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L'autre est monsieur Robert-Macaire :
Lors ils se font banquiers,
Notaires ou courtiers;
Aussi dans leur sainte escarcelle
L'argent des niais s'amoncelle...
Si Molière est mort,
Tartufe vit encor!...

Tout en conservant

L'air pudibond qui fait des dupes,
Il va bien souvent
Autour des fichus et des jupes;
Il fait très-galamment
Un béat compliment;

De nos femmes sa main pieuse
Sait tâter... l'étoffe moelleuse...
Si Molière est mort,
Tartufe vit encor!...

Il fut consterné

Quand le feu roi perdit son trône;
Il s'est retourné

Aussitôt vers l'autre couronne.
Il a l'espoir, un jour,

De diriger la cour.

Pour rester ferme sur ses hanches, Il s'accroche à toutes les branches... Si Molière est mort,

Tartufe vit encor!...

Comme le Sauveur

la sa douleur qui le mine:
Une croix d'honneur

Écrase sa large poitrine.

Les faveurs et sa croix
L'accablent de leur poids;

Mais sur son Calvaire, avec calme,
Du martyre il attend la palme...
Si Molière est mort,
Tartufe vit encor!...

Tout lui réussit :

La santé sur son front rayonne,
Et son appétit

Est aussi fort que sa personne;
Il est très-bien porté,

Il est très-bien renté;
La tiare l'attend à Rome...

Cœurs dévots, plaignez le pauvre homme!

Si Molière est mort,
Tartufe vit encor!...

LE TEMPS DE LA REINE BERTHE

AIR: A genoux devant le soleil.

Dans une chronique diserte,
Mes amis, j'apprends que jadis

La bonne et sage reine Berthe
Filait le lin de ses habits.
De ce siècle, riche en simplesse,
Plus tard chacun se souvenait,
Et le peuple citait sans cesse
Le bon temps où Berthe filait.

Autrefois des rois pacifiques

D'un sceptre en bois s'armaient toujours;
A présent leurs mains despotiques
Prennent des sceptres d'or bien lourds!
L'orgueil élève une barrière

Entre le prince et le sujet :
Le monarque n'était qu'un père
Au bon temps où Berthe filait.

Il faut en tout un équilibre.
Du sexe l'homme est le soutien;
La femme prétend être libre,
Et veut les droits de citoyen.
Modestes goûts, simple entourage,
Soins du foyer, rien ne lui plaît:
Femme restait dans son ménage,
Au bon temps où Berthe filait.

Le siècle de Robert-Macaire
A celui de Sparte répond :
Aussi voit-on dans chaque affaire
Une dupe auprès d'un fripon.

L'homme n'a plus voix aux chapitre,

La probité n'a plus d'effet,

La parole valait un titre,

Au bon temps où Berthe filait

Les journaux, forts en jonglerie,
Débitent de plaisants discours,
Tour à tour chacun d'eux s'écrie:
Peuple français, prenez mon ours! »
Puis une ardente polémique
A fausser l'esprit se complait.
On vivait bien sans politique
Au bon temps où Berthe filait.

L'homme, industrieux à se nuire,
Dans le progrès marche à grands pas;
Contre son bien-être il conspire,
Son esprit garrotte ses bras.
L'ouvrier, grâce à nos fabriques,
Sur son destin est inquiet.
On n'avait pas de mécaniques
Au bon temps où Berthe filait.

A présent tout se dépareille.
L'hymen, en vrai colin-maillard,
Joint le jeune homme avec la vieille
Et la jeune fille au vieillard.
On accouple ainsi tous les âges
Devant le Dieu de l'intérêt

L'Amour faisait les mariages
Au bon temps où Berthe filait.

Chaque jour s'en va la croyance,
A la foi le siècle est rétif;

Que nous fait une autre existence?
Nous jouissons du positif.

Autrefois une voix amie

Au jour fatal nous consolait;
On comptait sur une autre vie,
Au bon temps où Berthe filait.

MAMAN DORT

AIR: Un sage habitait la chaumière.

Lise, ouvre à ton amant fidèle.
Non, Lubin, vous n'entrerez pas.
Eh bien! à ta porte, cruelle,
Je vais me donner le trépas.

Ingrat, tu doubles ma souffrance. Et toi, tu doubles mon transport. Entre donc, mais avec prudence; Lubin, pas de bruit, maman dort.

Ma Lise, il n'est rien qui me plaise Comme d'être assis près de toi.

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