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cultiva l'art des Sophocle et des Euripide. Lucain peignit, en vers dignes de l'épopée, les fureurs des discordes civiles. dans les champs de Pharsale. Pline le jeune consacra le talent de l'éloquence à louer un des plus parfaits modèles des bons souverains. Mais le règne de la belle nature avait alors fait place au règne du bel esprit. Vainement sous les successeurs d'Auguste, Tacite et Quintilien avaient lutté contre le mauvais goût qui défigurait l'éloquence et la poésie. L'enflure, le gigantesque, les jeux d'esprit, les faux brillans du tragique romain et du chantre de César, ne firent qu'en accélérer les progrès; et le panégyriste de Trajan ne put en éviter la contagion.

Les peuples du nord inondèrent l'Italie. Le siége de l'empire romain fut transféré à Constantinople. Les arts s'y réfugièrent, et y jetèrent par intervalles quelques faibles lueurs. Le reste de l'Europe fut plongé dans l'ignorance et dans la barbarie. Heureusement les moines s'occupaient dans leur solitude à copier des livres, et nous conservèrent ainsi les trésors de l'antiquité. Au milieu de ces ténèbres, les Troubadours, ou poètes provençaux, firent entendre, dans nos provinces méridionales, leurs naïves chansons. Mais le Dante et Pétrarque furent les premiers poètes qui, en illus

trant l'Italie, annoncèrent la renaissance des arts.

Quelque temps après, Constantinople tomba sous les efforts de la puissance Ottomane. Des savans de cette ville furent appelés dans les États des Médicis, qui régnaient à Florence, et qui occupaient le trône de l'Eglise. Comblés des bienfaits de ces souverains, ils enseignèrent publiquement les langues anciennes, et un des Lascaris, de la famille des empereurs de Nicée, ne dédaigna pas d'ouvrir une école de grammaire latine et grecque. Les chefs-d'œuvre de Rome et d'Athènes furent alors reproduits avec des commentaires qui en découvraient les beautés. Une foule de poètes, d'orateurs et d'historiens, firent revivre dans leurs belles productions la langue des anciens Romains. Erasme, le fléau du mauvais goût de son temps; Vida, critique habile et poète immortel; Sadolet, Budée, Perpinien, Mariana, ce digne émule de Tacite, et mille autres savans non moins illustres, ouvrirent les sources de la bonne littérature. L'Italie fut l'heureuse contrée où les lettres et les arts fleurirent avec le plus d'éclat; Machiavel se distingua par la profondeur de son génie et par l'élégance de sa diction. Guichardin excella dans le genre de l'histoire. L'Arioste enrichit sa patrie d'un poëme admi

Siècle des Médicis.

Siècle

rable. Le Trissin fit luire dans l'épopée l'aurore du bon goût; et le Tasse suivit d'un pas ferme et rapide les traces d'Homère et de Virgile. En Portugal, le Camoëns cultiva la poésie épique avec de grands succès. En Angleterre, Shakespeare offrit, dans ses poëmes tragiques, un mélange de beautés sublimes et de défauts monstrueux. En France, Marot charmait les esprits par ses poésies pleines d'enjouement et de naïveté; de Thou crayonnait, dans la langue des Césars, les malheurs de son siècle, lorsque parurent Pibrac, Montaigne et Charron. Mais ces hommes de génie ne connurent point tous les agrémens dont notre langue était susceptible. Bientôt Malherbe les déploya dans une poésie noble, harmonieuse, énergique; et, après lui, Balzac donna du nombre, de la cadence et de la grâce au discours.

Le feu des guerres civiles embrâsait la de Louis XIV France. Richelieu, après avoir pacifié le royaume, établissait la balance de l'Europe, lorsque le grand Corneille, père de notre théâtre, créa une tragédie nouvelle, et partagea le laurier de Sophocle. Patru, le Maistre et Gautier commençaient alors à introduire la vraie éloquence dans le barreáu. Louis XIV monta sur le trône, et bientôt il se fit une révolution étonnante dans le gouvernement, l'esprit et les mœurs de tous

les peuples de l'Europe. Tandis que Milton publiait en Angleterre son poëme épique, on vit éclore parmi nous des prodiges; des chefs-d'œuvre en tous les genres. Ce siècle des lumières et du vrai goût n'eut presque rien à envier aux beaux siècles d'Alexandre, d'Auguste et des Médicis. La Rochefoucault fit un portrait achevé du cœur de l'homme. Molière enleva le sceptre de la comédie aux Grecs et aux Latins, et le laissa entre les mains de Regnard. La Fontaine, supérieur à Esope et à Phèdre, montra l'apologue avec toute la perfection imaginable. Pascal fit éclater dans sés divers écrits le génie le plus pénétrant, le plus sublime et le plus vigoureux. Bourdaloue, Bossuet, Massillon, Fléchier, donnèrent à l'éloquence sacrée autant de force, d'agrémens et de majesté que Démosthène et Cicéron en avaient donné à l'éloquence profane. Boileau suivit de près Horace, et laissa derrière lui Perse et Juvénal. Madame des Houlières offrit, dans ses Idylles, de vrais modèles de poésies bucoliques. Racine se montra le digne rival d'Euripide. Quinault créa et perfectionna le spectacle lyrique. La Bruyere égala Théophraste. Fénélon étala, dans une poésie non rimée, tout le merveilleux de l'épopée. L'élo-. quent Bossuet, d'Orléans, et après eux Vertot, manièrent avec le plus

grand succès les pinceaux de l'histoire.

Au commencement du siècle dernier, d'Aguesseau, Cochin et Normand furent par leur éloquence les lumières du barreau. D'Avrigny, Rollin et Bougeant se distinguèrent dans le genre historique. Rousseau tira de sa lyre des sons qu'Horace et Pindare n'eussent point désavoués. Destouches et Piron produisirent des chefs-d'œuvre dignes de Moliere. Crébillon eut la gloire de balancer Eschyle; et Voltaire, incomparable dans les poésies légères, à qui notre scène doit une partie de ses richesses, fit d'heureux efforts pour atteindre à la couronne

épique.

II.

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Origine et Principe des Beaux-Arts.

Les arts en général ont été inventés, les uns pour le seul besoin de l'homme; ce sont les arts mécaniques: les autres pour son plaisir et son utilité tout-à-lafois; ce sont les beaux-arts, appelés libéraux, parmi lesquels l'éloquence et la poésie tiennent le premier rang. Quoiqu'il ne soit question dans cet ouvrage que de ces deux arts, je dois nommer ici les cinq autres, qui sont l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique, et la danse. On ne peut avoir

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