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paffer mes jours avec Euclide et Virgile, 1740. qu'on trouble mon repos.

Je crois connaître affez le Prince royal pour efpérer qu'il en redoublera de bontés pour moi; et que, fi on a voulu lui infpirer des fentimens peu favorables pour notre miniftre, il ne fentira que mieux fon mérite. C'eft un prince qui unira, je crois, les lettres et les armes, qui s'accommodera en homme jufte pour Berg et Juliers, fi on lui fait des propofitions honorables, et qui défendra fes droits dans l'occafion avec de vrais foldats, fans avoir de géans inutiles.

Je ferais fort étonné fi le roi fon père revenait de fa maladie. Il faut qu'il foit bien mal, puisqu'il eft défendu en Pruffe de parler de fa fanté ni en mal ni en bien.

Lorfque vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au fujet de M. de Valori, je venais de recevoir une lettre d'une de mes nièces, femme d'un commiffaire des guerres à Lille, qui m'inftruifait auffi de cette tracafferie. M. l'abbé de Valori, prévôt du chapitre de Lille, lui en avait parlé. Je ne peux mieux faire, je crois, Monfieur, que d'avoir l'honneur de vous envoyer la copie de la réponse à ma nièce.

"Les tracafferies viennent donc, ma chère enfant, jufque dans ma retraite, et pren

,,nent leur grand tour par Berlin. Je vois ,, très-clairement que quelque bonne ame a 1740. " voulu me nuire à la fois dans l'efprit du ,, Prince royal de Pruffe, et dans celui de ,, M. de Valori; et il y a quelque appa", rence qu'une certaine perfonne, qui avait ,, voulu deffervir M. de Valori à la cour de ,, Berlin, a femé encore ce petit grain de › zizanie.

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Je connais M. de Valori en général par » l'eftime publique qu'il s'eft acquife, et plus " particulièrement par le cas infini qu'en fait » M. d'Argenson, qui m'avait même flatté que ", j'aurais une nouvelle protection dans M. de ›› Valori auprès du Prince royal.

"J'avais eu l'honneur d'écrire plufieurs fois à ce prince, que M. de Valori augmen"terait le goût que fon Alteffe royale a pour » les Français, et que j'espérais que ce ferait " pour moi un nouveau moyen de me con,, ferver dans fes bonnes grâces. Je me flatte " encore que le petit mal-entendu qu'on a " fait naître ne détruira pas mes efpérances.

"Il est tout naturel que M. de Valori, "ayant vu, dans les gazetins infidelles dont

l'Europe eft inondée, une fauffe nouvelle ›, fur mon compte, l'ait crue comme les », autres; qu'on en ait dit un petit mot en paf

fant à la cour de Pruffe, et que quelqu'un,

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-99 à qui cela eft revenu à Paris, en ait fait un 1740. " commentaire.

"Il ne réfultera, de cette petite malice " qu'on a voulu faire à M. de Valori, rien ,, autre chofe que des affurances de la plus "refpectueuse eftime que je vous prie de faire› paffer à M. de Valori par le canal de mon"fieur fon frère. Si tous les tracaffiers de Paris. " étaient ainfi payés de leurs peines, le nom,,bre en ferait moins grand.

Voilà, Monfieur, mes véritables fentimens.. Je fais toujours des voeux pour que vous foyez dans quelque place où vous puiffiez donner un peu de carrière à vos grands talens, à votre bonne volonté pour le genre-humain, et, à votre goût pour les arts.

En attendant, je vous confeille de ne pas négliger mademoifelle le Maure. C'était autrefois un beau pédantisme que celui qui tenait toujours les premiers magiftrats en longue jaquette, et qui leur interdisait les spectacles. Je ne croirai les Français tout-à-fait revenus de l'ancienne barbarie, que quand l'archevêque de Paris, le chancelier et le premier préfident auront chacun une loge à l'opéra et à la comédie. Madame du Châtelet vous fait bien des complimens; et moi, Monfieur, je vous fuis dévoué pour ma vie avec la plus tendre et la plus refpectueufe reconnaiffance,

LETTRE

LETTRE X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL, à Paris.

JE

A Bruxelles, ce premier d'avril.

PLUS ANGE GARDIEN QUE JAMAIS,

E m'étais déjà avisé de travailler tout seul à ma Pandore, et je n'avais pas attendu la grâce d'en haut : j'allais l'envoyer pour chercher un muficien, lorfque le paquet de mon cher ange eft arrivé.

J'ai grande impatience de favoir si vous trouvez le Mahomet mieux lié, plus intéresfant, mieux écrit, et enfin, fi après le grand fracas du quatrième acte, le cinquième vous femble supportable.

Vous pourriez, en attendant, mon respectable ami, couronner vos bontés pour Zulime, en promettant à mademoiselle Gauffin le premier rôle dans Mahomet. Vous voulez que j'efpère de Zulime, j'efpère donc; in verbo tuo laxavi rete.

Revenons à Pandore ; je n'ai point d'expreffions pour vous remercier. Il faudra donc encore une fois la chaîne des études

rompre

philofophiques, et quitter le compas pour la Correfp. générale. Tome III, * C

1740.

lyre. Soit, je fuis le maître Jacques du Parnaffe; 1740. mais malheureufement maître Jacques n'était ni bon cocher, ni bon euifinier.

Vous ne laiffez pas de m'embarraffer. Vous me foudroyez mes titans au troisième acte. La pièce alors aurait l'air d'être finie, et on en recommencerait une autre qui ferait le mariage et la boîte de Pandore. Le grand point, me semble, eft de refondre les deux actions en une, je veux dire la guerre des titans et cette boîte fameufe.

Je ne haïrais pas que le Deftin lui-même parût au milieu du combat, et réglât les deux partis. Il n'y aura pas grand mal quand Jupiter aura un peu tort ; il est accoutumé sur la scène de l'opéra à ne pas jouer le beau rôle : et fur la fcène de ce monde quels reproches ne lui fait-on pas? que de plaintes de la part des femmes qui n'ont pas les grâces de madame. d'Argental, et de la part des hommes qui n'ont pas votre mérite? Dans ce monde chacun l'accufe, et fur le théâtre il reçoit des foufflets.

Je trouvais affez bon que Mercure fît la befogne du tentateur. Au bout du compte, il faut bien que les Dieux foient coupables du mal moral et du mal phyfique. D'ailleurs Pandore en était plus excufable; et qu'importe que cette Pandore-Eve foit féduite par Mercure

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