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XIX

Du Gain sordide.

L'amour du gain sordide n'est autre chose que le besoin de gagner à tout prix. Celui qui en est possédé est homme à se priver, en ne mangeant que la quantité de pain qui lui est absolument nécessaire ; à tenter d'emprunter de l'argent à un étranger qui s'arrête chez lui. Quand il sert à table, il dit qu'il est de toute justice que celui qui découpe ait une part double, et aussitôt il se la donne. S'il vend du vin', il le trempe d'eau, même pour son ami. Il ne va voir un spectacle avec ses enfants, que quand les directeurs annoncent que la représentation sera gratuite. S'il voyage aux frais de l'État, il laisse chez lui l'argent qui lui est assigné pour les dépenses de route, et en emprunte à ceux qui sont chargés avec lui de la même mission. En chemin, il charge son valet d'un fardeau beaucoup plus lourd qu'il ne peut le porter, et ne lui accorde qu'une ration de vivres bien moindre que celle des autres.

'Chez les anciens, les propriétaires de vignes vendaient ou faisaient vendre euxmêmes le vin qui dépassait la quantité nécessaire à leur consommation. Cet usage se retrouve aujourd'hui à Florence, où les palais les plus somptueux ont une sorte de guichet au rez-de-chaussée, par où se débite le vin du maître. L'acheteur passe une bouteille avec son argent, et un instant après on lui rend la bouteille pleine. En France même, sous Louis XIV, une coutume semblable existait pour les gens de robe, et les ruines de Pompéi attestent encore que ces habitudes d'ordre et d'économie remontent aux anciens.

Quand il est arrivé, il n'a point de cesse qu'il n'ait reçu sa part des présents de bienvenue, pour la vendre ensuite. Au bain, s'il se fait frotter d'huile, il dit à l'esclave: « L'huile que tu m'as achetée est rance», et il se sert de celle d'un autre. Si quelqu'uu de sa maison trouve la plus petite monnaie, il en réclame la moitié en s'écriant: Mercure est commun. Quand il donne son vêtement à nettoyer, il en emprunte un autre à l'un de ses amis, et attend pour le rendre qu'on le lui demande, et ainsi pour tout. C'est lui-même qui distribue les provisions à ses gens, et il se sert pour cela d'une mesure économique et dont le fond est bombé, et ne manque jamais d'égaliser le dessus quand elle est pleine. Il se fait donner par un ami des objets qu'il revend ensuite. S'il lui faut payer une dette de trente mines, il a toujours quatre drachmes de moins quand il s'agit de payer'. Si ses enfants ont manqué d'aller à l'école, à cause de quelque indisposition, il a soin de diminuer à proportion la somme qu'il paie au maître ; et pendant le mois d'Anthestérion2 il ne les y envoie point; car il ne veut pas payer un mois où tant de fêtes théâtrales interrompent les études. Si un esclave lui paie en monnaie de cuivre la contribution qu'il exige de lui, il lui demande quelque chose de plus pour la perte du cuivre sur l'or; et il agit de même envers le fermier qui lui rend ses comptes. Quand il arrive à un repas de corps, il demande à prendre sur le service commun une part pour ses enfants, et compte les demi-raves qui sont restées sur la table, de crainte que les esclaves qui les desservent ne les prennent. S'il fait un voyage avec quelques personnes de sa connaissance, il se sert de leurs esclaves, et pendant ce temps-là, il loue le sien, sans partager avec personne le profit qu'il en tire. Il va plus loin: si l'on se réunit chez lui pour faire un repas à frais communs, il cherche à soustraire une partie du bois, des

Il fallait cent drachmes pour faire une mine: le gain de cet homme serait donc dans une proportion de 20 centimes sur 50 francs. La mine ayant une valeur de 95 francs de notre monnaie, c'était en réalité 3 francs 80 centimes sur 2,850 francs.

2 Les fètes publiques de ce mois étaient les Anthestéries, fètes en l'honneur de Bacchus.

3 Un maître louait à d'autres ses esclaves, et prélevait un droit sur le produit de son travail. Ce droit ne pouvait guère se payer en or, ni même en argent.

lentilles, du vinaigre, du sel et de l'huile de lampe, qu'il a fournis. Si l'un de ses amis se marie ou marie sa fille, il se met en voyage pour quelque temps afin de n'avoir point à donner de présents de noces. Et chez ses connaissances il aime à emprunter de ces choses qu'il sait qu'on ne lui redemandera pas, ou qu'on n'oserait recevoir s'il voulait les rendre. '

Nous avons traduit cette phrase selon le sens que lui donne Schweighæuser, d'après les corrections de Coray et de Schneider: il nous semble préférable à tous les autres.

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DES MATIÈRES

CONTENUES DANS LES CARACTÈRES DE LA BRUYÈRE.

A

Achille. Etre Achille et Thersite, 171.

Actions. Le motif seul fait leur mérite;
Le désintéressement y met la perfection, 40.
Les meilleures s'altèrent par la manière dont on
les fait, 172.

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Amis. Ne point s'attacher à leur bonne ou à Acteurs. Passion des femmes pour eux, 48. leur mauvaise fortune, 33. V. Amitié. Com V. Comédiens, Théâtre. ment on voit quelquefois le bien de ses amis;C'est assez d'un ami pour soi, on n'en peut avoir trop pour le service des autres; - Comment se faire des amis. 68. Anis et ennemis, 68-69. V. Aimer et Hair, Voir ses amis par estime, et les voir par intérêt, 69. Entre am is, ressemblance de goût, et différence d'opinion, 90. Amis des nouveaux ministres, 148.

Emile, son portrait, 36–37.

Affaire. L'homme d'affaires est un ours qu'on ne saurait apprivoiser, 102. Paraître accablé d'affaires, 125. Comment elles s'éloignent souvent de toute conclusion, 157-158. Celle qui se rend facile devient suspecte; Les hommes ont peine à s'approcher sur les affaires, 205. Affectation. Dans le geste, le parler ou les manières; Ce qui rejette l'homme dans son naturel, 235.

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Affliction. Comment on sort d'une grande affliction, 66. La seule qui soit durable est celle de la perte de ses biens, 117.

Affligé. Les affligés ont tort, 205.

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Amour. Les femmes y vont plus loin que les hommes, 55. L'amour et l'amitié, 63-64. L'on

Age. Un âge fait regretter l'autre, 208. Les n'aime bien qu'une fois, c'est la première;

différents âges, 209.

Agrément. Est arbitraire, 45.

Aimer. Toujours aimer: si l'on en est maitre, 66. Faiblesse d'aimer, et faiblesse d'en guérir; Faire tout le bonheur ou tout le malheur de ceux qu'on aime, 66-67. Aimer et hair, 67. V. Amitié, Amis, Amour.

Air. Air spirituel est dans les hommes, ce que la régularité des traits est dans les femmes,

248.

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Anciens. Leur goût parfait, 7. Il faut toujours y revenir dans les sciences et dans les Rappro-arts; - On en tire le plus qu'on peut et on les maltraite ensuite; Quelques-uns les jugent inférieurs aux modernes, 7-8.

ALEXANDRE N'était qu'un héros ;chement entre Alexandre et César, 36. Portrait, 264.

Ambition. Le sage en guérit par l'ambition même, 40. Femmes qui en ont, 55. Ne s'éteint point, 72. Portrait de l'ambitieux, 150-159. AMBOISE. le cardinal Georges d'Amboise dépeint, 188-189.

Ame. Soin des âmes, 30. Une grande âme est au dessus de l'injure, et ne souffre que par la compassion, 215. Les hommes oublient souvent qu'ils en ont une, 263. Comme Dieu est esprit, mon âme aussi est esprit, 343. L'âme et les organes des sens; L'âme ne peut être anéantic,

343-344.

ANTAGORAS. L'homme aux procès, 229. Antiquaire. Peu verse dans l'histoire contemporaine, 93-95.

Antithese. Ce que c'est ;-Propre aux jeunes gens, 22-23.

Apôtre. Quand on ne serait l'apôtre que d'un seul homme, 339.

ARFURE devenue riche, 42-403.

Argent. Femme qui le préfère à ses amis, et lui préfère ses amants, 55. Son pouvoir;— I! sert à acquérir noblesse, rang, crédit, autorité, 104, 32. Hommes d'argent, 112-113.

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