puisse point être révoquée en doute. Quelles sont donc les sources où il peut puiser ses preuves ?. l'invention les fui indique : ce sont de cer tains chefs généraux appelés lieux com · muns, parce qu'ils appartiennent à tous les genres d'oraison, à toutes les matières qui sont du ressort de l'éloquence. Ils sont intérieurs ou extérieurs. Les lieux intérieurs sontdans le sujet même : les extérieurs sont hors du sujet. Les principaux Lieux oratoires lieux intérieurs (car il serait trop long et même inutile de les parcourir tous) sont la définition, l'énumération des parties, la similitude, les contraires, et les circon

stances.

intérieurs.

Définition.

La définition n'est, en elle-même, qu'une explication courte, simple et claire de la nature d'une chose. Mais l'orateur, loin de se borner à cette explication, s'attache à développer d'une manière étendue et ornée la nature de ce qu'il définit. Il emploie ce lieu commun pour prouver que ce qu'il dit d'une chose est vrai. Fléchier, dans son Oraison funèbre de Turenne, veut faire voir combien il faut de prudence à un général pour conduire ses soldats; pour se faire craindre, sans se mettre en danger d'être haï; pour se faire aimer, sans perdre un peu de l'autorité, et sans relâcher de la discipline militaire. En conséquence, il définit une armée; et l'on va voir que cette définition est une bien forte preuve de la vérité qu'il veut

établir.

« Qu'est-ce qu'une armée ? C'est un » corps animé d'une infinité de passions » différentes, qu'un homme habile fait › mouvoir pour la défense de la patrie; » c'est une troupe d'hommes armés, qui » suivent aveuglément les ordres d'un » chef, dont ils ne savent pas les inten>>tions; c'est une multitude d'âmes, pour » la plupart viles et mercenaires, qui, » sans songer à leur propre réputation, » travaillent à celle des rois et des con» quérans; c'est un assemblage confus de » libertins qu'il faut assujétir à l'obéis

» sance; de lâches, qu'il faut mener au » combat; de téméraires, qu'il faut retenir; d'impatiens, qu'il faut accoutumer à la » confiance ».

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Le Père de Neuville, dans son Oraison funèbre du cardinal Fleuri, pour prouver que le principe de l'élévation de ce ministre fut le mérite, mais un mérite connu, estimé, éprouvé, qui ne s'élève à des emplois plus distingués qu'en se montrant supérieur aux places qu'ils occupe, nous trace cette brillante description de la cour, description qui en est une définition bien exacte et bien vraie.

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Après avoir acquis les richesses de » la littérature, et percé les profondeurs » respectables de la religion, l'abbé de » Fleuri paraît à la cour avec cette phy

sionomie heureuse que Dieu imprime » sur le front des hommes qu'il pré» pare aux hautes destinées. Là, sur ce » théâtre changeant et mobile, où la » scène varie à chaque instant; où, sous » les apparences du repos, règne le mou>>vement le plus rapide; dans cette région d'intrigues cachées, de perfidies » ténébreuses, de méchanceté profonde et réfléchie; dans cette région où l'on » respecte sans estimer, où l'on applau» dit sans approuver, où l'on sert sans » aimer, où l'on nuit sans haïr, où l'on › s'offre par vanité, où l'on se promet

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» par politique, où l'on se donne par » intérêt, où l'on s'engage sans sincérité, » où l'on se retire, où l'on s'abandonne

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sans bienséance et sans pudeur; dans » ce labyrinthe de détours tortueux, où » la prudence marche au hasard, où la » route de la prospérité mène si souvent » à la disgrâce, où les qualités néces» saires pour avancer sont souvent un >> obstacle qui empêche d'y parvenir, » où vous n'évitez le mépris que pour >> tomber dans la haine, où le mérite >> modeste est oublié, parce qu'il ne s'an»nonce pas, où le mérite qui se produit >> est écarté, opprimé, parce qu'on le >> redoute, où les heureux n'ont point » d'amis, puisqu'il n'en reste point aux >> malheureux; là, dès les premiers pas » que l'abbé de Fleuri fait dans ces sen» tiers embarrassés, on croirait qu'il les » a parcourus mille fois.... Il apporte à » la cour les talens qu'on vient y cher» cher; il n'y prend aucun des vices » qu'elle a coutume de donner.... Les » sociétés du goût le plus fin, le plus délicat et le plus difficile, le reçoivent, l'appellent et l'invitent..... Il se con>>cilie tous les esprits, il obtient tous les >> suffrages ».

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On peut juger, par ces deux exem ples, que ce lieu commun fournit à l'éloquence de bien brillans morceaux. On voit aussi que l'orateur définit les

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