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d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompus par la paresse ou par le plaisir, croient faussement, dans un àge plus avancé, qu'il leur suffit d'être inutiles ou dans l'indigence, afin que la république soit engagée à les placer ou à les secourir; et ils profitent rarement de cette leçon trèsimportante, que les hommes devraient employer les premières années de leur vie à devenir tels, par leurs études et par leur travail, que la république elle-même eût besoin de leur industrie et de leurs lumières, qu'ils fussent comme une pièce nécessaire à tout son édifice, et qu'elle se trouvat portée par ses propres avantages à faire leur fortune ou à l'embellir.

Nous devons travailler à nous rendre très-dignes de quelque emploi : le reste ne nous regarde point, c'est l'affaire des autres.

Se faire valoir par des choses qui ne dépendent pas des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir maxime inestimable et d'une ressource infinie dans la pratique, utile aux faibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos; pernicieuse pour les grands, qui diminuerait leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves; qui ferait tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduirait presque à leurs entremets et à leurs équipages; qui les priverait du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner; qui les traverserait dans le goût qu'ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite, quand il leur arrive de le discerner; qui bannirait des cours les brigues, les cabales, les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, la fourberie; qui ferait d'une cour orageuse, pleine de mouvements et d'intrigues, comme une pièce comique, ou même tragique, dont les sages ne seraient que les spectateurs; qui remettrait de la dignité dans les différentes conditions des hommes, et de la sérénité sur leur visage ; qui étendrait leur liberté; qui réveillerait en eux, avec les talents naturels, l'habitude du travail et l'exercice; qui les exciterait à l'émulation, au desir de la gloire, à l'amour de la vertu ; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages économes, ou d'excellents pères de famille, ou des juges intègres, ou de grands capitaines, ou des orateurs, ou des philosophes, et qui ne leur

attirerait à tous nul autre inconvénient que celui, peut-être, de laisser à leurs héritiers moins de trésors que de bons exemples.

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage, qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s'appelât travailler.

C.P

Un homme de mérite, et qui est en place, n'est jamais incommode par sa vanité il s'étourdit moins du poste qu'il occupe, qu'il n'est humilié par un plus grand qu'il ne remplit pas, et dont il se croit digne plus capable d'inquiétude que de fierté ou de mépris pour les autres, il ne pense qu'à soi-même.

A

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Il coûte à un homme de mérite de faire assidûment sa cour, mais par une raison bien opposée à celle que l'on pourrait croire. Il n'est point tel sans une grande modestie, qui l'éloigne de penser qu'il fasse le moindre plaisir aux princes s'il se trouve sur leur passage, se poste devant leurs yeux, et leur montre son visage. Il est plus proche de se persuader qu'il les importune; et il a besoin de toutes les raisons tirées de l'usage et de son devoir pour se résoudre à se montrer. Celui au contraire qui a bonne opinion de soi, et que le vulgaire appelle un glorieux, a du goût à se faire voir, et il fait sa cour avec d'autant plus de confiance qu'il est incapable de s'imaginer que les grands dont il est vu, pensent autrement de sa personne qu'il fait lui-même.

Un honnête homme se paie par ses mains de l'application qu'il a à son devoir, par le plaisir qu'il sent à le faire, et se désintéresse sur les éloges, l'estime et la reconnaissance, qui lui manquent quelquefois.

Si j'osais faire une comparaison entre deux conditions tout à fait inégales, je dirais qu'un homme de cœur pense à remplir ses devoirs, à peu près comme le couvreur pense à couvrir : ni l'un ni l'autre ne cherchent à exposer leur vie, ni ne sont détournés par le péril; la mort pour eux est un inconvénient dans le métier, et jamais un obstacle. Le premier aussi n'est guère plus vain d'avoir paru à la tranchée, emporté un ouvrage, ou forcé un retranchement, que celui-ci d'avoir monté sur de hauts combles, ou sur la pointe d'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à bien faire, pendant que le fanfaron travaille à ce que l'on dise de lui qu'il a bien fait.

¶ La modestie est au mérite, ce que les ombres sont aux figures dans un tableau: elle lui donne de la force et du relief.

¶ Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires; il est taillé pour eux, et sur leur mesure; mais c'est une parure pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions. Je les compare à une beauté né– gligée, mais plus piquante.

Certains hommes, contents d'eux-mêmes, de quelque action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, et ayant ouï dire que la modestie sied bien aux grands hommes, osent être modestes; contrefont les simples et les naturels : semblables à ces gens d'une taille médiocre qui se baissent aux portes de peur de se heurter.

Votre fils est bègue, ne le faites pas monter sur la tribune. Votre fille est née pour le monde, ne l'enfermez pas parmi les vestales. Xantus, votre affranchi, est faible et timide, ne différez pas, retirez-le des légions et de la milice. Je veux l'avancer, dites-vous comblez-le de biens, surchargez-le de terres, de titres et de possessions; servezvous du temps; nous vivons dans un siècle où elles lui feront plus d'honneur que la vertu. Il m'en coûterait trop, ajoutez-vous. Parlezvous sérieusement, Crassus? Songez-vous que c'est une goutte d'eau que vous puisez du Tibre, pour enrichir Xantus que vous aimez, et pour prévenir les honteuses suites d'un engagement où il n'est pas propre?

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Il ne faut regarder dans ses amis que la seule vertu qui nous attache à eux, sans aucun examen de leur bonne ou de leur mauvaise fortune: et quand on se sent capable de les suivre dans leur disgrâce, il faut les

cultiver hardiment et avec confiance jusque dans leur plus grande

prospérité.

¶ S'il est ordinaire d'être vivement touché des choses rares, pourquoi le sommes-nous si peu de la vertu?

q S'il est heureux d'avoir de la naissance, il ne l'est pas moins d'être tel qu'on ne s'informe plus si vous en avez.

Il apparaît de temps en temps sur la surface de la terre, des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu, et dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux. Semblables à ces étoiles extraordinaires, dont on ignore les causes, et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent après avoir disparu; ils n'ont ni aïeuls, ni descendants: ils composent seuls toute leur race.

Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre engagement à le faire; et s'il y a du péril, avec péril; il inspire le courage, ou il y supplée.

Quand on excelle dans son art, et qu'on lui donne toute la perfection dont il est capable, l'on en sort en quelque manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et de plus relevé. V** est un peintre, C** un musicien, et l'auteur de Pyrame est un poète : mais MIGNARD est MIGNARD, LULLY est LULLY, et CORNEILLE est CORNEILLE.

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¶ Un homme libre, et qui n'a point de femme, s'il a quelque esprit, peut s'élever au dessus de sa fortune; se mêler dans le monde, et aller de pair avec les plus honnêtes gens. Cela est moins facile à celui qui est engagé il semble que le mariage met tout le monde dans son ordre. ¶ Après le mérite personnel, il faut l'avouer, ce sont les éminentes dignités et les grands titres dont les hommes tirent plus de distinction et plus d'éclat; et qui ne sait être un ÉRASME, doit penser à être évêque. Quelques-uns, pour étendre leur renommée, entassent sur leurs personnes des pairies, des colliers d'ordres, des primaties, la pourpre, et ils auraient besoin d'une tiare : mais quel besoin a Trophime d'être cardinal?

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Ç L'or éclate, dites-vous, sur les habits de Philemon; il éclate de même chez les marchands. Il est habillé des plus belles étoffes le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques, et à la pièce? Mais la broderie et les ornements y ajoutent encore la magnificence je

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