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A rejetter fur vous l'horreur de cette mort;
Et foit amour pour moi, foit adreffe pour elle,
Ce foin la fait paroître un peu moins criminelle.
Pour moi, qui ne vois rien dans le trouble où je fuis
Qu'un gouffre de malheurs, qu'un abîme d'ennuis,
Attendant qu'en plein jour ces vérités paroiffent,
J'en laiffe la vengeance aux dieux qui les connoiffent,
Et vais fans plus tarder . . . .

RODO GUNE.

Seigneur, voyez fes yeux

Déja tous égarés, troubles, & furieux,

Cette affreufe fueur qui court fur fon vifage,
Cette gorge qui s'enfle. Ah, bons dieux, quelle rage!
Pour vous perdre après elle, elle a voulu périr.

ANTIOCHUS rendant la coupe à Laonice.
N'importe, elle eft ma mere, il faut la fecourir.
CLEOPATRE.

Va, tu me veux en vain rappeler à la vie,
Ma haine eft trop fidéle, & m'a trop bien fervie
Elle a paru trop tôt pour te perdre avec moi,
C'eft le feul déplaifir qu'en mourant je reçoi ;
Mais j'ai cette douceur dedans cette disgrace
De ne voir point régner ma rivale en ma place.

Régne de crime en crime, enfin te voilà roi,
Je t'ai défait d'un pere, & d'un frere, & de moi.
Puiffe le ciel tous deux vous prendre pour victimes,
Et laiffer choir fur vous les peines de mes crimes,
Puiffiez-vous ne trouver dedans votre union
Qu'horreur, que jaloufie, & que confufion;
Et, pour vous fouhaiter tous les malheurs ensemble,
Puiffe naître de vous un fils qui me reffemble.
ANTIOCH US.

Ah! Vivez pour changer cette haine en amour.
CLEOPATRE.

Je maudirois les dieux s'ils me rendoient le jour.
Qu'on m'emporte d'ici. Je me meurs, Laonice,
Si tu veux m'obliger par un dernier service,

M m 2

Après

Après les vains efforts de mes inimitiés,
Sauve-moi des affronts de tomber à leurs piés.

[ Elle s'en va, & Laonice lui aide à marcher.]

SCENE DERNIERE.

RODOGUNE, ANTIOCHUS, ORONTE, TIMAGENE, troupe de Parthes, & de Syriens.

D

ORONT E.

Ans les juftes rigueurs d'un fort fi déplorable, Seigneur, le jufte ciel vous est bien favorable. 11 vous a préfervé fur le point de périr

Du danger le plus grand que vous pûffiez courir ;
Et, par un digné effet de fes faveurs puiffantes,
La coupable eft punie, & vos mains innocentes.
ANTIOCH US.

Oronte, je ne fai dans fon funefte fort,

Qui m'afflige le plus, ou fa vie, ou fa mort.
L'une & l'autre a pour moi des malheurs fans exemple.
Plaignez mon infortune. Et vous, allez au temple
Y changer l'allégreffe en un deuil fans pareil,
La pompe nuptiale en funébre appareil;
Et nous verrons après, par d'autres facrifices,
Si les dieux voudront être à nos vœux plus propices.

FIN.

413

JUGEMENT de la TRAGEDIE de RODOGUNE Princeffe des PARTHE S.

L

A Piéce de Rodogune eft celle qui au jugement du Public a mis Mr. Corneille & fon Période & à fon Solfice, pour le dire ainfi, & Mr. Bayle dit que de puis ce tems il ne fit plus que fe maintenir dans le Degré de Perfection où il etoit parvenu. L'on convient qu'il ne fit plus rien dans la fuite qui égalât tout-à-fait Rodogune ou Cinna: car il faut choifir entre ces deux piéces pour avoir la plus belle des fiennes, au jugement du même auteur. Il eft certain que Mr. Corneille donnoit lui même fa voix à Rodogune mais il femble que le public panche plus du coté de Cinna.

Mr. Corneille recherchant la caufe de cette tendreffe toute particuliere qu'il avoit pour Rodogune au préjudice des autres, dit que cette préference étoit peut-être en lui, un effet de ces inclinations aveugles que beaucoup de peres ont pour quelques uns de leurs enfans plus que pour les autres ; & qu'il pouvoit s'y trouver auffi un peu d'amour propre, en ce que cette tragédie lui fembloit être un peu plus à lui que celles qui l'ont précédée, à caufe des incidens furprenans qui font purement de fon invention & n'avoient jamais eté vûs Sur le théatre, mais il ne diffimule pas qu'il y avoit auffi un peu de vrai mérite qui faifoit que cette inclination n'étoit pas tout-à-fait injufte.

Certainement on peut dire que toutes les autres Piéces ont peu d'avantages qui ne fe rencontrent en celle-cy. Elle a tout ensemble la beauté du fujet; la

nouveauté

414 Jugement de la Tragédie &c.

nouveauté des fictions, la force des vers, la facilité de l'expreffion, la folidité du raifonement, la chaleur des paffions, les tendreffes de l'amitié & de l'amour: & cet heureux affemblage eft ménagé de forte, qu'elle s'éleve d'acte en acte, le fecond paffe le premier, le troifieme eft au deffus du second, & le dernier l'emporte fur tous les autres.

L'action y eft une, grande, complete, fa durée ne va point, ou fort peu audelà de celle de la repréfentation: le jour en eft le plus illuftre qu'on puiffe imaginer: & l'unité de lieu y eft pratiquée suffisament, mais non pas à la rigueur.

";

La Piéce n'eft pourtant pas entierement fans tache mais elles y font rares & ce n'est que dans quelques circonftances légeres qui regardent la bienséance & le caractere de. certains perjonages. Le Jujet eft pris d' Appien.

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