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ou par le diable? Dites-moi, je vous prie, fi la boîte n'eft pas un trait de la vengeance des 1740. Dieux, quels rapports auront les trois premiers actes avec les deux derniers ? Voilà encore une fois ce qui m'embarrasse. L'opéra pourrait commencer au quatrième acte; c'est à mon fens le plus grand des défauts: donnezmoi une réponse à cette objection.

Au refle, je profiterai de toutes vos bontés et de tous vos avis, et je me mettrai en befogne dès que vous m'aurez bien voulu répondre. J'invoquerai angelum meum, et je travaillerai.

Hélas! j'ai peur que, parmi les maux fortis de la boîte de Pandore, la mort de madame de Richelieu ne foit bientôt un des plus certains, comme un des plus cruels. On dit qu'elle crache. du pus et qu'elle a la fièvre. Vous perdriez une amie qui vous avait goûté infiniment.

Je ne fais fi la pofte en ufe avec les intendans des claffes comme avec moi. Les paquets ont beau être contre-fignés, le contre feing d'un miniftre français eft ici très-peu confidéré, et on paye ce beau feing neuf à dix florins; ainfi, quand par hafard vous aurez quelque gros paquet à envoyer, faites-le porter chez l'abbé Mouffinot.

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Bonsoir, mon aimable, mon refpectable, ami, mon confeil, mon juge, qui fouffrez

toutes mes rebellions; vous ne croyez donc pas 1740. qu'on puisse, jamais réduire madame Prudife aux mœurs françaises. . . . . Si pourtant.... Adieu; je vous embraffe mille fois.

LETTRE X I.

A M. DE CI DE VILLE.

A Bruxelles, ce 25 d'avril.

VOULEZ-VOUS favoir, mon charmant ami, mon confrère en Apollon, mon maître dans l'art de penfer délicatement, l'effet que m'a fait votre dernière lettre? celui qu'un bon inflrument de mufique fait fur un autre. Il en fait réfonner toutes les cordes qui font à l'uniffon. Vous m'avez remis fur le champ la lyre à la main ; j'ai ferré mes compas, je fuis revenu à l'autel de Melpomène et au temple des Grâces. Vous me direz fi j'ai été exaucé de vos trois Déeffes.

Tout ce que vous foupçonniez que j'ébauchais, eft prêt à vous être envoyé. Donnezmoi donc l'adreffe sûre que vous m'avez promife. J'ai plus de chofes à vous faire tenir que vous ne penfez. Je peux avoir mal employé mon temps, mais je ne fuis pas refté oifif. Je

fais qu'il y a long-temps que je ne vous ai écrit, mais auffi vous aurez deux tragédies 1740. pour excufe; et fi vous n'êtes pas content, j'ai encore autre chose à vous montrer.

Je veux vous rendre un peu compte de mes études; il me femble que c'eft un devoir que l'amitié m'impofe. Outre toutes les bagatelles poëtiques que vous recevrez de moi, vous en aurez auffi de philofophiques. Je crois avoir enfin mis les Elémens de Newton au point que l'homme le moins exercé dans ces matières, et le plus ennemi des fciences de calcul, pourra les lire avec quelque plaifir et avec fruit. J'ai mis au-devant de l'ouvrage un expofé de la métaphyfique de Newton et de celle de Leibnitz dont tout homme de bon fens eft juge-né, On va l'imprimer en Hollande au commencement de mai; mais il va paraître à Paris un ouvrage plus intéressant et plus fingulier en fait de phyfique ; c'eft une phyfique que madame du Châtelet avait compofée pour fon ufage, et que quelques membres de l'académie des sciences se sont chargés de rendre publique pour l'honneur de son sexe et pour celui de la France.

Vous avez lu fans doute la comédie des Dehors trompeurs. Quel dommage ! il y a des fcènes charmantes et des morceaux frappés de main de maître. Pourquoi cela n'eft-il pas plus

étoffé, et pourquoi les derniers actes font-ils

1740. fi languiffans?

Amphora cœpit

Inftitui, currente rotâ, cur urceus exit ?

Il en eft à peu-près de même de la pièce de Greffet; et qui pis eft, c'est une déclamation vide d'intérêt (*). Mon Dieu! pourquoi me parlez-vous de la tragédie, foi-difant de Coligny ? Il femble que vous ayez soupçonné qu'elle eft de moi. Le Dufauzet, libraire de Hollande, et par conféquent doublement fripon, a eu l'infolence abfurde de la débiter fous mon nom; mais, Dieu merci, le piége eft groffier; et fût-il plus fin, vous n'y seriez pas pris. Cette pitoyable rapfodie eft d'un bon enfant nommé d'Arnaud, qui s'eft avifé de vouloir mettre le fecond chant de la Henriade en tragédie.

Adieu, mon cher ami; mon cœur et mon efprit font à vous pour jamais. Madame du Châtelet vous fait mille complimens.

(+) Edouard III, tragédie.

LETTRE XII.

A M. DECIDEVILLE.

A Bruxelles, le 5 de mai.

UN ballot eft parti, mon cher ami; il est

marqué d'un grand T. Signa Tau fuper caput dolentium. Ce paquet eft très-honteux de ne contenir que quatre tomes de mes anciennes rêveries imprimées à Amsterdam, et rien des nouvelles folies.

On va jouer Zulime à Paris. Peut-être la jouera-t-on quand vous recevrez cette lettre ; mais je l'ai tant corrigée que je n'ai pu encore la faire tranfcrire pour vous l'envoyer. Il eût été mieux de vous l'envoyer d'abord tout informe qu'elle était ; j'y aurais gagné de bons confeils, mais auffi je vous aurais fait un mauvais préfent. Voilà ce que c'eft que d'être condamné à vivre loin de vous. Quel plaifir ce ferait de vous confulter tous les jours, de vous montrer le lendemain ce que vous auriez réformé la veille! Voilà comme les belleslettres font le charme de la vie, autrement elles n'en font que la faible confolation.

J'espère enfin vous envoyer bientôt Zulime et Mahomet. Ce Mahomet n'eft pas, comme vous croyez bien, le Mahomet II qui coupe

1740.

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