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CHIMENE.

Ne m'importune plus, laiffe-moi soupirer;
Je cherche le filence & la nuit pour pleurer.

SCENE V.

D. DIE GUE feul.

Amais nous ne goûtons de parfaite allégreffe.

Jamais nous

Nos plus heureux fuccès font mêlés de tristesse, Toujours quelques foucis en ces événemens Troublent la pureté de nos contentemens.

Au milieu du bonheur mon âme en fent l'atteinte,
Je nage dans la joie, & je tremble de crainte.
J'ai vâ mort l'énnemi qui m'avoit outragé,
Et je ne faurois voir la main qui m'a vengé.
En vain je m'y travaille; & d'un foin inutile,
Tout caffé que je fuis, je cours toute la ville:
Ce peu que mes vieux ans m'ont laiffé de vigueur
Se confume fans fruit à chercher ce vainqueur.
A toute heure, en tous lieux, dans une nuit fi fombre,
Je pense l'embraffer, & n'embraffe qu'une ombre;
Et mon amour déçû par cet objet trompeur,
Se forme des foupçons qui redoublent ma peur.
Je ne découvre point de marques de fa fuite,
Je crains du comte mort les amis & la fuite,
Leur nombre m'épouvante, & confond ma raison.
Rodrigue ne vit plus, ou respire en prison.
Juftes cieux! Me trompai-je encore à l'apparence,
Ou fi je vois enfin mon unique efpérance?

C'eft lui, n'en doutons plus, mes vœux font exaucés,
Ma crainte eft diffipée, & mes ennuis ceffés.

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SCENE VI.

D. DIEGUE, D. RODRIGUE.

D. DIE GUE.

Rodrigue, enfin le ciel permet que je te voie!

Hélas!

D. RODRIGUE.

D. DIE GUE.

Ne mêle point de foupirs à ma joie,
Laiffe-moi prendre haleine afin de te louër.
Ma valeur n'a point lieu de te défavouër,
Tu l'as bien imitée ; & ton illuftre audace
Fait bien revivre en toi les héros de ma race.
C'eft d'eux que tu defcens, c'est de moi que tu viens,
Ton premier coup d'épée égale tous les miens;
Et d'une belle ardeur ta jeuneffe animée

Par cette grande épreuve atteint ma renommée.
Appui de ma vieilleffe, & comble de mon heur,
Touche ces cheveux blancs à qui tu rens l'honneur,
Viens bailer cette jouë; & reconnois la place
Où fut empreint l'affront que ton courage éfface.
D. RODRIGUE.

L'honneur vous en eft dû, je ne pouvois pas moins,
Etant forti de vous, & nourri par vos foins;
Je m'en tiens trop heureux, & mon âme eft ravie
Que mon coup d'effai plaise à qui je dois la vie :
Mais, parmi vos plaifirs, ne foyez point jaloux,
Si je m'ofe à mon tour fatisfaire après vous.
Souffrez qu'en liberté mon désespoir éclate,
Affez & trop long-temps votre discours le flatte:
Je ne me repens point de vous avoir servi;
Mais rendez-moi le bien que ce coup m'a ravi.
Mon bras, pour vous venger armé contre ma flamme,
Par ce coup glorieux m'a privé de mon ame;
Ne me dites-plus rien, pour vous j'ai tout perdu,
Ce que je vous devois, je vous l'ai bien rendu.

D.

D. DIE GUE.

Porte, porte plus haut le fruit de ta victoire.
Je t'ai donné la vie, & tu me rens ma gloire;
Et d'autant que l'honneur m'eft plus cher que le jour,
D'autant plus maintenant je te dois de retour.
Mais d'un cœur magnanime éloigne ces foibleffes,
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses,
L'amour n'eft qu'un plaifir, l'honneur est un devoir.
D. RODRIGUE.

Ah! Que me dites-vous ?

D. DIE GUE.

Ce que tu dois favoir.

D. RODRIGUE.

Mon honneur offenfé fur moi-même se venge,
Et vous m'ofez pouffer à la honte du change !
L'infamie eft pareille, & fuit également
Le guerrier fans courage, & le perfide amant.
A ma fidélité ne faites point d'injure,

Souffrez-moi généreux fans me rendre parjure,
Mes liens font trop forts pour être ainfi rompus,
Ma foi m'engage encor, fi je n'efpere plus ;
Et ne pouvant quitter, ni pofféder Chiméne,
Le trépas que je cherche eft ma plus douce peine.
D. DIE GUE.

Il n'eft pas temps encor de chercher le trépas,
Ton prince, & ton pays ont befoin de ton bras.
La flotte qu'on craignoit, dans ce grand fleuve entrée,
Croit furprendre la ville, & piller la contrée ;
Les Mores vont descendre, & le flux & la nuit
Dans une heure à nos murs les amènent fans bruit.
La cour est en défordre, & le peuple en alarmes,
On n'entend que des cris, on ne voit que des larmes.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j'ai trouvé chez moi cinq cens de mes amis,
Qui fachant mon affront, pouffés d'un même zéle,
Se venoient tous offrir à venger ma querelle :
Tu les as prévenus, mais leurs vaillantes mains
Se tremperont bien mieux au fang des Africains.
Va marcher à leur tête, où l'honneur te demande,

C'eft

C'eft toi
que veut pour chef leur généreuse bande.
De ces vieux ennemis va foutenir l'abord,
Là, fi tu veux mourir, trouve une belle mort;
Prens-en l'occafion, puifqu'elle t'eft offerte,
Fais devoir à ton roi fon falut à ta perte.
Mais reviens-en plûtôt les palmes fur le front;
Ne borne pas ta gloire à venger un affront.
Porte-la plus avant, force par ta vaillance
Ce monarque au pardon, & Chiméne au filence.
Si tu l'aimes, apprens que revenir vainqueur
C'eft l'unique moyen de regagner fon cœur.
Mais le temps eft trop cher pour le perdre en paroles,
Je t'arrête en difcours, & je veux que tu voles :
Vien, fui-moi, va combattre, & montrer à ton roi,
Que ce qu'il perd au comte il le recouvre en toi.

Fin du troifiéme acte.

ACTE IV.

ACTE IV.

SCENE PREMIERE.

CHIMENE, ELVIRE.

CHIMENE.

"Eft-ce point un faux bruit? Le fais-tu bien, Elvire?

NE

EL VIR E.

Vous ne croiriez jamais comme chacun l'admire,
Et porte jufqu'au ciel, d'une commune voix,
De ce jeune héros les glorieux exploits.

Les Mores devant lui n'ont paru qu'à leur honte,
Leur abord fut bien prompt, leur fuite encor plus
prompte,

Trois heures de combat laiffent à nos guerriers
Une victoire entiére, & deux rois prisonniers ;
La valeur de leur chef ne trouvoit point d'obstacles.
CHIMENE.

Et la main de Rodrigue a fait tous ces miracles!
EL VIR E.

De fes nobles efforts ces deux rois font le prix,
Sa main les a vaincus, & fa main les a pris.

CHIMENE.

De qui peux-tu favoir ces nouvelles étranges?
EL VIR E.

Du peuple qui par tout fait fonner fes louanges,
Le nomme de fa joie, & l'objet, & l'auteur,
Son ange tutélaire, & fon libérateur.

CHIMENE.

Et le roi, de quel œil voit-il tant de vaillance?
EL VIR E.

Rodrigue n'ofe encor paroître en fa présence,
Mais Don Diégue ravi lui présente enchaînés,
Au nom de ce vainqueur, ces captifs couronnés ;

Et

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