Page images
PDF
EPUB

je vous garderai le fecret, comme je l'exige 1740. de vous, et je vous fervirai auffi vivement que je vous aime et que je vous eftime.

Me voici pour quelques jours à la Haie, je retournerai bientôt à Bruxelles; me permettrez-vous de vous parler ici d'une chofe que j'ai fur le cœur depuis long-temps. Je fuis affligé de vous voir en froideur avec une dame qui, après tout, eft la seule qui puisse vous entendre, et dont la façon de penser mérite votre amitié. Vous êtes faits pour vous aimer l'un et l'autre écrivez-lui ( un homme a toujours raifon quand il fe donne le tort avec une femme ) vous retrouverez fon amitié, puifque vous avez toujours fon eftime. Je vous prie de me mander où je pourrais trouver la première bévue que l'on fit à votre académie, quand on jugea d'abord que la terre était aplatie aux pôles fur des mesures qui la donnaient alongée (2).

[ocr errors]

(2) M. Jacques Caffini, mort en 1756, avait trouvé, en 1701, par fa mesure des degrés du méridien de Paris à Collioure, qu'ils décroiffaient en approchant du pôle : il en conclut d'abord, mais fauffement, que la terre était aplatie vers les pôles; et M. de Fontenelle, dans l'extrait qu'il donna du mémoire de M. Caffini, parut adopter la fauffe conclufion de cet aftronome. (Mémoires de l'académie pour l'année 1701). Cette erreur a été corrigée dans la nouvelle édition qu'on a faite des premières années de ces Mémoires. Ce fut un ingénieur, nommé des Roubais, qui s'en aperçut le premier, et qui donna un mémoire à ce fujet dans les journaux de Hollande.

Ne fait-on rien du Pérou ?

Adieu; je fuis un juif errant à vous pour 1740. jamais.

P. S. Comme je resterai à la Haie un peu plus que je ne comptais, vous pouvez y adreffer vos lettres chez l'envoyé de Prufse. M. s'Gravefende vous fait mille complimens. Vous favez que lui et M. Muffchembroëk ont préféré leur patrie à Berlin.

LETTRE XX I I.

A MILORD HARVEY,

GARDE DES SCEAUX D'ANGLETERRE,

Sur Louis XIV.

Je fais compliment à votre nation, Milord,

E

encore.

fur la prise de Porto-Bello, et fur votre place de garde des fceaux. Vous voilà fixé en Angleterre; c'eft une raifon pour moi d'y voyager Je vous réponds bien que, fi certain procès eft gagné, vous verrez arriver à Londres une petite compagnie choifie de newtoniens, à qui le pouvoir de votre attraction, et celui de milady Harvey, feront paffer la mer. Ne jugez point, je vous prie, de mon effai fur le

fiècle de Louis XIV, par les deux chapitres 1740. imprimés en Hollande avec tant de fautes,

qui rendent mon ouvrage inintelligible. Si la traduction anglaife eft faite fur cette copie informe, le traducteur eft digne de faire une verfion de l'Apocalypfe; mais furtout foyez un peu moins fâché contre moi de ce que j'appelle le fiècle dernier le fiècle de Louis XIV. Je fais bien que Louis XIV n'a pas eu l'honneur d'être le maître ni le bienfaiteur d'un Bayle, d'un Newton, d'un Halley, d'un Addisson, d'un Dryden : mais dans le fiècle qu'on nomme de Léon X, ce pape Léon X avait-il tout fait ? N'y avait-il pas d'autres princes qui contribuèrent à polir et à éclairer le genre-humain? Cependant le nom de Léon X a prévalu, parce qu'il encouragea les arts plus qu'aucun autre. Eh! quel roi a donc en cela rendu plus de fervices à l'humanité que Louis XIV! Quel roi a répandu plus de bienfaits, a marqué plus de goût, s'eft fignalé par de plus beaux établissemens! Il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, fans doute, parce qu'il était homme; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il était un grand-homme ma plus forte raison pour l'eftimer beaucoup, c'eft qu'avec des fautes connues, il a plus de réputation qu'aucun de fes contemporains; c'est que, malgré un million d'hommes dont il a privé la France,

et qui tous ont été intéreffés à le décrier, toute l'Europe l'estime, et le met au rang des 1740. plus grands et des meilleurs monarques.

Nommez-moi donc, Milord, un fouverain qui ait attiré chez lui plus d'étrangers habiles, et qui ait plus encouragé le mérite dans fes fujets? Soixante favans de l'Europe reçurent à la fois des récompenfes de lui, étonnés d'en être connus.

Quoique le roi ne foit pas votre fouverain, leur écrivait M. Colbert, il veut être votre bienfaiteur; il m'a commandé de vous envoyer la lettre de change ci-jointe, comme un gage de fon eftime. Un bohėmien, un danois, recevaient de ces lettres datées de Verfailles. Guillemini bâtit une maifon à Florence des bienfaits de Louis XIV; il mit le nom de ce roi fur le frontispice, et vous ne voulez pas qu'il foit à la tête du fiècle dont je parle.

Ce qu'il a fait dans fon royaume doit servir à jamais d'exemple. Il chargea de l'éducation de fon fils et de fon petit-fils, les plus éloquens et les plus favans hommes de l'Europe. Il eut l'attention de placer trois enfans de Pierre Corneille, deux dans les troupes, et l'autre dans l'Eglife; il excita le mérite naissant de Racine, par un préfent confidérable pour un jeune homme inconnu et fans bien; et quand ce génie se fut perfectionné, ces talens, qui

fouvent font l'exclufion de la fortune, firent 1740. la fienne. Il eut plus que de la fortune, il eut la faveur, et quelquefois la familiarité d'un maître dont un regard était un bienfait ;il était, en 1688 et 1689, de ces voyages de Marly, tant brigués par les courtifans; il couchait dans la chambre du roi pendant fes maladies, et lui lifait ces chefs-d'œuvre d'éloquence et de poëfie qui décoraient ce beau règne.

Cette faveur, accordée avec difcernement, eft ce qui produit de l'émulation et qui échauffe les grands génies; c'est beaucoup de faire des fondations, c'eft quelque chofe de les foutenir; mais s'en tenir à ces établiffec'eft fouvent préparer les mêmes afiles pour l'homme inutile et pour le grand-homme; c'eft recevoir dans la même ruche l'abeille et le frelon.

Louis XIV fongeait à tout; il protégeait les académies, et diftinguait ceux qui fe fignalaient. Il ne prodiguait point fa faveur à un genre de mérite, à l'exclufion des autres, comme tant de princes qui favorisent, non ce qui eft bon, mais ce qui leur plaît; la phyfique et l'étude de l'antiquité attirèrent fon attention. Elle ne fe rallentit pas même dans les guerres qu'il foutenait contre l'Europe; car en bâtissant trois cents citadelles, en fefant marcher quatre cents mille foldats, il fefait

« PreviousContinue »