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a pris un essor nouveau pour devenir enfin ce qu'elle est aujourd'hui.

« Les poésies de ce genre, a écrit Brillat Savarin, eurent d'abord pour objet de célébrer Bacchus et ses dons. parce que alors boire du vin et en boire beaucoup était le seul haut degré d'exaltation gustuelle auquel on put parvenir. Puis, pour rompre la monotonie, on y associa l'amour, association dont il n'est pas certain que l'amour se soit bien trouvė. »

Avant que notre langue fut formée, dès le cinquième siècle et avant le règne de Clovis, on chantait déjà dans les Gaules. Théodoric, disent les historiens, avait en prédilection les chansons gauloises. On conserve encore une chanson latine rimée que les Français chantèrent pour célébrer la victoire du second Clotaire sur les Saxons.

Abeilard a fait des chansons, et vers cette même épo que, on reproche à saint Bernard, son antagoniste, d'avoir, dans sa jeunesse, fait des chansons bouffonnes pour les gens du monde, et des chansons badines pour les fillettes.

C'est en effet vers le règne de Philippe Auguste que parurent des chansons françaises, et la Normandie vit naitre des poëtes qui chanterent en langue vulgaire et qui précédèrent même nos poëtes provençaux; mais les chansons ne furent, jusqu'au seizième siècle, que des récits guerriers nommés Chansons de gestes, et des poésies joyeuses, amoureuses, des chants à boire. L'art des chansonniers se nommait alors la Gaie

science. Ceux qui en faisaient profession, sous les comtes de Provence, s'enrichissaient et parvenaient aux emplois et aux honneurs. On peut voir qu'aujourd'hui les chansons, entre des mains adroites, donnent de l'influence, de la considération et une position dans le monde, souvent même des rentes, plus les menus profits qui s'escomptent tout bas.

Les chansons françaises les plus anciennes dont on ait fait des recueils manuscrits et que possède la Bibliothèque Impériale, ont pour sujets les guerres de François Ier, la mort de Henri I et de Charles IX, l'insolence des mignons de Henri III, les misères et les désordres du temps de la Ligue, les folies de la Fronde et le despotisme de Mazarin Sous le règne hypocrite et libertin de Louis XIV vieilli, on vit abonder les madrigaux, les pastorales, les chansons amoureuses. La cour et la ville répétèrent à l'envi les couplets de Coutanges, les chansons a boire de Boursault, les airs de Lambert, les chansons de Benserade, de Lamonnoie, de Dufresny, de Linières.

A la même époque apparut, sur le pont Neuf, la chanson populaire. Philippe le Savoyard attira la foule autour de ses tréteaux; le cocher de Verthamon exerça sa verve sur des sujets de circonstance, et Hugues Guéru, déguisé sous le nom du baladin Gautier Garguille, grisa le peuple de ses boufonneries salées et philosophiques. Je ne parle point de Tabarin, qui a laissé un impérissable souvenir.

Les poésies galantes de Chaulieu, de La Fare et le

chansons de plaisir, de table et de débauche remplirent toute l'époque de la Régence. Sous Louis XV,' ces chansons se continuèrent pour le beau monde et exercèrent le talent des Vergier, des Haguenier, des Lattaignant, des Collé, des Piron, des Vadé, des Panard, des Gallet, des Boufilers; mais déjà la chanson satirique qui n'avait épargné aucun de nos rois, qui avait ridiculisé Louis XIV lui-même, se faisait prophétique. Une foule d'auteurs inconnus faisaient pour le public malin des chansons trés-piquantes sur tous les sujets du jour maintenant oubliés, et commençaient å prédire quel que inévitable cataclysme. Ces chansons devinrent plus précises sous Louis XVI, et firent tout autant de bruit que les romances sentiment ales de Berquin, de Florian, de la Harpe et de Marmontel.

La chanson brilla pendant la Révolution d'un éclat qu'on a va nement nié. Les chansons spirituelles, les romances sentimentales et délicates surgirent de tous côtés. Les chants patriotiques, les hymnes religieux remplirent les palais et les temples. Le Chansonnier des Grâces, les Étrennes lyriques, les Étrennes du Parnasse, l'Almanach des muses ne pouvaient suffire à l'inspiration des počtes et à la verve des chanteurs, et c'était l'époque où Montjourdain écrivait l'immortelle romance: Il faut quitter ce que j'adore.

Sous l'Empire, la chanson s'élança plus vive, plus abondante qu'on ne l'avait jamais vue. On organisa les académies chantantes Vers 1800 s'établit la société des dîners du vaudeville. A cette société succ da le Caveau

moderne. Là se réunissaient, Piis, Barré, Radet, Desfontaines, Bourgueil, Léger, Cadet-Gassicourt, Mautord, Dumersan, Dieu-la-Foi, Chazet, Pain, Dejouy, Gersin, Armand Gouffé, Désaugiers, Francis, Ourry, Brazier, Béranger, et, au milieu d'eux, seul débris de l'ancien caveau, le vieux Laujon qui, comme Anacreon, couronnait de roses ses cheveux blancs.

C'était l'aristocratie de la chanson.

Le peuple eut aussi ses sociétés chantantes. On cite la Société de Momus, celles des Bergers de Syracuse, des Lapins, des Oiseaux, qui restèrent célèbres par leurs chansons ruisselantes d'entrain et de verve.

Il y eut aussi les chansonniers de la rue, Collot, Cadot, Duverny l'Aveugle, dont la muse non encore oubliée a laissé d'admirables couplets.

Dans le recueil que nous publions, nous n'avons dédaigné aucune parcelle des gloires lyriques de la France; nous avons recueilli tous les souvenirs de notre poésie, et le lecteur pourra s'assurer que les plus aimables de nos productions sont parfois les plus frêles et les plus légères. La plus grande variété préside à notre choix. A la comédie et au drame nous avons mêlé la petite pièce; la satire historique de la Belle Bourbonnaise, la bouffonnerie, la naïveté, la piquante critique, les peintures de mœurs qui amusent le présent aux dépens du temps passé. Afin de plaire à tous les âges, à la jeunesse, à l'enfance, aux mères de famille, nous y avons joint de gracieuses chansons enfantines, des rondes, et les airs du bon vieux temps

qui sont aujourd'hui de notoriété universelle, tels que Malbrough, Au clair de la lune, etc.; nous avons ainsi réuni tout ce qui peut être agréable à l'enfance et à la jeunesse. Toutes les rondes favorites qui ont aidé à nos premiers jeux, toutes les romances, toutes les gentilles chansonnettes qui ont été chantées à notre bon temps. Le nom des auteurs que nous avons admis prouve la sévérité apportée dans notre choix. Aux jolies romances de Chateaubriand, Fabre d'Églantine, Florian, la Harpe, Ségur, madame Travanet, de Salm, Favart, nou: avons ajouté ces airs si connus: La mère Bontemps, Girofle girofla, Il pleut bergère, Le rosier. Combien j'ai douce souvenance, Pauvre Jacques, Le point du jour, La fin du jour, Dormez chères amours, O ma tendre musette, etc.

Tous ces chefs-d'œuvre se trouvent popularisés de nouveau par cela seul que nous les remettons sous les yeux de nos lecteurs; mais ils se présentent ici, dans ce recueil, sans les mutilations et les altérations qui les déparent partout ailleurs. Nous avor.s contrôlé tous les textes, consulté toutes les traditions, retrouvé des couplets oubliés, ajouté les couplets récents que de malins continuateurs ont inventés et qui ont mérité de prendre place dans l'œuvre traditionnelle.

Nous avons ajouté à ce recueil beaucoup de morceaux qui méritent d'y prendre place et qu'on avait trop négligés jusqu'ici. Nous avons choisi dans les opéras, dans les opéras-comiques et dans les vaudevilles des couplets qui sont de véritables chansons et des romances qui sont devenues populaires.

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