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la sincérité et la vertu. » (viii, De là Cour). Mais jamais il ne perd contenance. Il trouve toujours une raison plausible pour conserver son masque d'honnête homme et son honneur de fripon.

Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire.
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois.

(II, 18.)

Il fait le grand seigneur « en dépit de ses dents ». Et quand le personnage de mendiant ne lui a pas réussi, il s'éloigne d'un air noble.

Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. Telle est la grandeur de ce caractère; il invente | 1 d'expédients que le hasard d'obstacles; il espère encore quand il n'y a plus d'espérance. S'il a perdu sa queue, il voudra se donner des compagnons. (v, I.) Il sait tout supporter, même le triomphe d'un imbécile. Point de colère, il fléchit à l'instant le genou, et appelle le nouveau roi par ses titres. Il a même voté pour lui; il est sans humeur comme sans honneur. Lorsqu'on veut se venger, on n'a pas le loisir de s'indigner. Quand il eut fait son petit compliment,

Il dit au roi Je sais, sire, une cache,

Et ne crois pas qu'autre au monde la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,

Appartient, sire, à votre majesté.

Le nouveau roi bâille après la finance;

Lui-même y court, pour n'être pas trompé.

C'était un piége; il y fut attrapé.

(VI, 6.)

Tel est le portrait complet du courtisan. Avide, impudent, dur, railleur, perfide, sans pitié, mais spirituel, prompt, inventif, persévérant, maître de soi, éloquent,

son métier a fait son caractère. N'ayant de revenu que celui des autres, il faut bien qu'il vive sur le public, et en particulier aux dépens du roi.

Au reste, l'ordonnance suivante, rédigée par Montesquieu, est l'abrégé de son histoire, et la définition de la

cour:

<< Le courage infatigable de quelques uns de nos sujets à nous demander des pensions ayant exercé sans relâche notre magnificence royale, nous avons enfin cédé à la multitude des requêtes qu'ils nous ont préntées et qui ont fait jusqu'ici la plus grande sollicitude 1 trône. Ils nous ont représenté qu'ils n'ont pas manqué depuis notre avènement à la couronne de se trouver à notre lever; que nous les avons vus toujours sur notre passage, immobiles comme des bornes, et qu'ils se sont extrêmement élevés pour regarder sur les épaules les plus hautes Notre Sérénité. Nous avons encore reçu plusieurs requêtes de la part de quelques personnes du beau sexe qui nous ont supplié de faire attention qu'il était notoire qu'elles sont d'un entretien très difficile; quelques unes même très surannées nous ont prié, en branlant la tête, de faire attention qu'elles ont fait l'ornement de la cour des rois nos prédécesseurs, et que si les généraux de leurs armées ont rendu l'état redoutable par leurs faits militaires, elles n'ont pas rendu la cour moins célèbre par leurs intrigues. Ainsi, désirant traiter les suppliants avec bonté, et leur accorder toutes leurs prières, nous avons ordonné ce qui suit :

>> Que tout laboureur ayant cinq enfants retranchera journellement la cinquième partie du pain qu'il leur

donne. Enjoignons aux pères de famille de faire la diminution sur chacun d'eux aussi juste que pourra.

» Ordonnons que toutes personnes qui s'exercent à des travaux vils et mécaniques, lesquelles n'ont jamais été au lever de Notre Majesté, n'achètent désormais d'habits à eux, à leurs femmes et à leurs enfants', que de quatre ans en quatre ans.» (Lettres persanes, éd. Panthéon, 125.)

III. Il n'y a pas de rois sans roitelets; au reste, c'est l'esprit royal, transporté ailleurs, mais le même à tous les étages.

<< Il semble qu'on livre en gros aux premiers de la cour l'air de hauteur, de fierté, de commandement, afin qu'ils le distribuent en détail dans les provinces. Ils font précisément comme on leur fait, vrais singes de la royauté.» (Ch. vIII, Labruyère.)

Ajoutons qu'ils paient d'avance en flatteries les flatteries qu'ils recevront. Les dieux même ont chez eux le commerce de servilité et d'arrogance. Quand Jupiter veut faire instruire son fils, l'Olympe entier applaudit : << Pour savoir tout, l'enfant n'avait que trop d'esprit ! » Mais on leur rend bien leurs adulations.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux moindres mâtins,
Au dire de chacun étaient de petits saints.

(VII, 1.) Il n'y a pas même besoin d'être querelleur; il suffit d'approcher du prince.

« Mademoiselle Choin avait une chienne dont elle était folle, à qui tous les jours le maréchal d'Uxelles de la porte Gaillon où il logeait envoyait des têtes de lapin

rôties, attenant le petit Saint-Antoine où elle logeait, et où le maréchal allait souvent et était reçu et regardé comme un oracle. Le lendemain de la mort de Monseigneur, l'envoi des têtes de lapin cessa, et oncques depuis mademoiselle Choin ne le revit ni n'en entendit parler.» (Ch. 244, Saint-Simon.)

Mais quoi qu'ils disent ou fassent, leurs manières sont admirables. Ecoutons Borée, qui propose au Soleil de dépouiller un voyageur de son manteau. Je ne sache ion qui peigne mieux l'air dégagé et noble, la politesse inte et digne. C'est M. de Sotenville invitant Clitan<< au divertissement de courre un lièvre ».

L'ébattement pourrait vous en être agréable?

Vous plaît-il de l'avoir?

(vi, 3.)

Au reste, il y a des seigneurs de différents ordres et de différents caractères. Au premier rang est le petit prince provincial, glorieux d'être parent du roi, et qui croit que le monde a les yeux sur sa bicoque.

L'éléphant reçoit le singe de Jupiter. Il commence avec une modestie affectée où perce la vanité satisfaite. Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu Un assez beau combat de son trône suprême; Toute sa cour verra beau jeu.

- Quel combat? dit le singe avec un front sévère.
L'éléphant repartit : Quoi! vous ne savez pas
Que le rhinocéros me dispute le pas,

Qu'Eléphantine a guerre avecque Rhinocère?
Vous connaissez les lieux; ils ont quelque renom.
- Vraiment, je suis charmé d'en apprendre le nom,
Repartit maître Gille: on ne s'entretient guère

De semblables sujets dans nos vastes lambris.

(XII, 21.)

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L'ours est le hobereau solitaire et rustre que n'ont point attiré les fêtes de Versailles; il est le seul qui conserve encore la rouille antique, pesant, disgracieux, morose.

Jamais, s'il nous veut croire, il ne se fera peindre. (1, 7.) Il est vrai qu'un jour il quitte son trou; mais il ne devient pas pour cela homme du monde. C'est un manant qui entre en souliers ferrés dans un salon. Son voisin, par ses manières exquises, met encore dans un plus grand jour sa gaucherie et sa grossièreté.

Vous

Seigneur,

voyez mon logis. Si vous voulez me faire

Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait. Ce n'est peut-être pas

De nosseigneurs les ours le manger ordinaire;
Mais j'offre ce que j'ai.

L'ours, très mauvais complimenteur,

Répond: Viens-t'en me voir...

Il est peu inventif, et ne se prodigue pas en conversation. Quoique «< en un jour il ne dise pas deux mots, » il est bonne bête pourtant et fidèle.

Il allait à la chasse, apportait du gibier,
Faisait son principal métier

D'être bon émoucheur; écartait du visage
De son ami dormant le parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer,

Mit l'ours au désespoir.

Mais ses expédients ne sont pas heureux, et quand il

se mêle de raisonner, c'est un tireur terrible de consé

quences.

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