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D. FERNAND.

Puifque vous le voulez, j'accorde qu'il le faffe,
Mais d'un guerrier vaincu mille prendroient la place;
Et le prix que Chiméne au vainqueur a promis,
De tous mes cavaliers feroit fes ennemis.
L'oppofer feul à tous feroit trop d'injuftice,
Il fuffit qu'une fois il entre dans la lice.
Choifis qui tu voudras, Chiméne, & choifis bien
Mais après ce combat ne demande plus rien.
D. DIE GUE.

N'excufez point par-là ceux que fon bras étonne,
Laiffez un champ ouvert où n'entrera perfonne.
Après ce que Rodrigue a fait voir aujourd'hui,
Quel courage affez vain s'oferoit prendre à lui ?
Qui fe hazarderoit contre un tel adversaire ?
Qui feroit ce vaillant, ou bien ce téméraire ?
D. SAN CHE.
Faites ouvrir le champ, vous voyez l'affaillant,
Je fuis ce téméraire, ou plûtôt ce vaillant.
[à Chiméne.]

Accordez cette grace à l'ardeur qui me preffe,
Madame, vous favez quelle eft votre promeffe.
D. FERNAND.

Chiméne, remets-tu ta querelle en fa main ?
CHIMENE.

Sire, je l'ai promis.

D. FERNAND.

D.

Soyez prêt à demain.

DIE GUE.

Non, Sire, il ne faut pas différer davantage,

On est toujours trop prêt quand on a du courage.
D. FERNAND.

Sortir d'une bataille, & combattre à l'instant?
D. DIE GUE.

Rodrigue a pris haleine en vous la racontant.

D. FERNAND.

Du moins une heure ou deux je veux qu'il fe délaffe. Mais de peur qu'en exemple un tel combat ne paffe, Pour témoigner à tous qu'à regret je permets

Un

Un fanglant procédé qui ne me plut jamais,
De moi ni de ma cour il n'aura la présence.
[A Dom Arias.]

Vous feul des combattans jugerez la vaillance,
Ayez foin que tous deux faffent en gens de cœur ;
Et, le combat fini, m'amenez le vainqueur.
Quel qu'il foit, même prix eft acquis à fa peine,
Je le veux de ma main préfenter à Chiméne;
Et que, pour récompenfe, il reçoive fa foi.
CHIMENE.

Quoi, Sire! M'impofer une fi dure loi !
D. FERNAND.

Tu t'en plains, mais ton feu, loin d'avouer ta plainte,
Si Rodrigue eft vainqueur, l'accepte fans contrainte.
Ceffe de murmurer contre un arrêt fi doux,
Qui que ce foit des deux, j'en ferai ton époux.

Fin du quatriéme acte.

ACTE V.

ACTE V.

SCENE

PREMIERE.

D. RODRIGUE, CHIMENE.

Q

CHIMENE.

Uoi, Rodrigue, en plein jour! D'où te vient
cette audace ?

Va, tu me perds d'honneur, retire-toi, de grace.
D. RODRIGUE.

Je vais mourir, Madame, & vous viens en ce lieu,
Avant le coup mortel dire un dernier adieu.
Cet immuable amour qui fous vos loix m'engage
N'ofe accepter ma mort fans vous en faire hommage.
CHIMENE.

Tu vas mourir !

D. RODRIGUE.

Je cours à ces heureux momens, Qui vont livrer ma vie à vos reffentimens.

CHIMENE.

Tu vas mourir! Dom Sanche eft-il fi redoutable,
Qu'il donne l'épouvante à ce cœur indomtable?
Qui t'a rendu fi foible, & qui le rend fi fort?
Rodrigue va combattre, & fe croit déja mort !
Celui qui n'a pas craint les Mores ni mon pere,
Va combattre Dom Sanche, & déja défefpere!
Ainsi donc au besoin ton courage s'abat ?

D. RODRIGUE.
Je cours à mon fupplice, & non pas au combat,
Et ma fidéle ardeur fait bien m'ôter l'envie,

Quand vous cherchez ma mort, de défendre ma vie.
J'ai toujours même cœur, mais je n'ai point de bras
Quand il faut conferver ce qui ne vous plaît pas ;
Et déja cette nuit m'auroit été mortelle,

Si j'euffe combattu pour ma feule querelle.

Mais défendant mon roi, fon peuple, & mon pays,
A me défendre mal, je les aurois trahis.
Mon efprit généreux ne hait pas tant la vie
Qu'il en veuille fortir par une perfidie.
Maintenant qu'il s'agit de mon feul intérêt,
Vous demandez ma mort, j'en accepte l'arrêt ;
Votre reffentiment choifit la main d'un autre,
Je ne méritois pas de mourir de la vôtre.
On ne me verra point en repouffer les coups,
Je dois plus de respect à qui combat pour vous;
Et ravi de penfer que c'eft de vous qu'ils viennent,
Puifque c'eft votre honneur que fes armes soutiennent,
Je vais lui préfenter mon eftomac ouvert,
Adorant en fa main la vôtre qui me perd.

CHIMENE.

Si d'un trifte devoir la jufte violence,
Qui me fait, malgré moi, pourfuivre ta vaillance,
Prefcrit à ton amour une fi forte loi,

Qu'il te rend fans défense à qui combat pour moi,
En cet aveuglement ne perds pas la mémoire,
Qu'ainfi que de ta vie, il y va de ta gloire ;
Et que, dans quelque éclat que Rodrigue ait vécu,
Quand on le faura mort, on le croira vaincu.
Ton honneur t'eft plus cher que je ne te fuis chere,
Puifqu'il trempe tes mains dans le fang de mon pere;
Et te fait renoncer, malgré ta passion,

A l'espoir le plus doux de ma poffeffion.
Je t'en vois cependant faire fi peu de compte,
Que fans rendre combat tu veux qu'on te furmonte !
Quelle inégalité ravale ta vertu ?

Pourquoi ne l'as-tu plus, ou pourquoi l'avois-tu !
Quoi! N'es-tu généreux que pour me faire outrage?
S'il ne faut m'offenfer, n'as-tu point de courage;
Et traites-tu mon pere avec tant de rigueur,
Qu'après l'avoir vaincu tu fouffres un vainqueur ?
Va, fans vouloir mourir laisse-moi te poursuivre ;
Et défens ton honneur, fi tu ne veux plus vivre.
D. RODRIGUE.
Aprés la mort du comte, & les Mores défaits,
F

Faudroit-il

Faudroit-il à ma gloire encor d'autres effets?
Elle peut dédaigner le foin de me défendre,
On fait que mon courage ofe tout entreprendre,
Que ma valeur peut tout; & que, deffous les cieux,
Auprés de mon honneur rien ne m'eft précieux.
Non, non, en ce combat, quoi que vous veuillez croire,
Rodrigue peut mourir fans hazarder fa gloire,
Sans qu'on l'ofe accufer d'avoir manqué de cœur,
Sans paffer pour vaincu, fans fouffrir un vainqueur.
On dira feulement: Il adoroit Chimene,
Il n'a pas voulu vivre, & mériter fa haine,
Il a cédé lui-même à la rigueur du fort
Qni forçoit la maîtresse à poursuivre sa mort;
Elle vouloit fa tête, & fon cœur magnanime
S'il l'en eût refusée, eût pensé faire un crime.
Pour venger fon honneur il perdit fon amour,
Pour venger Ja maîtreffe il a quitté le jour,
Préférant, quelque espoir qu'eût fon ame affervie,
Son honneur à Chimene, & Chimène à sa vie.
Ainfi donc, vous verrez ma mort en ce combat,
Loin d'obfcurcir ma gloire, en rehauffer l'éclat ;
Et cet honneur fuivra mon trépas volontaire,
Que tout autre que moi n'eût pû vous fatisfaire.
CHIMENE.

Puifque, pour t'empêcher de courir au trépas,
Ta vie & ton honneur font de foibles appas,
Si jamais je t'aimai, cher Rodrigue, en revanche,
Défens toi maintenant pour m'ôter à Dom Sanche.
Combats pour m'affranchir d'une condition
Qui me donne à l'objet de mon averfion.
Te dirai-je encor plus? Va, fonge à ta défense,
Pour forcer mon devoir, pour m'imposer filence;
Et fi tu fens pour moi ton cœur encor épris,

Sors vainqueur d'un combat dont Chiméne eft le prix.
Adieu. Ce mot lâché me fait rougir de honte.
D. RODRIGUE feul.
Eft-il quelque ennemi qu'à présent je ne domte ?
Paroiffez, Navarrois, Mores & Caftillans,
Et tout ce que l'Espagne a nourri de vaillans,

Uniffez

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