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qui vous regarde, rien fur votre veffie ni fur vos plaifirs; je m'intéresse à tout cela plus 1740. qu'à tous les fpectacles du monde. Allez-vous toujours les matins vous ennuyer en robe à juger des plaideurs?

LETTRE VII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Le 22 mars.

ANGE de paix, eh bien, comment trouvez

vous donc ce commencement de l'hiftoire de Louis XIV? Je crois que j'en pourrais faire un ouvrage bien neuf, et peut-être honorable à la nation. Mais comme je fuis traité dans cette nation pour qui je travaille !

Et Zulime, Zulime! fi le cinquième acte n'eft pas à votre fantaisie, je n'ai qu'à me noyer, car j'y ai mis tout ce que je fais. J'ai vu de beaux yeux pleurer en le lifant; mais je me défie toujours des beaux yeux : celles qui les portent font d'ordinaire féduites ou trompeuses. La perfonne dont je vous parle eft peut-être trop féduite en ma faveur : cependant elle n'a guère pleuré à Mérope, et elle a pleuré beaucoup à Zulime.

Pour l'amour de Dieu, n'exigez pas que je
Correfp. générale.

Tome III.

* B

commence par faire de Zulime un trouble1740. fête! Quelle cruelle idée mon confeil a-t-il eue! Croyez-moi, il n'y aurait plus d'intérêt. Atide doit ne pas déplaire, mais Zulime doit déchirer le cœur. Prenez-y garde, tout ferait perdu.

Au refte, mon confeil eft le feul confeil dans Paris qui foit inftruit des affaires d'Afrique. Si cela pouvait être joué à Pâques, je bénirais Mahomet; décidez. Il y a bien autre chofe fur le tapis.

Permettez-vous que je vous adresse une de mes rêveries, que vous jetterez au feu fi vous la condamnez, et que vous ferez voir à M. le comte de Maurepas fi vous l'approuvez (*). Je lui donne, par mon dernier vers, la louange la plus flatteufe. Je lui dis qu'il a des amis, et c'est votre amitié qui fait son éloge.

Eft-ce que vous ne voulez pas donner un muficien à Pandore?

Eft-ce que vous penfez qu'on ne peut rien tirer de cette madame Prudise, en lui fefant faire par pure faibleffe ce qu'on lui fait faire au théâtre anglais par une méchanceté determinée, qui révolterait nos mœurs un peu faibles et trop délicates? Le rôle du petit Adine me paraît fi joli! Laiffez-vous toucher, et que je ́faffe quelque chofe de cette Prudife.

(*) L'épître à M. le comte de Maurepas, vol. d'Epîtres.

J'ai lu Edouard. Je vous fuis très-obligé de

la bonté que vous avez eue de m'envoyer la 1740. traduction d'Ortolani: elle me paraît assez

belle.

J'ai répondu à Greffet une lettre polie et d'amitié ; je le crois un bon diable.

Adieu, mon adorable ami; toujours fub umbrê alarum tuarum. Je suis bien persécuté, tout va de travers; mais vous m'aimez, Emilie m'aime, c'est la réponse à tout.

LETTRE VIII.

A M. HELVETIUS, à Paris.

JE

A Bruxelles, ce 24 mars.

E vous renvoie, mon cher ami, le manufcrit que vous avez bien voulu me communiquer. Vous me donnez toujours les mêmes fujets d'admiration et de critique. Vous êtes le plus hardi architecte que je connaisse, et celui qui fe paffe le plus volontiers de ciment. Vous feriez trap au-deffus des autres, fi vous vouliez faire attention combien les petites chofes fervent aux grandes, et à quel point elles font indifpenfables; je vous prie de ne pas les négliger en vers, et furtout dans ce qui regarde votre fanté ; vous m'ayez trop

alarmé par le danger où vous avez été. Nous 1740. avons besoin de vous, mon cher enfant en Apollon, pour apprendre aux Français à penfer un peu vigoureufement; mais moi j'en ai un' befoin effentiel, comme d'un ami que j'aime tendrement, et dont j'attends plus de conseils dans l'occafion que je ne vous en donne ici.

J'attends la pièce de M. Greffet. Je ne me preffe point de donner Mahomet; je le travaille encore tous les jours. A l'égard de Pandore, je m'imagine que cet opéra prêterait affez aux muficiens; mais je ne fais à qui le donner. Il me femble que le récitatif en fait la principale partie, et que le favant Rameau néglige quelquefois le récitatif. M. d'Argental en est assez content; mais il faut encore des coups de lime. Ce M. d'Argental est un des meilleurs juges, comme un des meilleurs hommes que nous ayons. Il eft digne d'être votre ami. J'ai lu l'Optique du P. Caftel. Je crois qu'il était aux petites-maifons quand il fit cet ouvrage. Il n'y en a qu'un que je puiffé lui comparer; c'eft le quatrième tome de Jofeph Privat de Molières, où il donne de fon cru une preuve de l'existence de DIEU propre à faire plus d'athées que tous les livres de Spinofa. Je vous dis cela en confidence. On me parle avec éloge des détails d'une comédie de Boiffy; je n'en croirai rien de bon que

quand vous en ferez content. Le janfénifte Rollin continue-t-il toujours à mettre en 1740. d'autres mots ce que tant d'autres ont écrit avant lui? et fon parti préconife-t-il toujours comme un grand-homme ce prolixe et inutile compilateur? A-t-on imprimé, et vend-on enfin l'ouvrage de l'abbé de Gamache? Il y aura fans doute un petit systême de sa façon; car il faut des romans aux Français. Adieu, charmant fils d'Apollon; nous vous aimons ici tendrement. Ce n'eft point un roman cela, c'eft une vérité conftante; car nous fommes ici deux êtres très-conftans.

LETTRE IX.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, ce 30 mars.

C'EST une chose plaifante, Monfieur, que la tracafferie qu'on m'avait voulu faire avec M. de Valori, à Berlin et à Paris. J'entrevois que quelqu'un, qui veut abfolument fe mêler des affaires d'autrui, a mis dans fa tête de détruire M. de Valori et moi dans l'efprit du Prince royal et ce n'eft pas la première niche qu'on m'a voulu faire dans cette cour. J'ai beau vivre dans la plus profonde retraite, et

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