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trouvaient quelquefois à l'opéra, elle y regrettaient la comédie. Autres temps, autres mœurs elles outrent l'austérité et la retraite; elles n'ouvrent plus les yeux qui leur sont donnés pour voir; elles ne mettent plus leurs sens à aucun usage; et, chose incroyable! elles parlent peu elles pensent encore, et assez bien d'elles-mèmes, comme assez mal des autres. Il y a chez elles une émulation de vertu et de réforme, qui tient quelque chose de la jalousie. Elles ne haïssent pas de primer dans ce nouveau genre de vie, comme elles faisaient dans celui qu'elles viennent de quitter par politique ou par dégoût. Elles se perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère et l'oisiveté; et elles se perdent tristement par la présomption et par

par

l'envie.

Si j'épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point; si une joueuse, elle pourra s'enrichir; si une savante, elle saura m'instruire; si une prude, elle ne sera point emportée; si une emportée, elle exercera ma patience; si une coquette, elle voudra me plaire; si une galante, elle le sera peut-être jusqu'à m'aimer; si une dévote ', répondez, Hermas, que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu, et qui se trompe elle-même ?

Une femme est aisée à gouverner, pourvu que ce soit un homme qui s'en donne la peine. Un seul même en gouverne plusieurs : il cultive leur esprit et leur mémoire, fixe et détermine leur religion; il entreprend même de régler leur cœur. Elles n'approuvent et ne désapprouvent, ne louent et ne condamnent qu'après avoir consulté ses yeux et son visage. Il est le dépositaire de leurs joies et de leurs chagrins, de leurs desirs, de leurs jalousies, de leurs haines et de leurs amours; il les fait rompre avec leurs galants; il les brouille et les réconcilie avec leurs maris, et il profite des interrègnes. Il prend soin de leurs affaires, sollicite leurs procès, et voit leurs juges il leur donne son médecin, son marchand, ses ouvriers; il s'ingère de les

Fausse dévote. (Note de La Bruyère.)

:

Il est impossible de méconnaître les sentiments sincèrement religieux dont était animé La Bruyère; son chapitre des Esprits Forts et ses lettres sur le Quiétisme suffiraient seuls à en témoigner; mais stigmatiser la fausse dévotion, est plutôt un hommage rendu qu'une atteinte portée à la vraie piété.

loger, de les meubler, et il ordonne de leur équipage. On le voit avec elles dans leurs carrosses, dans les rues d'une ville et aux promenades, ainsi dans leur banc à un sermon, et dans leur loge à la comédie.

que

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Il fait avec elles les mêmes visites: il les accompagne au bain, aux eaux, dans les voyages: il a le plus commode appartement chez elles à la campagne. Il vieillit sans déchoir de son autorité: un peu d'esprit et beaucoup de temps à perdre lui suffisent pour la conserver. Les enfants, les héritiers, la bru, la nièce, les domestiques, tout en dépend il a commencé par se faire estimer, il finit par se faire craindre. Cet ami si ancien, si nécessaire, meurt sans qu'on le pleure; et dix femmes, dont il était le tyran, héritent par sa mort de la liberté.

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Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite sous les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais démentie, a été de faire dire de soi: On l'aurait prise pour une vestale.

C'est dans les femmes une violente preuve d'une réputation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même effleurée par la familiarité de quelques-unes qui ne leur ressemblent point; et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes explications, on ait recours à une tout autre raison de ce commerce, qu'à celle de la convenance des mœurs.

Un comique outre sur la scène ses personnages; un poète charge ses descriptions; un peintre qui fait d'après nature force et exagère une passion, un contraste, des attitudes; et celui qui copie, s'il ne mesure au compas les grandeurs et les proportions, grossit ses figures, donne à toutes les pièces qui entrent dans l'ordonnance de son tableau, plus de volume que n'en ont celles de l'original. De même la pruderie est une imitation de la sagesse.

Il y a une fausse modestie qui est vanité; une fausse gloire qui est légèreté; une fausse grandeur qui est petitesse; une fausse vertu qui est hypocrisie; une fausse sagesse qui est pruderie.

Une femme prude paie de maintien et de paroles; une femme sage paie de conduite. Celle-là suit son humeur et sa complexion, celle-ci sa raison et son cœur l'une est sérieuse et austère, l'autre est, dans les diverses rencontres, précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La première cache des faibles sous de plausibles dehors, la seconde couvre un riche fonds sous un air libre et naturel. La pruderie contraint l'esprit, ne cache ni l'âge ni la laideur; souvent elle les suppose; la sagesse au contraire pallie les défauts du corps, ennoblit l'esprit, ne rend la jeunesse que plus piquante, et la beauté que plus périlleuse.

Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits leur a-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation, ou par leurs ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit, ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine

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