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"où il fe foit permis le plus de licence; & qu'il paffoit encore vingtcinq ou trente ans après pour le plus beau "de fes ouvrages, auprès de ceux qui ne s'attachent "pas à la feverité des régles.

C'eft dans la même pensée que Mr. de Balzac écrivant à Mr. Scudery, dit que quelques irrégularités qu'ait commifes Mr. Corneille dans le Cid, comme fes cenfeurs avoient prétendu le montrer; cette piece ne laifferoit pas d'etre admirable, en ce qu'elle avoit reçû les applaudiffemens de fes fpectateurs & les approbations de toute la France, puifque la fin des pièces de théatre n'eft autre que la fatisfaction des spectateurs;

qu'ainfi elle avoit triomphe des raifonemens de fes adverfaires, quoiqu'elle eût violé les régles de l'art, Selon Popinion même de Sénéque, qui dit que quand il s'agit des Ouvrages qui eblouiffent les yeux d'abord, &qui préocupent les efprits en leur faveur, celui qui a enlevé l'approbation publique, l'emporte fur celui qui l'a méritée: major ille eft qui judicium abstulit quàm qui meruit, quoique dans la fuite une recherche exacte dût y faire voir quelques defauts.

C'eft auffi ce qui a fait dire à Mr. Despreaux, Satire 1x. verf. 231. & Suiv.

En vain contre le Cid un Miniftre fe ligue,
Tout Paris pourChiméne a les yeux de Rodrigue;
L'Académie en corps a beau le cenfurer,

Le Public révolté s'obstine à l'admirer. Tant il eft vrai que le peuple a fes regles, auffi bien que les favans, pour juger d'un Ouvrage fait pour fon contentement, qu'un poëte peut impunément pécher contre Art & les Maximes d'Ariftote fans manquer au moyen de plaire & que quand une pièce de theatre a eu tout le fuccès que fon Auteur pouvoit efperer dans la fin qu'il s'eft proposée de fatisfaire ceux pour qui elle eft faite, il importe peu que ce foit régulierement ou contre les régles qu'il á réussi, c'est-à-dire suivant un caprice plûtôt qu'un autre.

HORACE

HORACE

TRAGEDIE.

ACTEUR S.

TULLE, roi de Rome.

Le vieil H ORACE, chevalier Romain.

HORACE, fon fils.

CURIA CE, gentilhomme d'Albe, amant de Camille.

VALERE, chevalier Romain, amoureux de Camille.

SABINE, femme d'Horace, & fœur de Curiace.

CAMILL E, amante de Curiace, & fœur d'Horace.

JULIE, dame Romaine, confidente de Sabine & de Camille.

FLAVIA N, foldat de l'armée d'Albe.

PROCUL E, foldat de l'armée de Rome..

La fcéne eft à Rome dans une falle de la
maifon d'Horace.

HORAC E,

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER. SCENE PREMIER E.

A

SABINE, JULIE.

SABIN E.

PPROUVEZ ma foibleffe, & fouffrez ma douleur, Elle n'eft que trop jufte en un fi grand malheur; Si près de voir fur foi fondre de tels orages, L'ébranlement fiéd bien aux plus fermes courages; Et l'efprit le plus mâle, & le moins abattu, Ne fauroit, fans défordre, exercer fa vertu. Quoique le mien s'étonne à ces rudes alarmes, Le trouble de mon cœur ne peut rien fur mes larmes ; Et parmi les foupirs qu'il pouffe vers les cieux, Ma conftance du moins règne encor fur mes vœux. Quand on arrête là les déplaifirs d'une âme,

Si l'on fait moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme;

Commander à fes pleurs en cette extrémité,

C'eft montrer, pour le fexe, affez de fermeté.
JULIE.

Ç'en eft peut-être affez pour une ame commune,
Qui du moindre péril fe fait une infortune;
Mais de cette foibleffe un grand cœur eft honteux,
Il ofe espérer tout dans un fuccès douteux.

Les

Les deux camps font rangés au piéd de nos murailles;
Mais Rome ignore encor comme on perd des batailles
Loin de trembler pour elle, il lui faut applaudir,
Puifqu'elle va combattre, elle va s'agrandir.
Banniffez, banniffez une frayeur fi vaine,
Et concevez des vœux dignes d'une Romaine.
SABIN E.

Je fuis Romaine, hélas ! puifqu'Horace eft Romain,
J'en ai reçû le titre en recevant sa main;
Mais ce nœud me tiendroit en efclave enchaînée,
S'il m'empêchoit de voir en quels lieux je fuis née.
Albe, où j'ai commencé de refpirer le jour,
Albe, mon cher pays, & mon premier amour,
Lorsqu'entre nous & toi je vois la guerre ouverte,
Je crains notre victoire autant que notre perte.
Rome, fi tu te plains que c'eft-là te trahir,
Tais-toi des ennemis que je puiffe haïr.
Quand je vois de tes murs leur armée & la nôtre,
Mes trois freres dans l'une, & mon mari dans l'autre,
Puis-je former des vœux, &, fans impiété,
Importuner le ciel pour ta félicité ?

Je fai que ton état encore en fa naissance,
Ne fauroit fans la guerre affermir fa puiffance;
Je fai qu'il doit s'accroître, & que tes grands deftins
Ne le borneront pas chez les peuples Latins,
Que tes dieux t'ont promis l'empire de la terre ;
Et que tu n'en peux voir l'effet que par la guerre.
Bien loin de m'opposer à cette noble ardeur,
Qui fuit l'arrêt des dieux & court à ta grandeur,
Je voudrois déja voir tes troupes couronnées
D'un pas victorieux franchir les Pyrénées.
Va jufqu'en l'orient pouffer tes bataillons,
Va fur les bords du Rhin planter tes pavillons,
Fais trembler fous tes pas les colonnes d'Hercule,
Mais refpecte une ville à qui tu dois Romule.
Ingrate, fouviens toi que du fang de fes rois
Tu tiens ton nom, tes murs, & tes premiéres loix,
Albe eft ton origine, arrête, & confidère
Que tu portes le fer dans le fein de ta mère.

Tourne

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