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DES LETTRES

DE M. DE VOLTAIRE.

LETTRE PREMIERE.

A M. PITOT DE LAUNAY,

DE L'ACADEMIE DES SCIENCES.

2 janvier.

Mon cher philofophe, je vous remercie

tendrement de votre souvenir et de la fidélité 1740. avec laquelle vous avez foutenu la bonne caufe dans l'affaire de Prault. Il y a long-temps que je connais, que je défie et que je méprise les calomniateurs. Les efprits malins et légers, quicommencent parofer condamnerun homme dont ils n'imiteraient pas les procédés, n'ont garde de s'informer de quelle manière j'en ai ufé. Ils le pourraient favoir de Prault luimême ; mais il est plus aisé de débiter un menfonge au coin du feu, que d'aller chez les parties intéreffées s'informer de la vérité. Il y a peu d'ames comme la vôtre, qui aiment

à rendre justice. Les vérités morales vous font 1740. auffi chères que les vérités géométriques. Je

vous prie de voir M. Arouet, et de demander l'état où il eft: dites-lui que j'y fuis auffi fenfible que je dois l'être, et que je prendrais la pofte pour le venir voir, fi je croyais lui faire plaifir. Je vous demande en grâce de m'écrire des nouvelles de la difpofition de fon corps et de fon ame. Adieu; mille amitiés à madame Pitot, fans cérémonie.

LETTRE II.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, ce 8 janvier.

Vous m'allez croire un pareffeux, Monfieur,

et qui pis eft un ingrat; mais je ne fuis ni l'un ni l'autre. J'ai travaillé à vous amufer depuis que je fuis à Bruxelles, et ce n'eft pas une petite peine que celle de donner du plaifir. Je n'ai jamais tant travaillé de ma vie, c'est que je n'ai jamais eu tant d'envie de vous plaire.

Vous favez, Monfieur, que je vous avais promis de vous faire paffer une heure ou deux affez doucement: je devais avoir l'honneur

de vous préfenter ce petit recueil qu'imprimait Prault. Toutes ces pièces fugitives que vous avez de moi fort informes et fort incorrectes, m'avaient fait naître l'envie de vous les donner un peu plus dignes de vous. Prault les avait auffi manufcrites. Je me donnai la peine d'en faire un choix, et de corriger avec un très-grand foin tout ce qui devait paraître. J'avais mis mes complaifances dans ce petit livre. Je ne croyais pas qu'on dût traiter des chofes auffi innocentes plus févèrement qu'on n'a traité les Chapelle, les Chaulieu, les la Fontaine, les Rabelais, et même les épigrammes de Rouffeau.

Il s'en faut beaucoup que le recueil de Prault approchât de la liberté du moins hardi de tous les auteurs que je cite. Le principal objet même de ce recueil était le commencement du Siècle de Louis XIV, ouvrage d'un bon citoyen et d'un homme très-modéré. J'ofe dire qué dans tout autre temps une pareille entreprise ferait encouragée par le gouvernement. Louis XIV donnait fix mille livres de penfion aux Valincourt, aux Pélifsson, aux Racine et aux Despréaux, pour faire son histoire qu'ils ne firent point; et moi je fuis perfécuté pour avoir fait ce qu'ils devaient faire. J'élevais un monument à la gloire de mon pays, et je fuis écrafé fous les premières pierres que

1740.

j'ai pofées. Je suis en tout un exemple que 1740. les belles - lettres n'attirent guère que des malheurs.

pour

Si vous étiez à leur tête, je me flatte que les chofes iraient un peu autrement; et plût à Dieu que vous fuffiez dans les places que vous méritez! Ce n'eft pas pour moi, c'eft le bonheur de l'Etat que je le défire. Vous favez comment Govers a gagné ici fon procès tout d'une voix, comment tout le monde l'a félicité, et avec quelle vivacité les grands et les petits l'ont prié de ne point retourner en France. Je compte, pour moi, refter très-long-temps dans ce pays-ci ; j'aime les Français, mais je hais la perfécution. Je fuis indigné d'être traité comme je le fuis, et d'ailleurs j'ai de bonnes raifons pour refter ici. J'y fuis entre l'étude et l'amitié, je n'y défire rien, je n'y regrette rien que de ne vous point voir.

Peut-être viendra-t-il des temps plus favorables pour moi où je pourrai joindre aux douceurs de la vie que je mène, celle de profiter de votre commerce charmant, de m'inftruire avec vous et de jouir de vos bontés. Je ne désespère de rien.

J'ai vu ici M. d'Argens ; je suis infiniment content de fes procédés avec moi. Je vois bien que vous m'aviez un peu recommandé à

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