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SCENE V.

D. SANCHE, CHIMENE, ELVIRE.

D. SAN CHE.

Bligé d'apporter à vos pieds cette épée...

CHIMENE.

Quoi? Du fang de Rodrigue encor toute trempée ?
Perfide, ofes-tu bien te montrer à mes yeux,
Après m'avoir ôté ce que j'aimois le mieux ?
Eclate, mon amour, tu n'as plus rien à craindre,
Mon pere eft fatisfait, ceffe de te contraindre.
Un même coup a mis ma gloire en sûreté,
Mon ame au désespoir, ma flamme en liberté.
D. SAN CHE.

D'un efprit plus raffis . . .

CHIMENE.

Tu me parles encore, Exécrable affaffin d'un héros que j'adore ? Va, tu l'as pris en traître, un guerrier fi vaillant N'eût jamais fuccombé fous un tel affaillant. N'efpere rien de moi, tu ne m'as point fervie, En croyant me venger tu m'as ôté la vie. D. SAN C. H E.

Etrange impreffion, qui loin de m'écouter . . .

CHIMENE.

Veux-tu que de fa mort je t'écoute vanter?
Que j'entende à loifir avec quelle infolence
Tu peindras fon malheur, mon crime, & ta vaillance?

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D. FERNAND, D. DIEGUE, D. ARIA S, D. SANCHE, D. ALONSE, CHIMENE, ELVIRE. CHIMENE.

Ire, il n'eft plus befoin de vous diffimuler

Stre

Ce que tous mes efforts ne vous ont pû celer.

J'aimois,

J'aimois, vous l'avez sû; mais pour venger mon pere
J'ai bien voulu profcrire une tête fi chere.
Votre Majefté, Sire, elle-même a pû voir
Comme j'ai fait céder mon amour au devoir.
Enfin Rodrigue eft mort, & fa mort m'a changée,
D'implacable ennemie, en amante affligée ;
J'ai dû cette vengeance à qui m'a mise au jour,
Et je dois maintenant ces pleurs à mon amour.
Don Sanche m'a perduë en prenant ma défense;
Et du bras qui me perd je fuis la récompenfe!
Sire, fi la pitié peut émouvoir un roi,

De grace, révoquez une fi dure loi;

Pour prix d'une victoire où je perds ce que j'aime,
Je lui laiffe mon bien, qu'il me laiffe à moi-même,
Qu'en un cloître facré je pleure inceffamment
Jufqu'au dernier foupir mon pere & mon amant.
D. DIE GUE.

Enfin, elle aime, Sire, & ne croit plus un crime
D'avouer par fa bouche un amour légitime.
D. FERNAND.

Chiméne, fors d'erreur, ton amant n'eft pas mort;
Et D. Sanche vaincu t'a fait un faux rapport.
D. SANCHE.

Sire, un peu trop d'ardeur malgré moi l'a déçûë.
Je venois du combat lui raconter l'iffuë.
Ce généreux guerrier dont fon cœur eft charmé,
Ne crains rien, m'a-til dit, quand il m'a défarmê,
Je laifferois plutôt la victoire incertaine
Que de répandre un fang hazardé pour Chiméne;
Mais puifque mon devoir m'appelle auprès du roi,
Va de notre combat l'entretenir pour moi,
De la part du vainqueur lui porter ton épée.
Sire, j'y fuis venu, cet objet l'a trompée,
Elle m'a cru vainqueur me voyant de retour;
Et foudain fa colore a trahi fon amour,
Avec tant de tranfport & tant d'impatience,
Que je n'ai pû gagner un moment d'audience.
Pour moi, bien que vaincu, je me répute heureux;
Et malgré l'intérêt de mon cœur amoureux,

Perdant

Perdant infiniment, j'aime encor ma défaite,
Qui fait le beau fuccès d'une amour fi parfaite.
D. FERNAND.

;

Ma fille, il ne faut point rougir d'un fi beau feu,
Ni chercher les moyens d'en faire un défaveu
Une louable honte en vain t'en follicite,
Ta gloire eft dégagée, & ton devoir eft quitte,
Ton pere eft fatisfait, & c'étoit le venger
Que mettre tant de fois ton Rodrigue en danger.
Tu vois comme le ciel autrement en dispose,
Ayant tant fait pour lui, fais pour toi quelque chofe ;
Et ne fois point rebelle à mon commandement,
Qui te donne un époux aimé fi chérement.

SCENE DERNIERE.

D. FERNAND, L'INFANTE, D. DIE GUE, D. A RIAS, D. RODRIGUE, D. ALONSE, D. SANCHE, CHIMENE,

S

LEONOR, ELVIRE.

L'INFANTE.

Eche tes pleurs, Chiméne, & reçoi fans trifteffe
Ce généreux vainqueur des mains de ta princeffe.
D. RODRIGUE.

Ne vous offenfez point, Sire, fi devant vous.
Un refpect amoureux me jette à fes genoux.

Je ne viens point ici demander ma conquête,
Je viens tout de nouveau vous apporter ma tête,
Madame, mon amour n'emploira point pour moi,
Ni la loi du combat, ni le vouloir du roi.
Si tout ce qui s'eft fait est trop peu pour un pere,
Dites par quel moyen il vous faut fatisfaire.
Faut-il combattre encor mille & mille rivaux,
Aux deux bouts de la terre étendre mes travaux,

Forcer

Forcer moi feul un camp, mettre en fuite une armée,
Des héros fabuleux paffer la renommée ?
Si mon crime par-là se peut enfin laver,
J'ofe tout entreprendre, & puis tout achever.
Mais fi ce fier honneur, toujours inexorable,
Ne fe peut apaiser fans la mort du coupable,
N'armez plus contre moi le pouvoir des humains ;
Ma tête est à vos piéds, vengez-vous par vos mains.
Vos mains feules ont droit de vaincre un invincible,
Prenez une vengeance à tout autre impoffible;
Mais du moins que ma mort fuffife à me punir,
Ne me banniffez point de votre souvenir;
Et puifque mon trépas conferve votre gloire,
Pour vous en revancher conservez ma mémoire,
Et dites quelquefois en déplorant mon fort,
S'il ne m'avoit aimée, il ne feroit pas mort.
CHIMENE.

Releve-toi, Rodrigue. Il faut l'avouer, Sire,
Je vous en ai trop dit pour m'en pouvoir dédire,
Rodrigue a des vertus que je ne puis haïr;
Et quand un roi commande on lui doit obéïr.
Mais à quoi que déja vous m'ayez condamnée,
Pourrez-vous à vos yeux fouffrir cet hyménée ?
Et quand de mon devoir vous voulez cet effort,
Toute votre justice en est-elle d'accord?
Si Rodrigue à l'état devient fi néceffaire,
De ce qu'il fait pour vous dois-je être le falaire ;
Et me livrer moi-même au reproche éternel
D'avoir trempé mes mains dans le fang paternel?
D. FERNAND.

Le temps affez fouvent a rendu légitime
Ce qui fembloit d'abord ne se pouvoir fans crime.
Rodrigue t'a gagnée, & tu dois être à lui;
Mais quoique fa valeur t'ait conquise aujourd'hui,
Il faudroit que je fuffe ennemi de ta gloire
Pour lui donner fi-tôt le prix de fa victoire.
Cet hymen différé ne rompt point une loi,
Qui, fans marquer de temps, lui destine ta foi,
Prens un an, fi tu veux. pour effuyer tes larmes.

Rodrigue,

Rodrigue, cependant il faut prendre les armes,
Après avoir vaincu les Mores fur nos bords,
Renverfé leurs deffeins, repouffé leurs efforts;
Va jufqu'en leur pays leur reporter la guerre,
Commander mon armée, & ravager leur terre.
A ce feul nom de Cid ils trembleront d'effroi,
Ils t'ont nommé feigneur, & te voudront pour
roi.
Mais, parmi tes hauts faits, fois-lui toujours fidéle,
Reviens-en, s'il fe peut, encor plus digne d'elle;
Et par tes grands exploits fais-toi fi bien prifer,
Qu'il lui foit glorieux alors de t'époufer.

D. RODRIGUE.

Pour pofféder Chiméne, & pour votre service,
Que peut on m'ordonner que mon bras n'accompliffe ?
Quoi qu'abfent de fes yeux il me faille endurer,
Sire, ce m'eft trop d'heur de pouvoir espérer.
D. FERNAND.

Efpere en ton courage, efpere en ma promeffe ;
Et poffédant déja le cœur de ta maîtreffe,
Pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi,
Laiffe faire le temps, ta vaillance, & ton roi.

FIN.

Jugement

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