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Et ce refte égaré de lumiére incertaine
Lui peignant fon cher frere, au lieu de Timagéne,
Rempli de votre idée, il m'adreffe pour vous
Ces mots, où l'amitié régne fur le courroux,

Une main qui nous fut bien chere

Venge ainfi le refus d'un coup trop inhumain,
Régnez, & fur tout, mon cher frere,

Gardez vous de la même main.

Ceft... La parque à ce mot lui coupe la parole,
Sa lumière s'éteint, & fon ame s'envole;
Et moi, tout effrayé d'un fi tragique fort,
J'accours pour vous en faire un funefte rapport.
ANTIOCH US.

Rapport vraiment funefte, & fort vraiment tragique,
Qui va changer en pleurs l'allégreffe publique.
O frere plus aimé que la clarté du jour,
O rival auffi cher que m'étoit mon amour,
Je te perds; & je trouve en ma douleur extrême
Un malheur dans ta mort plus grand que ta mort même.
O de fes derniers mots fatale obscurité,

En quel gouffre d'horreurs m'as-tu précipité ?
Quand j'y pense chercher la main qui l'affaffine,
Je m'impute à forfait tout ce que j'imagine;
Mais aux marques enfin que tu m'en viens donner,
Fatale obfcurité, qui dois-je en foupçonner?
Une main qui nous fut bien chere.
[A Rodogune. ]

Madame, eft-ce la vôtre, ou celle de ma mere ?
Vous vouliez toutes deux un coup trop inhumain,
Nous vous avons tous deux refuse notre main.
Qui de vous s'eft vengée ? Eft-ce l'une, eft-ce l'autre,
Qui fait agir la fienne au défaut de la nôtre,
Eft ce vous qu'en coupable il me faut regarder ?
Eft-ce vous déformais dont je me dois garder?

CLEOPATRE.

Quoi! Vous me soupçonnez !

RODOGUN E.

Quoi, je vous fuis fufpecte!

A N

ANTIOCH US.

Je fuis amant, & fils, je vous aime, & refpecte;
Mais, quoi que fur mon cœur puiffent des noms fi doux,
A ces marques enfin je ne connois que vous.
As-tu bien entendu? Dis-tu vrai, Timagéne ?
TIMA GENE.

Avant qu'en foupçonner la princeffe ou la reine,
Je mourrois mille fois; mais enfin mon récit
Contient, fans rien de plus, ce que le prince a dit.
ANTIOCH US.
D'un & d'autre côté l'action est fi noire,
Que n'en pouvant douter, je n'ose encor la croire.
O quiconque des deux avez versé son sang,
Ne vous préparez plus à me percer le flanc,
Nous avons mal fervi vos haines mutuelles,
Aux jours l'une de l'autre également cruelles ;
Mais fi j'ai refufé ce déteftable emploi,
Je veux bien vous fervir toutes deux contre moi.
Qui que vous foyez donc, recevez une vie,
Que déja vos fureurs m'ont à demi ravie.

[Il tire fon épée & veut fe tuer.]

RODOGUNE.

Ah! Seigneur, arrêtez.

TIMAGENE.

Seigneur, que faites-vous?

ANTIOCH US.

Je fers, ou l'une, ou l'autre ; & je préviens fes coups.

CLEOPATRE.

Vivez, régnez heureux.

ANTIOCH US.

Otez-moi donc de doute,

Et montrez-moi la main qu'il faut que je redoute,
Qui pour m'affaffiner ofe me fecourir;
Et me fauve de moi pour me faire périr.
Puis je vivre, & trainer cette gêne éternelle,
Confondre l'innocente avec la criminelle,
Vivre, & ne pouvoir plus vous voir fans m'alarmer,
Vous craindre toutes deux, toutes deux vous aimer ?

Vivre avec ce tourment, c'eft mourir à toute heure,
Tirez-moi de ce trouble, ou fouffrez que je meure;
Et que mon déplaifir, par un coup généreux,
Epargne un parricide à l'une de vous deux.
CLEOPATRE.

Puifque le même jour que ma main vous couronne,
Je perds un de mes fils, & l'autre me foupçonne,
Qu'au milieu de mes pleurs, qu'il devroit effuyer,
Son peu d'amour me force à me juftifier,
Si vous n'en pouviez mieux confoler une mere,
Qu'en la traitant d'égale avec une étrangere,
Je vous dirai, Seigneur, car ce n'eft plus à moi
A nommer autrement, & mon juge, & mon roi,
Que vous voyez l'effet de cette vieille haine,
Qu'en dépit de la paix me garde l'inhumaine,
Qu'en fon cœur du paffé foutient le fouvenir;
Et que j'avois raifon de vouloir prévenir.
Elle a foif de mon fang, elle a voulu l'épandre,
J'ai prévû d'affez loin ce que j'en viens d'apprendre ;
Mais je vous ai laiffé défarmer mon courroux.
[à Rodogune. ]

Sur la foi de fes pleurs je n'ai rien craint de vous,
Madame; mais ô dieux! Quelle rage eft la vôtre !
Quand je vous donne un fils, vous affaffinez l'autre ;
Et m'enviez foudain l'unique & foible appui
Qu'une mere opprimée eût pû trouver en lui.
Quand vous m'accablerez, où fera mon refuge
Si je m'en plains au roi, vous poffédez mon juge,
Et s'il m'ofe écouter, peut-être, hélas! en vain
Il voudra fe garder de cette même main.
Enfin je fuis leur mere, & vous leur ennemie,
J'ai recherché leur gloire, & vous leur infamie;
Et, fi je n'euffe aimé ces fils que vous m'ôtez,
Votre abord en ces lieux les eût défhérités.
C'eft à lui maintenant, en cette concurrence,
A régler fes foupçons fur cette différence,
A voir de qui des deux il doit fe défier,
Si vous n'avez un charme à vous justifier.

RODO.

RODOGUNE à Cléopatre.

L'innocence étonnée

Je me défendrai mal.
Ne peut s'imaginer qu'elle foit foupçonnée ;
Et n'ayant rien prévû d'un attentat fi grand,
Qui l'en veut accufer, fans peine la furprend.

Je ne m'étonne point de voir que votre haine
Pour me faire coupable a quitté Timagéne,
Au moindre jour ouvert de tout jetter fur moi,
Son récit s'eft trouvé digne de votre foi.

Vous l'accufiez pourtant, quand votre ame alarmée
Craignoit qu'en expirant ce fils vous eût nommée;
Mais de fes derniers mots voyant le fens douteux,
Vous avez pris foudain le crime entre nous deux.
Certes, fi vous voulez paffer pour véritable,
Que l'une de nous deux de fa mort foit coupable,
Je veux bien par refpect ne vous imputer rien ;
Mais votre bras au crime eft plus fait que le mien;
Et qui fur un époux fit fon apprentiffage,
A bien pû fur un fils achever fon ouvrage.
Je ne dénierai point, puifque vous les favez,
De juftes fentimens dans mon ame élevés :
Vous demandiez mon fang, j'ai demandé le vôtre,
Le roi fait quels motifs ont pouffé l'une & l'autre,
Comme par fa présence il a tout adouci,
Il vous connoît peut-être, & me connoît auffi.
[à Antiochus. ]

Seigneur, c'est un moyen de vous être bien chere,
Que pour don nuptial vous immoler un frere :
On fait plus, on m'impute un coup fi plein d'horreur,
Pour me faire un paffage à vous percer le cœur.
[à Cléopatre.]

Où fuirois-je de vous après tant de furie,
Madame, & que feroit toute votre Syrie,
Où feule, & fans appui contre mes attentats,
Je verrois. ... Mais, Seigneur, vous ne m'écoutez pas.
ANTIOCH US.

Non, je n'écoute rien, &, dans la mort d'un frere,
Je ne veux point juger entre vous, & ma mere :
Affaffinez un fils, maffacrez un époux,

M m

Je

Je ne veux me garder, ni d'elle, ni de vous.
Suivons aveuglément ma trifte destinée,
Pour m'expofer à tout achevons l'hyménée.
Cher frere, c'eft pour moi le chemin du trépas,
La main qui t'a percé, ne m'épargnera pas,
Je cherche à te rejoindre, & non à m'en défendre ;
Et lui veux bien donner tout lieu de me furprendre.
Heureux, fi fa fureur qui me prive de toi
Se fait bien-tôt connoître, en achevant fur moi,
Et fi du ciel trop lent à la reduire en poudre,
Son crime redoublé peut arracher la foudre.
Donnez-moi.

RODOGUNE l'empêchant de prendre la coupe.
Quoi, Seigneur !

ANTIOCH US.

Donnez.

Vous m'arrêtez en vain,

RODOGUNE.

Ah! Gardez-vous de l'une & l'autre main !

Cette coupe eft fufpecte, elle vient de la reine
Craignez de toutes deux quelque fecrette haine.
CLEO PATRE.

Qui m'épargnoit tantôt, ofe enfin m'accufer.
RODOGUNE.
De toutes deux, Madame, il doit tout refufer.
Je n'accufe perfonne, & vous tiens innocente;
Mais il en faut fur l'heure une preuve évidente.
Je veux bien à mon tour fubir les mêmes loix;
On ne peut craindre trop pour le falut des rois.
Donnez donc cette preuve, & pour toute replique,
Faites faire un effai par quelque domeftique.

CLEOPATRE prenant la coupe.
Je le ferai moi-même. Hé bien, redoutez-vous
Quelque finiftre effet encor de mon courroux ?
J'ai fouffert cet outrage avecque patience.
ANTIOCHUS prenant la coupe de la main de
Cleopatre après qu'elle a bû.

Pardonnez lui, Madame, un peu de défiance,
Comme vous l'accufez elle fait fon effort

A

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