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et ces qualités sont bien rares dans les écri vains.

Parmi les anciens, Phèdre, dans ses fables; Térence, dans ses comédies; Horace, dans ses épîtres et ses satires; Cicéron, dans ses lettres; parmi nous, La Fontaine et madame de Sévigné, offrent en ce genre des exemples sans nombre. Néanmoins leurs meilleurs morceaux sont inférieurs à l'histoire admirable de Joseph dans l'écriture. Il n'est pas possible de trouver un plus beau chef-d'œuvre d'éloquence dans le genre simple. Voici le discours que Juda fait à Joseph, qui gouvernait en Egypte, pour le prier de ne point retenir captif son frère Benjamin, mais de le garder plutôt lui-même sa place.

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« Mon seigneur, permettez, je vous prie, à votre serviteur de vous dire un » mot et ne vous mettez pas en colère >> contre votre esclave; car vous jugez >> aussi souverainement que Pharaon (*). » Mon seigneur a demandé d'abord à ses >> serviteurs : Avez-vous encore votre père » et quelque autre frère? Et nous avons » répondu à mon seigneur : Nous avons » un père fort âgé et un jeune frère, qui » est né dans sa vieillesse; son frère, qui » est né de la même mère, est mort: il

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(*) Ce mot signifie roi dans l'ancienne langue des Égyptiens.

» est resté seul, et son père l'aime ten-· » drement. Vous dites alors à vos servi>>teurs: Amenez-le-moi; je serai bien » aise de le voir. Et nous dîmes à mon

>>

seigneur Le jeune homme ne peut » quitter son père; car, s'il s'éloigne de » lui, son père mourra. Et vous dites à » vos serviteurs: Si votre jeune frère ne >> vient point avec vous, vous ne paraîtrez » plus devant moi. Quand nous fùmes >> retournés vers notre père votre servi» teur, nous lui rapportâmes ce que mon >> seigneur nous avait dit. Quelque temps » après, notre père nous dit: Retour» nez en Égypte, et achetez-nous des » vivres. Nous. lui répondîmes: Nous >> irons si notre jeune frère vient avec >> nous; sans cela nous n'irons point, >> parce que nous ne pouvons paraître » devant celui qui commande en Egypte, » que notre jeune frère ne soit avec » nous. Et notre père votre serviteur, >> nous dit : Vous savez que Rachel, mon » épouse, m'a donné deux fils; l'un étant » sorti d'auprès de moi, j'ai cru qu'une » bête l'avait dévoré, et je ne l'ai pas » revu depuis ce temps-là. Si vous em» menez encore celui-ci, et qu'il lui ar>> rive quelque accident, vous accablerez » ma vieillesse d'une affliction qui la con» duira au tombeau. Maintenant donc, » si je retourne vers mon père votre ser>> viteur, et que ce jeune homme n'y soit

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>>

» pas, comme sa vie dépend absolument » de celle de son fils, dès qu'il ne le verra point avec nous, il mourra, et vos ser>> viteurs accableront sa vieillesse d'une >> douleur qui le mettra au tombeau. >> C'est moi qui ai répondu de ce jeune » homme à mon père, en disant: Si je » ne vous le ramène, je consens d'être » coupable à vos yeux tous les jours de >> ma vie. Que ce soit donc moi, je vous >> prie, qui demeure esclave de mon sei»gneur, en la place du jeune homme, >> et qu'il s'en retourne avec ses frères ; » car comment retournerai-je sans lui, » pour être témoin de l'extrême affliction » qui accablera mon père » ?

II. Du Genre fleuri.

Le genre fleuri se pare de tous les ornemens de l'art, sans prendre soin de les cacher. I joint aux grâces du sentiment le coloris de l'imagination; et, en s'attachant à plaire par tout ce que l'élocution a de plus séduisant, il contribue merveilleusement à la persuasion, Ce qui le caractérise principalement, sont les pensées brillantes, les belles images, l'éclat des figures, l'agrément des digressions, la variété des tours, cette cadence nombreuse et périodique, cette harmonie de style qui charme l'oreille, et jette l'esprit dans une espèce

ce

d'enchantement. Néanmoins, dit Quintilien (*), il coule avec douceur, semblable à une belle rivière qui roule tranquillement une eau claire et pure, et que des forêts verdoyantes ombragent des deux côtés.

ce sont

Les plus beaux modèles du genre fleuri, chez les Anciens, sont la plupart des oraisons de Cicéron; et le panégyrique de Trajan par Pline. Parmi nous, les oraisons funèbres de Fléchier, les éloges des académiciens par Fontenelle, et les sermons du Père de Neuville, surtout son oraison funèbre du cardinal de Fleuri, d'où le morceau suivant a été tiré :

« Le moment arrivait où ce mérite si » modeste devait se développer aux yeux » de l'Univers, et par tous les services » qu'un sujet peut rendre à son roi, se >> montrer digne de tout ce qu'un roi » peut faire pour son sujet. Louis XIV, » ce monarque, la gloire de son peuple » et de son siècle, la gloire de la religion » et de l'Etat, plus héros dans le déclin << des années et dans l'adversité, que dans » le brillant de la jeunesse et de ses vic>>toires, et dont la vertu éprouvée par » la disgrâce força enfin la fortune à >> rougir de son inconstance, lui fit sen» tir sa faiblesse, lui apprit qu'il ne lui

(*) De Instit., L. 12, c. 10..

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appartient ni de donner, ni d'ôter la >> véritable grandeur, Louis XIV avait vu >> passer comme l'ombre sa nombreuse » postérité. Seul dans ses palais immenil semble se survivre à lui-même: » ses yeux, prêts à se fermer pour toujours, n'aperçoivent à la place de tant de fleurs moissonnées dans leur prin>> temps, qu'une fleur à peine éclose, >> faible, chancelante, presque dévorée >> par le souffle qui avait séché, consumé >> tant de tiges si florissantes. Nouveau >> Joas, unique reste du sang de David, » arraché aux débris de son auguste » maison, ayant peine à se faire jour >> à travers les ruines sous lesquelles il » parut enseveli: dans cet enfant se réu>> nissent les mouvemens de son » et les vues de son esprit, les tendresses d'un père et les projets d'un roi. Oh! » si du-moins il pouvait, par ses leçons » et par ses exemples, le former dans le » grand art de régner? Mais le temps » s'écoule; le tombeau s'ouvre devant le Monarque, le tombeau l'attend et le » demande il pense donc à se remplacer auprès de son successeur. Or, sur qui >> tombera le choix de ce prince vieilli » dans l'étude et dans la connaissance » des hommes; de ce prince, dont le >> choix des Bossuet et des Fénélon avait éprouvé et honoré les lumières ? Il ap» pelle l'évêque de Fréjus, et lui remet

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cœur

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