Il y a cependant une certaine finesse dans la pensée de cette épitaphe, et surtout dans celle du quatrain: mais c'est une finesse qui n'exclut point la naïveté. Voici une petite pièce de vers qui finit par un trait vraiment naïf': Un vieil ivrogne, ayant trop bu d'un coup, Tâtait son pouls, et lui tirant la manche: Il ne faut pas confondre la penséc naïve avec la pensée naturelle. Celle-ci représente toujours un objet qui s'est trouvé dans le fond du sujet qu'on traite. Elle est née, pour ainsi dire, du sujet même, parce qu'elle s'y rapporte entièrement et directement. Il semble au lecteur qu'il l'avait dans la tête avant de la lire, et que par conséquent elle n'a exigé aucun effort de la part de l'écrivain. Mais, quoiqu'elle fût dans le sujet, il n'a pas été bien facile à celui-ci de l'y voir et de l'en tirer. Toute pensée naïve est naturelle: mais toute pensée naturelle n'est pas naïve, parce que le naturel peut avoir quelque chose de grand, de sublime; au lieu que le naïf a toujours quelque chose de petit ou de moins élevé. Verrès citoyen romain, exerçant en Sicile la préture, charge qui consistait On doit regretter sa mort, Voyez encore celle-ci du même auteur, sur un père affligé de la mort de sa fille. Le père s'adresse au ciel : Hate ma fin que ta rigueur diffère; Les pensées qui portent en elles-mêmes de l'agrément, n'ont pas besoin d'être ornées par l'expression. Elles doivent être rendues telles qu'elles se présentent à l'esprit de l'écrivain. Les mots sonores et brillans affaibliraient souvent une pen Pensées l'expression. sée forte. Si vous ajoutez à une pensée hardie, des expressions magnifiques et pompeuses, vous la rendrez outrée. Si vous embellissez une pensée naïve, une pensée vive, l'une et l'autre cesseront de l'être. Mon ami n'est plus, et je vis encore! voilà une pensée vive. Si vous dites: Mon ami est descendu dans le sombre empire des morts, et je jouis encore de la lumière! elle sera traînante; elle aura perdu toute sa vivacité. Il y a des pensées qui n'ont par ellesrelevées par mêmes d'autre mérite que celui de la vérité. Ces sortes de pensées se présentent en foule à tout homme d'un sens droit, et naissent sans effort du sujet que traite l'écrivain. Elles sont simples, communes, et souvent triviales. Il faut nécessairement les revêtir des ornemens de l'expression, pour leur donner un certain air de nouveauté, de grandeur, de noblesse, ou un autre agrément quelconque. Si l'écrivain sacré avait dit simplement du conquérant le plus renommé qui ait jamais existé, du grand Alexandre: Il fut le maître de la terre, cette pensée n'aurait par elle-même rien de fort ni d'éclatant. Mais il dit: la terre se tut en sa présence; et cette expression donne à la pensée de la vivacité, de l'énergie et de la grandeur. Si Salluste avait dit simplement de ce Mithridate qui disputa pendant trente ans l'empire de l'Asie aux Romains: Il avait une grande taille, sa pensée aurait été commune. Mais en disant que ce capitaine était armé d'une grande taille, il la rend noble et hardie. Rien de plus vrai, de plus juste, mais en-même-temps de plus simple et de plus commun que cette pensée: La mort n'épargne personne. Voyez comme Horace la relève, et la rend, en quelque façon, neuve. La mort, dit-il, renverse également les palais des rois et les cabanes des pauvres. Une autre pensée vraie, mais commune, et tout-à-fait dénuée d'agrémens, est celle-ci : le chagrin ne dure pas toujours. Notre La Fontaine lui donne de l'élévation et de l'éclat, en la présentant sous cette image charmante : Sur les ailes du temps la tristesse s'envole. Il ne me reste à faire qu'une courte, mais assez importante observation, concernant les pensées: c'est que le fond en est presque toujours le même dans tous les écrivains qui traitent le même sujet. La seule manière de les rendre met une distance infinie entre les bons et les mauvais. Hippolyte, dans la Phèdre de Pradon, dit à Aricie: Depuis que je vous vois, j'abandonne la chasse : Et quand j'y vais, ce n'est que pour penser à vous. Style coupé, style Voici comme Racine exprime ces mê- Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune; A la seule lecture de ces vers, on jugera sans peine que Racine avait bien raison de dire: Je ne pense pas mieux que Pradon et Coras; mais j'écris mieux qu'eux. II. Du Style en général. Les anciens appelaient style, l'aiguille dont on se servait pour graver les lettres sur les écorces d'arbre, ou sur des tablettes enduites de cire. Elle était pointue par un bout et aplatie par l'autre, pour qu'on pût effacer quand on le voulait. Ce mot signifie aujourd'hui la manière dont nous rendons nos pensées. Le style en général, ou, si l'on veut, périodique. considéré dans sa forme, peut être coupé ou périodique. Il est coupé, lorsque les phrases ne peuvent point se diviser en plusieurs parties. Telles sont celles-ci de Bossuet, dans son Discours de l'Histoire universelle. ༥ L'orgueil de Démétrius souleva le » peuple. Toute la Syrie était en feu. |