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E discours chrétien est devenu un spectacle; cette tristesse évangélique qui en est l'âme ne s'y remarque plus; elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots et par les longues énumérations on n'écoute plus sérieusement la parole sainte; c'est une sorte d'amusement entre mille autres, c'est un jeu où il y a de l'émulation et des parieurs.

L'éloquence profane est transposée, pour ainsi dire, du barreau,

où LE MAISTRE, PUCELLE et FOURCROY l'ont fait régner, et où elle n'est plus d'usage, à la chaire où elle ne doit pas être.

L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de l'autel et en la présence des mystères : celui qui écoute s'établit juge de celui qui prêche, pour condamner ou pour applaudir, et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise que par celui auquel il est contraire. L'orateur plaît aux uns, déplaît aux autres, et convient avec tous en une chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.

Un apprenti est docile, il écoute son maître, il profite de ses leçons, et il devient maître : l'homme indocile critique le discours du prédicateur comme le livre du philosophe, et il ne devient ni chrétien, ni raisonnable.

¶ Jusqu'à ce qu'il revienne un homme qui, avec un style nourri des saintes Écritures, explique au peuple la parole divine uniment et familièrement, les orateurs et les déclamateurs seront suivis.

Les citations profanes, les froides allusions, le mauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées, ont fini; les portraits finiront, et !feront place à une simple explication de l'Évangile, jointe aux mouvements qui inspirent la conversion.

Cet homme que je souhaitais impatiemment, et que je ne daignais pas espérer de notre siècle, est enfin venu; les courtisans, à force de goût et de connaître les bienséances, lui ont applaudi, ils ont, chose incroyable! abandonné la chapelle du roi pour venir entendre avec le peuple la parole de Dieu annoncée par cet homme apostolique': la ville n'a pas été de l'avis de la cour; où il a prêché, les paroissiens ont déserté, jusqu'aux marguilliers ont disparu, les pasteurs ont tenu ferme, mais les ouailles se sont dispersées, et les orateurs voisins en ont grossi leur auditoire. Je devais le prévoir, et ne pas dire qu'un tel homme n'avait qu'à se montrer pour être suivi, et qu'à parler pour être écouté : ne savais-je pas quelle est dans les hommes et en toutes choses la force indomptable de l'habitude depuis trente années on prête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs, on court ceux qui pei

Le P. Séraph., cap.

gnent en grand, ou en miniature; il n'y a pas longtemps qu'ils avaient des chutes ou des transitions ingénieuses, quelquefois même si vives et si aiguës, qu'elles pouvaient passer pour épigrammes; ils les ont adoucies, je l'avoue, et ce ne sont plus que des madrigaux : ils ont toujours, d'une nécessité indispensable et géométrique, trois sujets admirables de vos attentions; ils prouveront une telle chose dans la première partie de leur discours, cette autre dans la seconde partie, et cette autre encore dans la troisième; ainsi vous serez convaincu d'abord d'une certaine vérité, et c'est leur premier point, d'une autre vérité, et c'est leur second point, et puis d'une troisième vérité, et c'est leur troisième point; de sorte que la première réflexion vous instruira d'un principe des plus fondamentaux de votre religion, la seconde, d'un autre principe qui ne l'est pas moins, et la dernière réflexion, d'un troisième et dernier principe, le plus important de tous, qui est remis pourtant, faute de loisir, à une autre fois; enfin, pour reprendre et abréger cette division, et former un plan... Encore, dites-vous, et quelles préparations, pour un discours de trois quarts d'heure qui leur reste à faire! plus ils cherchent à le digérer et à l'éclaircir, plus ils m'embrouillent. Je vous crois sans peine, et c'est l'effet le plus naturel de tout cet amas d'idées qui reviennent à la même, dont ils chargent sans pitié la mémoire de leurs auditeurs; il semble, à les voir s'opiniâtrer à cet usage, que la grâce de la conversion soit attachée à ces énormes partitions: comment néanmoins serait-on converti par de tels apôtres, si l'on ne peut qu'à peine les entendre articuler, les suivre, et ne les pas perdre de vue? Je leur demanderais volontiers qu'au milieu de leur course impétueuse ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine, souffler un peu, et laisser souffler leurs auditeurs. Vains discours, paroles perdues! le temps des homélies n'est plus; les Basile, les Chrysostôme, ne le ramèneraient pas; on passerait en d'autres diocèses pour être hors de la portée de leur voix et de leurs familières instructions; le commun des hommes aime les phrases et les périodes, admire ce qu'il n'entend pas, se suppose instruit, content de décider entre un premier et un second point, ou entre le dernier sermon et le pénultième.

Il y a moins d'un siècle qu'un livre français était un certain nombre

pas

de pages latines, où l'on découvrait quelques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passages, les traits et les citations n'en étaient demeurés là, Ovide et Catulle achevaient de décider des mariages et des testaments, et venaient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles : le sacré et le profane ne se quittaient point, ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la chaire; saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucrèce, parlaient alternativement, les poètes étaient de l'avis de saint Augustin et de tous les Pères; on parlait latin et longtemps devant des femmes et des marguilliers, on a parlé grec : il fallait savoir prodigieusement pour prêcher si mal. Autre temps, autre usage; le texte est encore latin, tout le discours est français, et d'un beau français; l'Évangile même n'est pas cité il faut savoir aujourd'hui très-peu de chose pour bien prêcher.

¶ L'on a enfin banni la scolastique de toutes les chaires des grandes villes, et on l'a reléguée dans les bourgs et dans les villages, pour l'instruction et pour le salut du laboureur ou du vigneron.

q C'est avoir de l'esprit que de plaire au peuple dans un sermon par un style fleuri, une morale enjouée, des figures réitérées, des traits brillants et de vives descriptions; mais ce n'est point en avoir assez. Un meilleur esprit néglige ces ornements étrangers, indignes de servir à l'Evangile; il prêche simplement, fortement, chrétiennement.

L'orateur fait de si belles images de certains désordres, y fait entrer des circonstances si délicates, met tant d'esprit, de tour et de raffinement dans celui qui pèche, que, si je n'ai pas de pente à vouloir ressembler à ses portraits, j'ai besoin du moins que quelque apôtre, avec un style plus chrétien, me dégoûte des vices dont l'on m'a fait une peinture si agréable.

Un beau sermon est un discours oratoire qui est dans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les ornements de la rhétorique; ceux qui entendent finement, n'en perdent pas le moindre trait ni une seule pensée; ils suivent sans peine l'orateur dans toutes les énumérations où il se promène, comme dans toutes les élévations où il se jette: ce n'est une énigme que pour le peuple.

Le solide et l'admirable discours que celui qu'on vient d'entendre!

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