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XIX.

D'un bilain Pomme.

Ce caractère suppose toujours dans un homme une extrême malpropreté, et une négligence pour sa personne qui passe dans l'excès, et qui blesse ceux qui s'en aperçoivent. Vous le verrez quelquefois tout couvert de lèpre, avec des ongles longs et malpropres, ne pas laisser de se mêler parmi le monde, et croire en être quitte pour dire que c'est une maladie de famille, et que son père et son aïeul y étaient sujets. Il a aux jambes des ulcères. On lui voit aux mains des poireaux et autres saletés, qu'il néglige de faire guérir; ou s'il pense à y remédier, c'est lorsque le mal, aigri par le temps, est devenu incurable. Il est hérissé de poil sous les aisselles et par tout le corps, comme une bête fauve; il a les dents noires, rongées, et telles que son abord ne se peut souffrir. Ce n'est pas tout, il crache ou il se mouche en mangeant, il parle la bouche pleine', il fait en buvant des choses contre la bienséance, ne se sert jamais au bain que d'une huile qui sent mauvais, et ne paraît guère dans une assemblée publique qu'avec une vieille robe et toute tachée. S'il est obligé d'accompagner sa mère chez les devins, il n'ouvre la bouche que pour dire des choses de mauvais augure 2. Une autre fois, dans le temple et en faisant des

Le texte ajoute, « et laisse tomber ce qu'il mange. »

2 Les anciens avaient un grand égard pour les paroles qui étaient proférées, même par hasard, par ceux qui venaient consulter les devins et les augures, prier ou sacrifier dans les temples. (La Bruyère.)

libations', il lui échappera des mains une coupe ou quelque autre vase; et il rira ensuite de cette aventure, comme s'il avait fait quelque chose de merveilleux. Un homme si extraordinaire ne sait point écouter un concert ou d'excellents joueurs de flûte; il bat des mains avec violence comme pour leur applaudir, ou bien il suit d'une voix désagréable le même air qu'ils jouent il s'ennuie de la symphonie, et demande si elle ne doit pas bientôt finir. Enfin si, étant assis à table, il veut cracher, c'est justement sur celui qui est derrière lui pour lui donner à boire 2.

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Ce qu'on appelle un fâcheux est celui qui, sans faire à quelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasser beaucoup 3; qui, entrant dans la chambre de son ami qui commence à dormir, le réveille pour l'entretenir de vains discours; qui, se trouvant sur le bord de la mer, sur le point qu'un homme est près de partir et de

' Cérémonies où l'on répandait du vin ou du lait dans les sacrifices. (Note de La Bruyère.)

Le texte porte: « Il crache par dessus la table sur celui qui lui donne à boire. >> La phrase de l'auteur grec rappelle l'usage des anciens, qui, dans les repas, se tenaient d'un côté de la table, tandis que les esclaves occupaient l'autre pour le service. Cette coutume a sans doute échappé à La Bruyère.

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* Plus littéralement : « La malice innocente est une conduite qui incommode » sans nuire. >>

monter dans son vaisseau, l'arrête sans nul besoin, et l'engage insensiblement à se promener avec lui sur le rivage'; qui, arrachant un petit enfant du sein de sa nourrice pendant qu'il tette, lui fait avaler quelque chose qu'il a màché, bat des mains devant lui, le caresse, et lui parle d'une voix contrefaite; qui choisit le temps du repas, et que le potage est sur la table, pour dire qu'ayant pris médecine depuis deux jours, il est allé par haut et par bas, et qu'une bile noire et recuite était mêlée dans ses déjections; qui, devant toute une assemblée, s'avise de demander à sa mère quel jour elle a accouché de lui; qui, ne sachant que dire 2, apprend que l'eau de sa citerne est fraîche, qu'il croît dans son jardin de bons légumes, ou que sa maison est ouverte à tout le monde comme une hôtellerie; qui s'empresse de faire connaître à ses hôtes un parasite qu'il a chez lui; qui l'invite, à table, à se mettre en bonne humeur et à réjouir la compagnie.

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De la gotte Vanité'.

La sotte vanité semble être une passion inquiète de se faire valoir

par les plus petites choses, ou de chercher dans les sujets les plus

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Ou, d'après M. Coray: « Prêt à s'embarquer pour quelque voyage, il se

>> promène sur le rivage, et empêche qu'on ne mette à la voile, en priant ceux

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qui doivent partir avec lui d'attendre qu'il ait fini sa promenade.

2 Cette transition est de La Bruyère.

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Mot grec qui signifie celui qui ne mange que chez autrui. (La Bruyère.)

Le mot grec signifie littéralement l'Ambition des petites choses.

frivoles du nom et de la distinction. Ainsi un homme vain, s'il se trouve à un repas, affecte toujours de s'asseoir proche de celui qui l'a convié; il consacre à Apollon la chevelure d'un fils qui lui vient de naître et dès qu'il est parvenu à l'âge de puberté, il le conduit lui-même à Delphes, lui coupe les cheveux et les dépose dans le temple comme un monument d'un vœu solennel qu'il a accompli '. Il aime à se faire suivre par un More. S'il fait un paiement, il affecte que ce soit dans une monnaie toute neuve, et qui ne vienne que d'être frappée. Après qu'il a immolé un bœuf devant quelque autel, il se fait réserver la peau du front de cet animal, il l'orne de rubans et de fleurs, et l'attache à l'endroit de sa maison le plus exposé à la vue de ceux qui passent, afin que personne du peuple n'ignore qu'il a sacrifié un bœuf. Une autre fois, au retour d'une cavalcade qu'il aura faite avec d'autres citoyens, il renvoie chez soi par un valet tout son équipage, et ne garde qu'une riche robe dont il est habillé, et qu'il traîne le reste du jour dans la place publique. S'il lui meurt un petit chien, il l'enterre, lui dresse une épitaphe avec ces mots : « Il était de race de Malte 2. » Il consacre un anneau à Esculape, qu'il use à force d'y pendre des couronnes de fleurs. Il se parfume tous les jours, il remplit avec un grand faste tout le temps de sa magistrature; et, sortant de charge, il rend compte au peuple avec ostentation des sacrifices qu'il a faits, comme du nombre et de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors, revêtu d'une robe blanche et couronné de fleurs, il parait dans l'assemblée du peuple. Nous pouvons, dit-il, vous assurer, ô Athéniens, que pendant le temps de notre gouvernement nous avons sacrifié à Cybèle, et que nous lui avons rendu des honneurs tels que les mérite de nous la mère

Le peuple d'Athènes, ou les personnes plus modestes, se contentaient d'as sembler leurs parents, de couper en leur présence les cheveux de leurs fils parvenus à l'âge de puberté, et de les consacrer ensuite à Hercule, ou à quelque autre divinité qui avait un temple dans la ville. (La Bruyère.) Le grec dit seulement : <« Il conduit son fils à Delphes pour lui faire couper les cheveux ». On peut consulter le Voyage d'Anacharsis, chap. XXVI.

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Cette ile portait de petits chiens fort estimés. (La Brayère.

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