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Je vous en plains, mon fils, ce malheur eft extrême,
C'eft périr en effet, que perdre un diadême ;
Je n'y fais qu'un reméde, encore eft-il fâcheux,
Etonnant, incertain, & trifte pour tous deux,
Je périrai moi-même, avant que de le dire,
Mais enfin on perd tout, quand on perd un empire.
ANTIOCH US.

Le reméde à nos maux eft tout en votre main,
Et n'a rien de fâcheux, d'étonnant, d'incertain.
Votre feule colere a fait notre infortune,
Nous perdons tout, Madame, en perdant Rodogune,
Nous l'adorons tous deux; jugez en quels tourmens
Nous jette la rigueur de vos commandemens.

L'aveu de cet amour, fans doute, vous offenfe,
Mais enfin nos malheurs croiffent par le filence,
Et votre cœur qu'aveugle un peu d'inimitié,
S'il ignore nos maux, n'en peut prendre pitié;
Au point où je les vois, c'en eft le feul reméde.
CLEOPATRE.
Quelle aveugle fureur vous-même vous pofféde?
Avez-vous oublié que vous parlez à moi,
Ou fi vous préfumez être déja mon roi ?
ANTIOCH US.

Je tâche avec refpect à vous faire connoître
Les forces d'un amour que vous avez fait naître.
CLEOPATRE.
Moi ? J'aurois allumé cet infolent amour ?
ANTIOCH US.

Et quel autre prétexte a fait notre retour ?
Nous avez-vous mandés qu'afin qu'un droit d'aînesse
Donnât à l'un de nous, le trône, & la princeffe ?
Vous avez bien fait plus; vous nous l'auez fait voir,
Et c'étoit par vos mains nous mettre en fon pouvoir.
Qui de nous deux, Madame, eût ofé s'en défendre,
Quand vous nous ordonniez à tous deux d'y prétendre ?
Si fa beauté dès lors n'eût allumé nos feux,
Le devoir auprès d'elle eût attaché nos vœux,
Le défir de régner eût fait la même chofe,
Et dans l'ordre des loix que la paix nous impose,

Nous

H

Nous devions afpirer à fa poffeffion,

Par amour, par devoir, ou par ambition.
Nous avons donc aimé, nous avons crû vous plaire,
Chacun de nous n'a craint que le honheur d'un frere,
Et cette crainte enfin cédant à l'amitié,

J'implore pour tous deux un moment de pitié.
Avons-nous dû prévoir cette haine cachée,
Que la foi des traités n'avoit point arrachée ?
CLEOPATRE.

Non, mais vous avez dû garder le fouvenir
Des hontes que pour vous j'avois fû prévenir,
Et de l'indigne état où votre Rodogune,

Sans moi, fans mon courage, eût mis votre fortune.
Je croyois que vos cœurs, fenfibles à ces coups,
En fauroient conserver un généreux courroux,
Et je le retenois avec ma douceur feinte,
Afin que groffiffant fous un peu de contrainte,
Ce torrent de colere & de reffentiment,
Fût plus impétueux en fon débordement.
Je fais plus maintenant, je preffe, follicite,
Je commande, menace, & rien ne vous irrite.
Le fceptre dont ma main vous doit récompenser,
N'a point de quoi vous faire un moment balancer,
Vous ne confidérez, ni lui, ni mon injure,
L'amour étouffe en vous la voix de la nature,
Et je pourrois aimer des fils dénaturés !

ANTIOCH US.

La nature, & l'amour ont leurs droits féparés,
L'un n'ôte point à l'autre une ame qu'il poffède.

CLEOPATRE.

Non, non, où l'amour régne, il faut que l'autre céde.
ANTIOCH US.

Leurs charmes à nos cœurs font également doux,
Nous périrons tous deux, s'il faut périr pour vous ;
Mais auffi

...

CLEOPATRE.

Pourfuivez, fils ingrat, & rebelle.
ANTIOCH US.

Nous périrons tous deux, s'il faut périr pour elle.

CLEO

CLEOPATRE.

Mes yeux

Périffez, périffez. Votre rébellion
Mérite plus d'horreur que de compaffion,
fauront le voir fans verfer une larme,
Sans regarder en vous que l'objet qui vous charme,
Et je triompherai, voyant périr mes fils,
De fes adorateurs, & de mes ennemis.
ANTIOCH US.

Hé bien, triomphez-en, que rien ne vous retienne.
Votre main tremble-t-elle ? Y voulez-vous la mienne?
Madame, commandez, je fuis prêt d'obéir,

Je percerai ce cœur qui vous ofe trahir,
Heureux, fi par ma mort je puis vous fatisfaire,
Et noyer dans mon fang toute votre colere.
Mais, fi la dureté de votre averfion
Nomme encor notre amour une rébellion,
Du moins fouvenez-vous qu'elle n'a pris pour armes
Que de foibles foupirs, & d'impuiffantes larmes.
CLEOPATRE.

Ah! Que n'a t-elle pris, & la flamme, & le fer!
Que bien plus aifément j'en faurois triompher!
Vos larmes dans mon cœur ont trop d'intelligence,
Elles ont prefque éteint cette ardeur de vengeance,
Je ne puis refufer des foupirs à vos pleurs,
Je fens que je fuis mere auprès de vos douleurs.
C'en eft fait, je me rens, & ma colere expire,
Rodogune est à vous, auffi-bien que l'empire,
Rendez graces aux dieux qui vous ont fait l'aîné,
Poffédez-la, regnez.

ANTIOCH US.

O moment fortuné !
O trop heureufe fin de l'excès de ma peine!
Je rens graces aux dieux qui calment votre haine,
Madame, eft-il poffible?

CLEOPATRE.

En vain j'ai réfifté,
La nature eft trop forte, & mon cœur s'eft domté.
Je ne vous dis plus rien, vous aimez votre mere ;
Et votre amour pour moi taira ce qu'il faut taire.

A N

ANTIOCH US.

Quoi! Je triomphe donc fur le point de périr !
La main qui me blefsoit a daigné me guérir !
CLEOPATRE.

Oui, je veux couronner une flamme fi belle.
Allez à la princeffe en porter la nouvelle,

Son cœur, comme le vôtre, en deviendra charmé,
Vous n'aimeriez pas tant, fi vous n'étiez aimé.
ANTIOCH US.

Heureux Antiochus! Heureufe Rodogune!
Oui, madame, entre nous la joie en est commune.
CLEOPATRE.

Allez donc. Ce qu'ici vous perdez de momens
Sont autant de larcins à vos contentemens,
Et ce foir destiné pour la cérémonie,

Fera voir pleinement fi ma haine eft finie.
ANTIOCH US.

Et nous vous ferons voir tous nos défirs bornés
A vous donner en nous des sujets couronnés.

SCENE IV.

CLEOPATRE, LAONICE.

Enfin,

LAONICE.

Nfin, ce grand courage a vaincu fa colére.

CLEOPATRE.

Que ne peut point un fils fur le cœur d'une mere?

LAONICE.

Vos pleurs coulent encore; & ce cœur adouci. . .
CLEOPATRE.
Envoyez-moi fon frere, & nous laissez ici.
Sa douleur fera grande, à ce que je présume ;
Mais j'en faurai fur l'heure adoucir l'amertume.
Ne lui témoignez rien, il lui fera plus doux
D'apprendre tout de moi, qu'il ne feroit de vous.

SCENE

SCENE V.

CLEOPATRE feule.

Ue tu pénétres mal le fond de mon courage!
Si je verfe des pleurs, ce font des pleurs de rage,
Et ma haine qu'en vain tu crois s'évanouir,
Ne les a fait couler, qu'afin de t'éblouir,
Je ne veux plus que moi dedans ma confidence.
Et toi, crédule amant, que charme l'apparence,
Et dont l'efprit léger s'attache avidement
Aux attraits captieux de mon déguisement,
Va, triomphe en idée avec ta Rodogune,
Au fort des immortels préfére ta fortune,
Tandis que mieux inftruite en l'art de me venger,
En de nouveaux malheurs je faurai te plonger.
Ce n'eft pas tout d'un coup que tant d'orgueil trébuche,
De qui fe rend trop tôt on doit craindre une embûche;
Et c'eft mal démêler le cœur d'avec le front,

Que prendre pour fincére un changement fi prompt.
L'effet te fera voir comme je fuis changée.

SCENE

VI.

CLEOPATRE, SELEUCUS.

SAvez-vou

CLEOPATRE.

Avez-vous, Seleucus, que je me fuis vengée ?

SELEUCU S.

Pauvre princeffe, hélas !

CLEOPATRE.

Quoi, l'aimez-vous ?

Vous déplorez fon fort!

SE

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