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Enfin, il me paraît plus court et plus tragique 1741. qu'Hercide demeure comme il était.

2o. Pour les changemens qu'on peut faire dans le détail des fcènes de Mahomet et de Palmire, je m'y livrerai fans aucune répu

gnance.

3o. J'effayerai le cinquième acte tel qu'on le propose, et je le dégroffirai pour voir s'il n'y a point là une action double; fi, le père étant mort, le fpectateur attend encore quelque chofe, et furtout, fi Mahomet ne porte pas le crime à un excès révoltant. Une lettre empoisonnée me paraît une chose affez délicate; mais ce qui me fera le plus de peine, c'est Palmire qui doit être défarmée, et qui cependant doit fe donner la mort. Je pourrais remédier à cet inconvénient, en la fefant tuer avec le poignard qui a frappé Zopire, et que fon frère apporterait à la tête des habitans; mais il faut là de la promptitude. Il fera bien difficile que la douleur et le défespoir aient lieu dans l'ame de Mahomet, furtout dans un moment où il s'agit de fa vie et de fa gloire. Il ne fera guère vraisemblable qu'il déplore la perte de fa maîtreffe dans une crife fi violente. C'est un homme qui a fait l'amour en fouverain et en politique, comment lui donner les regrets d'un amant défefpéré? Cependant le moment où Mahomet fe

justifie aux yeux du peuple par ce faux miracle de la mort de Séide, et cet art étonnant de 1741. conferver fa réputation par un crime, eft à mon gré une fi belle horreur que je vais tout facrifier pour peindre ce fujet de Rembrant de fes couleurs véritables.

Ce 12 juillet, mardi Je viens d'efquiffer ce cinquième acte à peu-près tel qu'on l'a voulu. C'eft aux anges qui m'inspirent à voir fi je dois continuer. J'attends leur ordre et la grâce d'en haut que je ne dois qu'à eux.

J'AI

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'AI reçu, Monfieur, le mémoire des vexations juridiques que vous avez effuyées. Je fuis très-fenfible à votre fouvenir et à vos peines. Du temps d'Anne de Bretagne, vous auriez gagné votre procès tout d'une voix. La jurifprudence a changé. Il est plaisant qu'on ait raison par-delà la Loire, et tort en-deçà ; mais les hommes ne favent pas mieux, et il faut que leur juftice se reffente de leur misérable

nature.

Recevez auffi mes remercîmens fur l'eftampe

de M. de Maupertuis. Il eft beau à vous de 1741. fonger, entre les griffes. de la chicane, à la gloire de votre ami et de votre compatriote. L'eftampe eft digne de lui, et je me fens bien indigne de joindre mes crayons à ce burinlà. Une infcription latine me déplaît, parce que je fuis bon français. Je trouve ridicule que nos jetons, nos médailles et nos louis foient latins. En Allemagne, en Angleterre la plupart des devifes font françaises; il n'y a que nous qui n'ofions pas parler notre langue dans les occafions où les étrangers la parlent. Je fens très-bien qu'il faudrait faire toutes les infcriptions en français, mais auffi cela eft trop difficile. La marche de notre langue eft trop gênée; notre rime délaye, en quatre vers, ce qu'un vers latin pourrait facilement exprimer. Ni vous ni moi ne ferions contens du chétif quatrain que voici :

Ce globe mal connu, qu'il a fu mesurer,
Devient un monument où fa gloire fe fonde ;
Son fort eft de fixer la figure du monde,

De lui plaire et de l'éclairer. (*)

Si vous voulez mieux, comme de raison, faites les vers vous-même, ou, à votre refus,

(*) Ce quatrain fut gravé au bas d'un portrait de M. de Maupertuis.

qu'il les faffe. Despréaux a bien eu le courage de faire fon infcription. Il difait modeftement 1741. de lui-même :

Je raffemblé en moi, Perfe, Horace et Juvenal;

mais c'eft que Boileau n'était pas philofophe. J'ofe vous prier d'ajouter à vos bontés celle de vouloir bien faire ma cour à madame la ducheffe d'Aiguillon. Quand vous la ferez graver, tout le monde fe battra à qui fera l'infcription.

LETTRE LXV I.

A M. DE CIDEVILLE.

Bruxelles, ce 19 de juillet.

Mon cher ami, celui qui a fait un examen fi approfondi et fi jufte de Mahomet, eft feul capable de faire la pièce. Vous avez développé et éclairci beaucoup de doutes obfcurs que j'avais; vous m'avez déterminé tout d'un coup fur deux points très-importans de cet Ouvrage.

Le premier, c'eft la réfolution que prenait ou femblait prendre Mahomet, dès le fecond acte, de faire affaffiner Zopire par fon propre fils, fans être forcé à ce crime. C'était fans

doute un raffinement d'horreur qui devait 1741. révolter, puifqu'il n'était pas néceffaire. Il y avait là deux grands défauts, celui d'être inutile, et celui de n'être pas affez expliqué.

Le second point effentiel, c'eft la disparate de Mahomet au cinquième acte, qui envoie chercher des filles dans fon boudoir, quand le feu eft à la maison. Je crois qu'il ne fera pas mal que Palmire vienne elle-même se préfenter à lui pour lui demander la grâce de fon frère; alors les bienféances font obfervées, et cette action même de Palmire produit un coup de théâtre.

J'aurais voulu pouvoir retrancher l'amour; mais l'exécution de ce projet a toujours été impraticable, et je me fuis heureusement aperçu à la représentation que toutes les scènes de Palmire ont été très-bien reçues, et que la naïveté tendre de fon caractère fefait un contrafte très-intéreffant avec l'horreur du fond du fujet.

La fcène, au quatrième acte, avec Séide qui la confulte, et leur innocence mutuelle concourant au plus cruel des crimes, la mort de leur père devenue le prix de leur amour, tout cela fefait au théâtre un effet que je ne peux vous exprimer; et il me semble que cette fcène eft auffi neuve qu'elle est touchante et terrible. Je dis plus, cette scène est

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