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Dût le Parthe vengeur me trouver fans défense,
Dût le ciel égaler le fupplice à l'offense,
Trône, à t'abandonner je ne puis confentir,
Par un coup de tonnerre il vaut mieux en sortir,
Il vaut mieux mériter le fort le plus étrange.
Tombe fur moi le ciel, pourvû que je me venge,
J'en recevrai le coup d'un vifage remis,
Il eft doux de périr après fes ennemis ;
Et de quelque rigueur que le destin me traite,
Je perds moins à mourir, qu'à vivre leur fujette.
Mais voice Laonice, il faut diffimuler
Ce que le feul effort doit bien-tôt révéler.

V

SCENE II.

CLEOPATRE, LAONICE.

CLEOPATRE.

Iennent-ils, nos amans?
LAONICE.

Ils approchent, Madame,

On lit deffus leur front l'allégreffe de l'ame,
L'amour s'y fait paroître avec la majesté ;
Et, fuivant le vieil ordre en Syrie ufité,
D'une grace en tous deux toute augufte, & royale
Ils viennent prendre ici la coupe nuptiale,
Pour s'en aller au temple, au fortir du palais,
Par les mains du grand prêtre être unis à jamais;
C'est là qu'il les attend pour bénir l'alliance.
Le peuple tout ravi par fes vœux le devance;
Et pour eux à grands cris demande aux immortels
Tout ce qu'on leur fouhaite aux pieds de leurs autels,
Impatient pour eux que la cérémonie

Ne commence bien tôt, ne foit bien-tôt finie.
Les Parthes à la foule aux Syriens mêlés,
Tous nos vieux différens de leur ame exilés,

L13

Font

Font leur fuite affez groffe, & d'une voix commune
Béniffent à l'envi le prince, & Rodogune.
Mais je les vois déja, Madame, c'eft à vous
A commencer ici des fpectacles fi doux.

SCENE III.

CLEOPATRE, ANTIOCHUS, RODOGUNE, OR ONTE, LAONICE, troupe de Parthes & de Syriens.

CLEOPATRE.

Approchez, mes enfans, car l'amour maternelle,

Madame, dans mon cœur vous tient déja pour
Et je crois que ce nom ne vous déplaira pas.
RODOGUNE.
Je le chérirai même au-delà du trépas,

telle

;

Il m'eft trop doux, Madame, & tout l'heur que j'espére, C'eft de vous obéïr, & refpecter en mere.

CLEOPATRE.

Aimez-moi feulement, vous allez être rois,
Et, s'il faut du refpect, c'eft moi qui vous le dois.
ANTIOCHU S.

Ah! Si nous recevons la fuprême puiffance,
Ce n'eft pas pour fortir de votre obéiffance,
Vous régnerez ici quand nous y régnerons;
Et ce feront vos loix que nous y donnerons.
CLEOPATRE.
J'ofe le croire ainfi, mais prenez votre place;
11 eft tems d'avancer ce qu'il faut que je faffe.

Ici Antiochus s'affiéd dans un fauteuil, Rodogune à fa gauche en même rang, & Cleopatre à fa droite, mais en rang inférieur, & qui marque quelque inégalité. Oronte

s'affiid

s'affiéd auffi à la gauche de Rodogune, avec la même différence, & Cleopatre, pendant qu'ils prennent leurs places, parle à l'oreille de Laonice, qui s'en va querir une coupe pleine de vin empoisonné.

Peuples qui m'écoutez, Parthes, & Syriens,
Sujets du roi fon frere, ou qui fûtes les miens,
Voici de mes deux fils celui qu'un droit d'aînesse
Eleve dans le trône, & donne à la princeffe.
Je lui rens cet état que j'ai fauvé
pour lui,
Je ceffe de régner, il commence aujourd'hui.
Qu'on ne me traite plus ici de fouveraine,
Voici votre roi, peuple, & voilà votre reine,
Vivez pour les fervir, respectez-les tous deux,
Aimez-les, & mourez, s'il eft befoin pour eux.
Oronte, vous voyez avec quelle franchise
Je leur rens ce pouvoir, dont je me fuis démife;
Prêtez les yeux au refte, & voyez les effets
Suivre de point en point les traités de la paix.

[Laonice apporte une coupe.]

ORONT E.

Votre fincérité s'y fait affez paroître,
Madame, & j'en ferai récit au roi mon maître.
CLEOPATRE.

L'hymen eft maintenant notre plus cher fouci,
L'ufage veut, mon fils, qu'on le commence ici.
Recevez de ma main la coupe nuptiale,
Pour être après unis fous la foi conjugale,
Puiffe-t-elle être un gage envers votre moitié,
De votre amour enfemble & de mon amitié.

ANTIOCH US prenant la coupe.
Ciel! Que ne dois-je point aux bontés d'une mere !
CLEOPATRE.

Le tems preffe, & votre heur d'autant plus fe différe.
ANTIOCHUS à Rodogune.

Madame, hâtons donc ces glorieux momens;
Voici l'heureux effai de nos contentemens.
Mais fi mon frere étoit le témoin de ma joie.

CLEO

CLEOPATRE.

C'eft être trop cruel, de vouloir qu'il la voie.
Ce font des déplaifirs qu'il fait bien d'épargner;
Et fa douleur fecrette a droit de l'éloigner.

ANTIOCH U S.

Il m'avoit affuré qu'il la verroit fans peine.
Mais n'importe, achevons.

SCENE IV.

CLEOPATRE, ANTIOCHUS, RODOGUNE, OR ONTE, TIMAGENE, LAONICE, troupe de Parthes, & de Syriens.

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Souffrez pour un moment que mes fens rappellés . .

ANTIOCH US.

Qu'eft-il donc arrivé ?

TIMAGEN E.

Le prince votre frere . .

ANTIOCH US.

Quoi? Se voudroit-il rendre à mon bonheur contraire ?
TIMA GENE.

L'ayant cherché long-tems afin de divertir
L'ennui que de fa perte il pouvoit reffentir,

Je

Je l'ai trouvé, Seigneur, au bout de cette allée,
Où la clarté du ciel femble toujours voilée.
Sur un lit de gazon de foibleffe étendu,
Il fembloit déplorer ce qu'il avoit perdu,
Son ame à ce penfer paroiffoit attachée,
Sa tête fur un bras languiffamment panchée,
Immobile, & rêveur en malheureux amant.
ANTIOCH US.

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Enfin, que faifoit-il? Achevez promptement.
TIMAGENE.

D'une profonde plaie en l'eftomac ouverte,
Son fang à gros bouillons fur cette couche verte

CLEOPATRE.

Il eft mort?

TIMAGENE

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Oui, Madame.

CLEOPATRE.

Ah, deftins ennemis,

Qui m'enviez le bien que je m'étois promis !
Voilà le coup fatal que je craignois dans l'ame,
Voilà le défespoir où l'a réduit fa flamme,
Pour vivre en vous perdant il avoit trop d'amour,
Madame, & de fa main il s'eft privé du jour.
TIMAGENE à Cléopatre.

Madame, il a parlé, fa main eft innocente.

CLEOPATRE à Timagéne.

La tienne est donc coupable, & ta rage infolente,
Par une lâcheté qu'on ne peut égaler,
L'ayant affaffiné, le fait encor parler.

ANTIOCH US.
Timagéne, fouffrez la douleur d'une mere,
Et les premiers foupçons d'une aveugle colere.
Comme ce coup fatal n'a point d'autres témoins,
J'en ferois autant qu'elle à vous connoître moins.
Mais que vous a-t-il dit? Achevez, je vous prie.
TIMAGENE.

Surpris d'un tel fpectacle à l'instant je m'écrie,
Et foudain à mes cris, ce prince én foupirant,
Avec affez de peine entr'ouvre un œil mourant;

Et

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