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Un spectre en paroiffant prenoit soudain la fuite,
Ils s'effaçoient l'un l'autre, & chaque illufion
Redoubloit mon éffroi par fa confufion.
JULIE.

C'eft en contraire fens qu'un fonge s'interpréte.
CAMILLE.

Je le dois croire ainfi, puifque je le fouhaite;
Mais je me trouve enfin, malgré tous mes fouhaits,
Au jour d'une bataille, & non pas d'une paix.
JULIE.

Par là finit la guerre, & la paix lui fuccede.
CAMILLE.

Dure à jamais le mal s'il y faut ce remede !
Soit que Rome y fuccombe, ou qu'Albe ait le deffous,
Cher amant, n'attens plus d'être un jour mon époux.
Jamais, jamais ce nom ne fera pour un homme
Qui foit, ou le vainqueur, ou l'efclave de Rome.

Mais quel objet nouveau fe préfente en ces lieux ?
Eft-ce toi, Curiace? En croirai-je mes yeux ?

SCENE

IV.

CURIACE, CAMILLE, JULIE.

N

CURIA CE.

'En doutez point, Camille, & revoyez un homme, Qui n'eft ni le vainqueur, ni l'efclave de Rome. Ceffez d'appréhender de voir rougir mes mains Du poids honteux des fers, ou du fang des Romains. J'ai crû que vous aimiez affez Rome, & la gloire, Pour mépriser ma chaine, & haïr ma victoire ; Et comme également, en cette extrémité, Je craignois la victoire, & la captivité . . CAMILLE.

Curiace, il fuffit, je devine le reste.

Tu fuis une bataille à tes vœux fi funefte;
Et ton cœur tout à moi, pour ne me perdre pas,

Dérobe

Dérobe à ton pays le fecours de ton bras.
Qu'un autre confidére ici ta renommée,
Et te blâme, s'il veut, de m'avoir trop aimée,
Ce n'est point à Camille à t'en mésestimer,
Plus ton amour paroit, plus elle doit t'aimer;
Et fi tu dois beaucoup aux lieux qui t'ont vû naître,
Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paroître.
Mais as-tu vû mon pere, & peut-il endurer
Qu'ainfi dans fa maison tu t'ofes retirer ?
Ne préfere-t-il point l'état à fa famille ?
Ne regarde-t-il point Rome plus que fa fille?
Enfin notre bonheur eft-il bien affermi ?
T'a-t-il vû comme gendre, ou bien comme énnemi ?
CURIAC E.

Il m'a vû comme gendre, avec une tendreffe
Qui témoignoit affez une entiére allégreffe ;
Mais il ne m'a point vû par une trahison
Indigne de l'honneur d'entrer dans fa maifon.
Je n'abandonne point l'intérêt de ma ville,
J'aime encor mon honneur en adorant Camille.
Tant qu'a duré la guerre on m'a vû constamment
Auffi bon citoyen que véritable amant,
D'Albe avec mon amour j'accordois la querelle,
Je foupirois pour vous en combattant pour elle;
Et s'il falloit encor que l'on en vint aux coups,
Je combattrois pour elle en foupirant pour vous.
Oui, malgré les défirs de mon âme charmée,
Si la guerre duroit, je ferois dans l'armée.
C'est la paix qui chez vous me donne un libre accès,
La paix à qui nos feux doivent ce beau fuccès.

CAMILLE.

La paix! Et le moyen de croire un tel miracle?
JULIE.

Camille, pour le moins croyez-en votre oracle ;
Et fachons pleinement par quels heureux effets
L'heure d'une bataille a produit cette paix.
CURIA CE.

L'auroit-on jamais crû ! Déjà les deux armées
D'une égale chaleur au combat animées

H 3

Se

Se menaçoient des yeux, & marchant fiérement,
N'attendoient, pour donner, que le commandement,
Quand notre dictateur devant les rangs s'avance,
Demande à votre prince un moment de filence;
Et l'ayant obtenu: Que faifons nous, Romains,
Dit-il, & quel démon nous fait venir aux mains ?
Souffrons que la raison éclaire enfin nos ames,
Nous fommes vos voisins, nos filles font vos femmes,
Et l'hymen nous a joints par tant & tant de nœuds,
Qu'il eft peu de nos fils qui ne foient vos, neveux.
Nous ne fommes qu'un fang, & qu'un peuple en deux
villes,

Pourquoi nous déchirer par des guèrres civiles,

Où la mort des vaincus affoiblit les vainqueurs ;
Et le plus beau triomphe eft arrofé de pleurs ?
Nos ennemis communs attendent avec joie
Qu'un des partis défait leur donne l'autre en proie,
Lafe, demi rompa, vainqueur; mais pour tout fruit
Dénué d'un fecours par lui-même détruit.
Ils ont affez long temps jouï de nos divorces,
Contre eux dorénavant joignons toutes nos forces;
Et noyons dans l'oubli ces petits différends,
Qui de fi bons guerriers font de mauvais parens.
Que fi l'ambition de commander aux autres
Fait marcher aujourd'hui vos troupes & les nôtres,
Pourvû qu'à moins de fang nous voulions l'apaifer,
Elle nous unira loin de nous diviser.

Nommons des combattans pour la caufe commune,
Que chaque peuple aux fiens attache fa fortune;
Et fuivant ce que d'eux ordonnera le fort,
Que le foible parti prenne loi du plus fort.
Mais fans indignité pour des guerriers fi braves,
Qu'ils deviennent fujets, fans devenir esclaves,
Sans bonte, fans tribut, & fans autre rigueur,
Que de fuivre en tous lieux les drapeaux du vainqueur,
Ainfi nos deux états ne feront qu'un empire.
Il femble qu'à ces mots notre difcorde expire,
Chacun jettant les yeux dans un rang énnemi,
Reconnoît un beau-frere, un coufin, un ami,

Ils s'etonnent comment leurs mains de fang avides
Voloient fans y penser à tant de parricides;

Et font paroître un front couvert, tout à la fois,
D'horreur pour la bataille, & d'ardeur pour ce choix.
Enfin l'offre s'accepte, & la paix defirée

Sous ces conditions eft auffi-tôt jurée.

Trois combattront pour tous; mais pour les mieux choifir,

Nos chefs ont voulu prendre un peu plus de loifir,
Le vôtre eft au fénat, le nôtre dans fa tente.

CAMILLE.

O, dieux, que ce difcours rend mon ame contente !
CURIA CE.

Dans deux heures au plus, par un commun accord,
Le fort de nos guerriers réglera notre fort.

Cependant tout eft libre attendant qu'on les nomme;
Rome eft dans notre camp, & notre camp dans Rome.
D'un & d'autre côté l'accès étant permis,

Chacun va renouër avec ses vieux amis.

Pour moi, ma paffion m'a fait fuivre vos freres ;
Et mes défirs ont eu des fuccès fi profperes,
Que l'auteur de vos jours m'a promis à demain
Le bonheur, fans pareil, de vous donner la main.
Vous ne deviendrez pas rebelle à sa puissance ?
CAMILLE.

Le devoir d'une fille eft dans l'obéiffance.

CURIA CE.

Venez donc recevoir ce doux commandement,
Qui doit mettre le comble à mon contentement.
CAMILLE.

Je vais fuivre vos pas, mais pour revoir mes freres,
Et favoir d'eux encor la fin de nos miferes.

JULIE.

Allez, & cependant, au piéd de nos autels,
J'irai rendre pour vous graces aux immortels.

Fin du premier acte.

ACTE

ACTE II.

SCENE PREMIERE:

HORACE,

CURIAC E.

A

CURIA CE.

Infi Rome n'a point féparé fon estime,

Elle eût crû faire ailleurs un choix illégitime,
Cette fuperbe ville en vos freres & vous

Trouve les trois guerriers qu'elle préfére à tous ;
Et fon illuftre ardeur d'ofer plus que les autres,
D'une feule maison brave toutes les nôtres.

Nous croirons, à la voir toute entiére en vos mains,
Que hors les fils d'Horace il n'eft point de Romains.
Ce choix pouvoit combler trois familles de gloire,
Confacrer hautement leurs noms à la mémoire.
Oui, l'honneur que reçoit la vôtre par ce choix
En pouvoit à bon titre immortaliser trois ;

Et puifque c'eft chez vous que mon heur & ma flamme,
M'ont fait placer ma fœur, & choifir une femme,
Ce que je vais vous être, & ce que je vous fuis,
Me font y prendre part autant que je le puis.
Mais un autre intérêt tient ma joie en contrainte;
Et parmi fes douceurs mêle beaucoup de crainte.
La guerre en tel éclat à mis votre valeur,
Que je tremble pour Albe, & prévoi son malheur.
Puifque vous combattez, fa perte est assurée,
En vous faifant nommer le deftin l'a jurée,
Je voi trop dans ce choix fes funestes projets ;
Et me compte déja pour un de vos sujets.

HORACE.

Loin de trembler pour Albe, il vous faut plaindre Rome, Voyant ceux qu'elle oublie, & les trois qu'elle nomme. C'est un aveuglement pour elle bien fatal,

D'avoir tant à choisir, & de choisir si mal.

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