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Et je feins hardiment d'avoir reçû de vous
L'ordre qu'on me voit fuivre, & que je donne à tous.
Cette obfcure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles;
L'onde s'enfle deffous; & d'un commun effort
Les Mores & la mer montent jusques au port.
On les laiffe paffer, tout leur paroit tranquille,
Point de foldats au port, point aux murs de la ville:
Notre profond filence abufant leurs efprits,
Ils n'ofent plus douter de nous avoir surpris;
Ils abordent fans peur, ils ancrent, ils defcendent,
Et courent fe livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors; & tous, en même temps,
Pouffons jufques au ciel mille cris éclatans.
Les nôtres à ces cris de nos vaiffeaux répondent,
Ils paroiffent armés, les Mores fe confondent,
L'épouvante les prend à demi defcendus,

Avant que

de combattre ils s'eftiment perdus. Ils couroient au pillage, & rencontrent la guerre, Nous les preffons fur Peau, nous les preffons fur terre, Et nous faisons courir des ruiffeaux de leur fang, Avant qu'aucun réfifte, ou reprenne fon rang. Mais bien-tôt, malgré nous, leurs princes les rallient, Leur courage renaît, & leurs terreurs s'oublient, La honte de mourir fans avoir combattu Arrête leur défordre, & leur rend leur vertu. Contre nous de piéd ferme ils tirent leurs épées, Des plus braves foldats les trames font coupées, Et la terre, & le fleuve, & leur flotte, & le port, Sont des champs de carnage où triomphe la mort. O combien d'actions, combien d'exploits célébres Sont demeurés fans gloire au milieu des ténébres, Cù chacun feul témoin des grands coups qu'il donnoit, Ne peuvoit difcerner où le fort inclinoit ! J'allois de tous côtés encourager les nôtres, Faire avancer les uns, & foutenir les autres, Ranger ceux qui venoient, les pouffer à leur tour; Et ne l'ai pû favoir jufques au point du jour. Mais enfin fa clarté montre notre avantage,

Le More voit fa perte, & perd foudain courage;
Et voyant un renfort qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre céde à la peur de mourir.
Ils gagnent leurs vaiffeaux, ils en coupent les cables,
Pouffent jufques aux cieux des cris épouvantables,
Font retraite en tumulte ; & fans confidérer
Si leurs rois avec eux peuvent fe retirer.
Pour fouffrir ce devoir leur frayeur est trop forte,
Le flux les apporta, le reflux les remporte,
Cependant que leurs rois engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs tout percés de nos coups,
Difputent vaillamment, & vendent bien leur vie,
A fe rendre, moi-même en vain je les convie,
Le cimeterre au poing ils ne m'écoutent pas.
Mais voyant à leurs piéds tomber tous leurs foldats;
Et que feuls déformais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef, je me nomme, ils fe rendent.
Je vous les renvoyai tous deux en même temps;
Et le combat ceffa faute de combattans.

C'est de cette façon que pour votre fervice . . .

A

SCENE

IV.

D. FERNAND, D. DIEGUE, D. RODRIGUE, D. ARIAS, D. ALONSE, D. SANCHE.

Sire,

D. ALONSE.

Ire, Chiméne vient vous demander justice.

D. FERNAND.

La fâcheufe nouvelle, & l'importun devoir !
Va, je ne la veux pas obliger à te voir;
Pour tous remercimens il faut que je te chaffe ;
Mais, avant que fortir, vien que ton roi t'embraffe.
[D. Rodrigue rentre.]

D.

D. DIE GUE.

Chiméne le pourfuit; & voudroit le fauver.
D. FERNAND.

On m'a dit qu'elle l'aime, & je vais l'éprouver.
Montrez un œil plus triste.

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D. FERNAND, D. DIEGUE, D. ARIAS, D. SANCHE, D. ALONSE, CHIMENE,

ELVIRE.

D. FERNAND.

EN fin

Nfin foyez contente,

Chiméne, le fuccès répond à votre attente;
Si de nos ennemis Rodrigue a le deffus,
Il est mort à nos yeux des coups qu'il a reçûs,
Rendez graces au ciel qui vous en a vengée.
[A D. Diégue.]

Voyez comme déja fa couleur eft changée.
D. DIE GUE.

Mais voyez qu'elle pâme, & d'un amour parfait
Dans cette pâmoifon, Sire, admirez l'effet.
Sa douleur a trahi les fecrets de fon ame;
Et ne vous permet plus de douter de fa flamme.
CHIMENE.
Quoi? Rodrigue eft donc mort?

D. FERNAND.

Non, non il voit le jour,

Et te conferve encore un immuable amour;
Calme cette douleur qui pour lui s'intéreffe.
CHIMENE.

Sire, on pâme de joie ainfi que de trifteffe,
Un excès de plaifir nous rend tous languiffans;
Et, quand il furprend l'ame, il accable les fens.

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1

D. FERNAND.

Tu veux qu'en ta faveur nous croyions l'impoffible,
Chiméne, ta douleur a paru trop visible.
CHIMENE.

Hé bien, Sire, ajoûtez ce comble à mon malheur,
Nommez ma pâmoison l'effet de ma douleur,
Un jufte déplaifir à ce point m'a réduite;
Son trépas déroboit fa tête à ma poursuite.
S'il meurt des coups reçûs pour le bien du pays,
Ma vengeance eft perduë, & mes deffeins trahis.
Une fi belle fin m'eft trop injurieuse;

Je demande fa mort, mais non pas glorieuse,
Non pas dans un éclat qui l'éleve fi haut,
Non pas au lit d'honneur, mais fur un échaffaud.
Qu'il meure pour mon pere, & non pour la patrie,
Que fon nom foit taché, fa mémoire flétrie :
Mourir pour le pays n'eft pas un trifte fort,
C'eft s'immortalifer par une belle mort.
J'aime donc fa victoire, & je le puis fans crime,
Elle affure l'état, & me rend ma victime,
Mais noble, mais fameufe entre tous les guerriers,
Le chef au lieu de fleurs couronné de lauriers ;
Et pour dire en un mot ce que j'en confidére,
Digne d'être immolée aux mânes de mon pere.
Hélas! A quel efpoir me laiffai-je emporter !
Rodrigue de ma part n'a rien à redouter.

Que pourroient contre lui des larmes qu'on méprise ?
Pour lui tout votre empire est un lieu de franchise;
Là, fous votre pouvoir tout lui devient permis,
Il triomphe de moi comme des ennemis ;
Dans leur fang répandu la justice étouffée

Au crime du vainqueur fert d'un nouveau trophée.
Nous en croiffons la pompe, & le mépris des loix
Nous fait fuivre fon char au milieu de deux rois,
D. FERNAND.

Ma fille, ces transports ont trop de violence,
Quand on rend la juftice, on met tout en balance.
On a tué ton pere, il étoit l'aggreffeur ;
Et la même équité m'ordonne la douceur.

Avant que d'accufer ce que j'en fais paroître,
Confulte bien ton cœur, Rodrigue en est le maître,
Et ta flamme en fecret rend graces à ton roi,
Dont la faveur conferve un tel amant pour toi.
CHIMENE

Pour moi, mon ennemi ! L'objet de ma colere!
L'auteur de mes malheurs ! L'affaffin de mon pere!
De ma jufte poursuite on fait fi peu de cas,
Qu'on me croit obliger en ne m'écoutant pas !
Puifque vous refufez la juftice à mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir aux armes,
C'est par là feulement qu'il a sû m'outrager,
Et c'eft auffi par-là que je me dois venger.
A tous vos cavaliers je demande fa tête,
Oui, qu'un d'eux me l'apporte, & je fuis fa conquête,
Qu'ils le combattent, Sire, & le combat fini,
J'époufe le vainqueur, fi Rodrigue eft puni.
Sous votre autorité fouffrez qu'on le publie.
D. FERNAND.

Cette vieille coutume en ces lieux établie,
Sous couleur de punir un injufte attentat,
Des meilleurs combattans affoiblit un état.
Souvent de cet abus le fuccès déplorable
Opprime l'innocent, & foutient le coupable,
J'en difpenfe Rodrigue, il m'eft trop précieux
Pour l'expofer aux coups d'un fort capricieux;
Et, quoi qu'ait pû commettre un cœur fi magnanime,
Les Mores en fuyant ont emporté fon crime.
D. DIE GUE.

Quoi, Sire! Pour lui feul vous renversez des loix
Qu'a vu toute la cour obferver tant de fois!
Que croira votre peuple, & que dira l'envie,
Si fous votre défense il ménage fa vie

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Et s'en fait un prétexte à ne paroître pas

Où tous les gens d'honneur cherchent un beau trépas ?
De pareilles faveurs terniroient trop fa gloire,
Qu'il goûte fans rougir les fruits de fa victoire ;
Le comte eût de l'audace, il l'en a sû punir,
Il l'a fait en brave homme, & le doit maintenir,

D.

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