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Plus je lui vois fouiller la fource de mon fang.
J'en fens de ma douleur croître la violence,
Mais ma confufion m'impofe le filence,
Lorfque dans fes forfaits fur nos fronts imprimés
Je vois les traits honteux dont nous fommes formés.
Je tâche à cet objet d'être aveugle, ou ftupide,
J'ofe me déguifer jufqu'à fon parricide,
Je me cache à moi-même un excès de malheur,
Où notre ignominie égale ma douleur,
Et, détournant les yeux d'une mere cruelle,
J'impute tout au fort qui m'a fait naître d'elle.

Je conferve pourtant encore un peu d'espoir.
Elle eft mere, & le fang a beaucoup de pouvoir;
Et le fort l'eût-il faite encor plus inhumaine,
Une larme d'un fils peut amollir sa haine.
SELEUCUS.

part.

Ah, mon frere! L'amour n'eft guére véhément
Pour des fils élevés dans un banniffement;
Et qu'ayant fait nourrir, presque dans l'esclavage,
Elle n'a rappellés que pour fervir fa rage.
De fes pleurs tant vantés je découvre le fard,
Nous avons en fon cœur, vous, & moi, peu de
Elle fait bien fonner ce grand amour de mere,
Mais elle feule enfin s'aime, & fe confidére,
Et quoi que nous étale un langage fi doux,
Elle a tout fait pour elle, & n'a rien fait pour nous.
Ce n'eft qu'un faux amour que la haine domine;
Nous ayant embraffés, elle nous affaffine,
En veut au cher objet dont nous fommes épris,
Nous demande fon fang, met le trône à ce prix !
Ce n'eft plus de fa main qu'il nous le faut attendre,
Il-eft, il eft à nous, fi nous ofons le prendre :
Notre révolte ici n'a rien que d'innocent,
Il eft à l'un de nous, fi l'autre le confent.
Régnons, & fon courroux ne fera que foibleffe;
C'est l'unique moyen de fauver la princeffe,
Allons la voir, mon frere, & demeurons unis,
C'est l'unique moyen de voir nos maux finis.
Je forme un beau deffein que fon amour m'inspire;

Mais il faut qu'avec lui notre union conspire,
Notre amour, aujourd'hui fi digne de pitié,
Ne fauroit triompher, que par notre amitié.
ANTIOCH US.

Cet avertiffement marque une défiance
Que la mienne pour vous fouffre avec patience.
Allons, & foyez fûr que, même le trépas,
Ne peut rompre des nœuds, que

l'amour ne rompt pas.

Fin du fecond acte.

ACTE

ACTE III.

SCENE PREMIERE.

RODOGUNE, ORONTE,

V

LAONICE.

RODOGUNE.

'Oilà comme l'amour fuccéde à la colere,

Comme elle ne me voit qu'avec des yeux de mere, Comme elle aime la paix, comme elle fait un roi ; Et comme elle ufe enfin de fes fils & de moi. Et tantôt mes foupçons lui faifoient une offense? Elle n'avoit rien fait qu'en fa jufte défense › Lorfque tu la trompois elle fermoit les yeux ? Ah! Que ma défiance en jugeoit beaucoup mieux ! Tu le vois, Laonice.

LAONICE.

Et vous voyez, Madame,
Quelle fidélité vous conferve mon ame,
Et qu'ayant reconnu fa haine, & mon erreur,
Le cœur gros de foupirs, & frémiffant d'horreur,
Je romps une foi dûe aux fecrets de ma reine ;
Et vous viens découvrir mon erreur, & fa haine.
RODOGUNE.
Cet avis falutaire eft l'unique fecours
A qui je crois devoir le refte de mes jours;
Mais ce n'eft pas affez de m'avoir avertie,
Il faut de ces périls m'applanir la fortie,
Il faut que tes confeils m'aident à repouffer
LAONICE.

Madame, au nom des dieux, veuillez m'en difpenfer
C'eft affez que pour vous je lui fois infidéle,
Sans m'engager encore à des confeils contre elle.
Oronte eft avec vous, qui, comme ambassadeur,

I i

Devoit

Devoit de cet hymen honorer la fplendeur;
Comme c'est en fes mains que le roi votre frere
A déposé le foin d'une tête fi chere,
Je vous laiffe avec lui pour en délibérer.
Quoique vous réfolviez, laiffez-moi l'ignorer.
Au reste, assurez-vous de l'amour des deux princes,
Plûtôt que de vous perdre, ils perdront leurs provinces;
Mais je ne répons pas que ce cœur inhumain
Ne veuille à leur refus s'armer d'une autre main.
Je vous parle en tremblant, fi j'étois ici vûe,
Votre péril croîtroit, & je ferois perdue ;
Fuyez, grande Princeffe, & fouffrez cet adieu.
RODOG U N E.
Va, je reconnoîtrai ce service en fon lieu.

SCENE II.

RODOGUNE, ORON TE.

RODOGUNE.

Ue ferons-nous, Oronte, en ce péril extrême,

O

Où l'on fait de mon fang le prix d'un diadême ? Fuirons-nous chez mon frere? Attendrons-nous la mort; Ou ferons-nous contr'elle un généreux effort?

ORONT E.

Notre fuite, Madame, eft affez difficile.
J'ai vû des gens de guerre épandus par la ville,
Si l'on veut votre perte, on vous fait observer;
Ou, s'il vous eft permis encor de vous fauver,
L'avis de Laonice eft fans doute une adresse,
Feignant de vous fervir, elle fert fa maîtreffe.
La reine qui fur tout craint de vous voir régner,
Vous donne ces terreurs pour vous faire éloigner;
Et pour rompre un hymen qu'avec peine elle endure,
Elle en veut à vous-même imputer la rupture.
Elle obtiendra par vous le but de fes fouhaits,
Et vous accufera de violer la paix,

Et

Et le roi, plus piqué contre vous que contre elle,
Vous voyant lui porter une guerre nouvelle,
Blâmera vos frayeurs, & nos légèretés,
D'avoir ofé douter de la foi des traités;
Et peut-être preffé des guerres d'Arménie,
Vous laiffera moquée, & la reine impunie.

A ces honteux moyens gardez de recourir,
C'est ici qu'il vous faut, ou régner, ou périr.
Le ciel pour vous ailleurs n'a point fait de couronne ;
Et l'on s'en rend indigne alors qu'on l'abandonne.
RODOGUNE.

Ah! Que de vos confeils j'aimerois la vigueur,
Si nous avions la force égale à ce grand cœur !
Mais pourrons-nous braver une reine en colere,
Avec ce peu de gens que m'a laiffés mon frere ?
ORONT E.

J'aurois perdu l'efprit, fi j'ofois me vanter
Qu'avec ce peu de gens nous pûffions réfifter.
Nous mourrons à vos piéds, c'eft toute l'affiftance
Que vous peut en ces lieux offrir notre impuiffance.
Mais pouvez-vous trembler quand, dans ces mêmes
lieux,

Vous portez le grand maître & des rois, & des dieux ?
L'amour fera lui feul tout ce qu'il vous faut faire.
Faites-vous un rempart des fils contre la mere,
Ménagez bien leur flamme, ils voudront tout pour vous;
Et ces aftres naiffans font adorés de tous.
Quoique puiffe en ces lieux une reine cruelle,
Pouvant tout fur fes fils, vous y pouvez plus qu'elle,
Cependant trouvez bon qu'en ces extrémités
Je tâche à raffembler nos Parthes écartés.
Ils font peu, mais vaillans, & peuvent de fa rage
Empêcher la furprife, & le premier outrage.
Craignez moins, & fur tout, Madame, en ce grand jour,
Si vous voulez régner, faites régner l'amour.

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