Page images
PDF
EPUB

que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée trèscher, et qu'il ne la changerait pas pour ce qu'il a de memeur : j'ai, continue-t-il, une sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estampes pour le reste de mes jours j'ai tout Calot, hormis une seule qui n'est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages, au contraire, c'est un des moindres, mais qui m'achèverait Calot; je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir : cela est bien rude.

Tel autre fait la satire de ces gens qui s'engagent par inquiétude ou par curiosité dans de longs voyages, qui ne font ni mémoires, ni rela— tions, qui ne portent point de tablettes, qui vont pour voir, et qui ne voient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu, qui desirent seulement de connaître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, et de passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine ni la Loire, qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être absents, qui veulent un jour être revenus de loin : et ce satirique parle juste et se fait écouter.

Mais quand il ajoute que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir, je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où dès l'escalier je tombe en faiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts; il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'autre, dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près qui sont peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'œil s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa complaisance, et ne veux non plus que lui visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque.

Quelques-uns, par une intempérance de savoir, et par ne pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte de connaissance, les embrassent toutes et n'en possèdent aucune; ils aiment mieux savoir beaucoup, que de savoir bien, et être faibles et superficiels dans diverses sciences, que d'être sûrs et profonds dans une seule; ils trouvent en toutes rencontres celui qui est leur maître et qui les redresse; ils sont les dupes

de leur vaine curiosité, et ne peuvent au plus, par de longs et pénibles efforts, que se tirer d'une ignorance crasse.

D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais ; ils passent leur vie à déchiffrer les langues orientales et les langues du Nord, celles des deux Indes, celles des deux pôles, et celle qui se parle dans la lune ; les idiomes les plus inutiles avec les caractères les plus bizarres et les plus magiques sont précisément ce qui réveille leur passion et qui excite leur travail; ils plaignent ceux qui se bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au plus la grecque et la latine: ces gens lisent toutes les histoires et ignorent l'histoire, ils parcourent tous les livres, et ne profitent d'aucun; c'est en eux une stérilité de faits et de principes qui ne peut être plus grande; mais à la vérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots et de paroles qui puisse s'imaginer; ils plient sous le faix, leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit demeure vide.

Un bourgeois aime les bâtiments, il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable: le maître, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au galetas, où il achève sa vie, pendant que l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglais et aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du Palais-Royal, du palais L... G... ', et du Luxembourg: on heurte sans fin à cette belle porte; tous demandent à voir la maison, et personne à voir monsieur.

On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs yeux, à qui ils ne peuvent pas donner une dot, que dis-je, elles ne sont pas vêtues, à peine nourries; qui se refusent un tour de lit et du linge blanc ; qui sont pauvres, et la source de leur misère n'est pas fort loin; c'est un gardemeuble chargé et embarrassé de bustes rares, déjà poudreux et couverts d'ordures, dont la vente les mettrait au large, mais qu'ils ne peuvent se résoudre à mettre en vente.

Diphile commence par un oiseau et finit par mille; sa maison n'en est pas égayée, mais empestée : la cour, la salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout est volière; ce n'est plus un

[ocr errors][merged small]
[graphic][subsumed][ocr errors][ocr errors]
« PreviousContinue »