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» croire à Paris, comment la pourraiton croire à Lyon? une chose qui fait >> crier miséricorde à tout le monde ; une >> chose qui comble de joie madame de » Rohan et madame de Hauteville; une >> chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la >> be lue; une chose qui se fera diman» che, et qui ne sera peut-être pas faite » lundi. Je ne puis me résoudre à la » dire; devinez-là : je vous le donne en >> trois. Jetez-vous votre langue aux » chiens? Eh bien ! il faut donc vous la » dire. M. de Lausun épouse dimanche » au Louvre; devinez qui ? je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Ma» dame de Coulanges dit : voilà qui est » bien difficile à deviner! c'est mede» moiselle de la Vallière? Point du tout,

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madame. C'est donc mademoiselle de » Retz? Point du tout: vous êtes bien

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provinciales. Vraiment nous sommes » bien bêtes, dites-vous. C'est mademoi» selle Colbert ? encore moins. C'est assurément mademoiselle de Créqui: vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire. Il épouse dimanche au » Louvre, avec la permission du roi, » mademoiselle, mademoiselle de. >> mademoiselle; devinez le nom. Il épouse Mademoiselle; ma foi, par ma » foi, ma foi jurée; Mademoiselle, la » grande Mademoiselle, Mademoiselle,

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» fille de feu Monsieur, Mademoiselle, >> petite-fille de Henri IV, mademoiselle » d'Eu, mademoiselle de Dombes, ma» demoiselle de Montpensier, mademoi» selle d'Orléans, Mademoiselle, cou>> sine germaine du roi, Mademoiselle, >> destinée au trône, Mademoiselle, le » seul parti de France qui fût digne de

>> Monsieur ».

Il y a une espèce de suspension qui badine, et qui se joue de l'attention du lecteur. On débute sur un ton noble et pompeux; on a l'air d'annoncer quelque chose de grand; et l'on finit par un trait d'esprit agréable, plaisant ou épigrammatique. Ce fameux sonnet de Scarron en est un exemple :

Superbes monumens de l'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux, dont la vaine structure
A témoigné que l'art, par l'adresse des mains
Et l'assidu travail, peut vaincre la nature :

Vieux palais ruinés, chefs-d'œuvre des Romains,
Et les derniers efforts de leur architecture;
Colisée, où souvent les peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature":

Par l'injure des temps vous êtes abolis,
Ou du-moins la plupart vous êtes démolis:
Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint noir
Qui m'a duré deux ans, soit percé par le coude.

Voici encore un joli exemple de cette espèce de suspension :

Après le malheur effroyable
Qui vient d'arriver à mes yeux,
Je croirai désormais, grands dieux!
Qu'il n'est rien d'incroyable.

J'ai vu, saus mourir de douleur,

J'ai vu... sicles futurs, vous ne pourrez le croire;
Ah! j'en frémis éncor de dépit et d'horreur;
J'ai vu mon verre plein, et je n'ai pu le boire.

ARTICLE IV.

Du Sublime.

J'ai dit ailleurs qu'il ne faut pas confondre ce qu'on appelle proprement le sublime, avec le style sublime. Voici en quoi l'un et l'autre diffèrent. Le style sublime consiste à exprimer noblement une suite d'idées grandes, de sentimens élevés, mais qui ne sont pas sublimes, et à leur donner un certain caractère de sublimité. C'est ce qu'on a pu voir dans les différens exemples que j'ai cités. Le sublime, soit dans les pensées, soit dans les sentimens, est un trait merveilleux extraordinaire, qui ravit, transporte élève l'âme au-dessus d'elle-même, et qui lui fait sentir en-même-temps cette élévation. Le style sublime ne peut se montrer que sous le pompeux appareil des figures les plus brillantes et les plas magnifiques. Le sublime peut se trouver, et se trouve bien souvent dans uneī expression; dans un seul mot. Quoi de plus simple que ces paroles de l'écriture! Dieu dit: que la lumière se fasse, et la

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lumière fut faite. — Il jette ses regards, et les nations sont dissipées. Aussi ces paroles ne sont-elles pas du style sublime. Mais l'idée qu'elles renferment est sublime. Elle est en effet la plus haute, la plus relevée qu'il soit possible de concevoir -de la toute-puissance de Dieu, et de l'obéissance de la créature aux ordres du créateur.

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Racine nous fournit, dans sa tragédie d'Esther, un exemple bien propre à faire saisir la différence qu'il y a entre le style sublime et le sublime. Le voici :

J'ai vu l'impie adoré sur la terre :

Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux
Son front audacieux.

Il semblait à son gré gouverner le tonnérre,
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus.
Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus.

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Les cinq premiers vers offrent des idées vraiment grandes, mais qui ne sont pas sublimes, parce qu'elles n'ont point ce merveilleux, cet extraordinaire qui enlève et qui ravit. Elles sont rendues d'une manière sublime, et sont, par conséquent, du style sublime sans être sublimes. Le dernier vers présente une idée sublime par elle-même : c'est là que se trouve ce merveilleux, cet extraordinaire qui caractérise proprement le sublime. L'impie était le Dieu de la terre, le poète ne fait que passer, et ce Dieu est diparu, anéanti: il n'est plus.

Mais cette idée est rendue par les mots les plus simples. Ce dernier vers est, par conséquent, sublime, sans être du style sublime. Le vrai sublime peut donc se passer du secours de l'expression. Il s'en passe en effet assez souvent, quoiqu'on doive convenir que l'éclat en est rehaussé par. le sublime des paroles.

Le sublime peut naître de trois différentes sources; des pensées, des sentimens, des images.

I. Du Sublime des Pensées.

Ce que je viens de dire peut faire assez comprendre en quoi consiste le sublime d'une pensée. Cependant, pour en donner une idée encore plus claire et plus juste, je vais rapporter la traduction littérale du texte sacré qui a fourni à Racine la matière des beaux vers que j'ai cités. « J'ai vu, dit le prophète Da» vid, l'impie élevé aussi haut que les » cèdres du Liban: je n'ai fait que pas» ser, il n'était plus. Je l'ai cherché, » et je n'ai pas même trouvé la place » où il était ». On voit sans peine que Racine a paraphrasé le texte; mais qu'il n'a pas rendu cette pensée si forte et si sublime: Je l'ai cherché, et je n'ai pas même trouvé la place où il était. Tout ce que les poètes, remarque le P. Bou

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