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Il n'a défait Tryphon, que pour prendre fa place,
Et de dépofitaire, & de libérateur,

11 s'érige en tyran, & lâche ufurpateur.
Sa main l'en a puni, pardonnons à fon ombre,
Auffi bien en un feul voici des maux fans nombre.
Nicanor votre pere, & mon premier époux.
Mais pourquoi lui donner encor des noms fi doux,
Puifque l'ayant crû mort, il sembla ne revivre
Que pour s'en dépouiller afin de nous poursuivre ?
Paffons; je ne me puis fouvenir, fans trembler,
Du coup dont j'empêchai qu'il nous pût accabler :
Je ne fai s'il eft digne, ou d'horreur, ou d'eftime,
S'il plut aux dieux, ou non, s'il fut justice, ou
crime;

Mais foit crime, ou juftice, il eft certain, mes fils,
Que mon amour pour vous fit tout ce que je fis.
Ni celui des grandeurs, ni celui de la vie,
Ne jetta dans mon cœur cette aveugle furie.
J'étois laffe d'un trône, où d'éternels malheurs
Me combloient chaque jour de nouvelles douleurs.
Ma vie eft prefque ufée, & ce refte inutile
Chez mon frere avec vous trouvoit un fûr asyle:
Mais voir, après douze ans, & de foins, & de

maux,

Un pere vous ôter le fruit de mes travaux !
Mais voir votre couronne après lui deftinée
Aux enfans qui naîtroient d'un fecond hyménée !
A cette indignité je ne connus plus rien;
Je me crus tout permis pour garder votre bien.
Recevez donc, mes fils, de la main d'une mere
Un trône racheté par le malheur d'un pere;
Je crûs qu'il fit lui-même un crime en vous l'ôtant,
Et fi j'en ai fait un en vous le rachetant,
Daigne du jufte ciel la bonté fouveraine,
Vous en laiffant le fruit, m'en réserver la peine,
Ne lancer que fur moi les foudres mérités,
Et n'épandre fur vous que des profpérités.

ANTIOCHUS.

ANTIOCH US.

Jufques-ici, Madame, aucun ne met en doute

Les longs & grands travaux que notre amour vous coûte ;

Et nous croyons tenir des foins de cet amour

Ce doux espoir du trône, auffi bien que le jour.

Le récit nous en charme, & nous fait mieux comprendre

Quelles graces tous deux nous vous en devons rendre ;
Mais, afin qu'à jamais nous les puiffions bénir,
Epargnez le dernier à notre souvenir.

Ce font fatalités, dont l'ame embarraffée
A plus qu'elle ne veut fe voit fouvent forcée.
Sur les noires couleurs d'un fi trifte tableau
Il faut paffer l'éponge, ou tirer le rideau.
Un fils eft criminel quand il les examine,
Et, quelque fuite enfin que le ciel y deftine,
J'en rejette l'idée, & croi qu'en ces malheurs,
Le filence, ou l'oubli, nous fiéd mieux que les pleurs.
Nous attendons le fceptre avec même espérance,
Mais, fi nous l'attendons, c'eft fans impatience,
Nous pouvons, fans régner, vivre tous deux contens,
C'eft le fruit de vos foins, joäiffez-en long-tems,
Il tombera fur nous quand vous en ferez laffe,
Nous le recevrons lors de bien meilleure grace,
Et, l'accepter fi-tôt, femble nous reprocher,
De n'être revenus que pour vous l'arracher.

SELEUCU S.

J'ajoûterai, Madame, à ce qu'a dit mon frere,
Que bien qu'avec plaifir, & l'un & l'autre efpere,
L'ambition n'eft pas notre plus grand défir.
Régnez, nous le verrons tous deux avec plaifir,
Et c'eft bien la raison que pour tant de puiffance
Nous vous rendions du moins un peu d'obéiffance,
Et que celui de nous dont le ciel a fait choix,
Sous votre illuftre exemple apprenne l'art des rois.

CLEO

CLEOPATRE.

Dites tout, mes enfans. Vous fuyez la couronne,
Non que fon trop d'éclat, ou fon poids vous étonne ;
L'unique fondement de cette averfion
C'eft la honte attachée à fa poffeffion.

Elle paffe à vos yeux pour la même infamie,
S'il faut la partager avec notre ennemie ;
Et qu'un indigne hymen la faffe retomber
Sur celle qui venoit pour vous la dérober.

O nobles fentimens d'une ame généreuse!
O fils vraiment mes fils! O mere trop heureuse!
Le fort de votre pere enfin eft éclairci,
Il étoit innocent, & je puis l'être auffi ;
Il vous aima toujours, & ne fut mauvais pere,
Que charmé par la fœur, ou forcé par le frere,
Et dans cette embuscade, où fon effort fut vain,
Rodogune, mes fils, le tua par ma main.
Ainfi de cet amour la fatale puiffance,
Vous coûte votre pere, à moi mon innocence,
Et fi ma main pour vous n'avoit tout attenté,
L'effet de cet amour vous auroit tout coûté.
Ainfi vous me rendez l'innocence, & l'eftime.
Lorfque vous punirez la caufe de mon crime.
De cette même main qui vous a tout fauvé,
Dans fon fang odieux je l'aurois bien lavé,
Mais comme vous aviez votre part aux offenfes,
Je vous ai réfervé votre part aux vengeances;
Et, pour ne tenir plus en fufpens vos efprits,
Si vous voulez régner, le trône eft à ce prix.
Entre deux fils que j'aime avec même tendreffe,
Embraffer ma querelle eft le feul droit d'aînefle,
La mort de Rodogune en nommera l'aîné.

Quoi! Vous montrez tous deux un vifage étonné!
Redoutez-vous fon frere? Après la paix infame,
Que même en la jurant je déteftois dans l'ame,
J'ai fait lever des gens par des ordres fecrets,
Qu'à vous fuivre en tous lieux vous trouverez tous
prêts;

Et tandis qu'il fait tête aux princes d'Arménie,

Nous

1

Nous pouvons fans péril brifer fa tyrannie.
Qui vous fait donc pâlir à cette jufte loi?
Est-ce pitié pour elle? Eft-ce haine pour moi ?
Voulez-vous l'époufer, afin qu'elle me brave;
Et mettre mon deftin aux mains de mon esclave ?
Vous ne répondez point! Allez, enfans ingrats,
Pour qui je crus en vain conserver ces états,
J'ai fait votre oncle roi, j'en ferai bien un autre,
Et mon nom peut encore ici plus que le vôtre.
SELEUCU S.

!

Mais, Madame, voyez que pour premier exploit . . .
CLEOPATRE.

Mais que chacun de vous pense à ce qu'il me doit.
Je fai bien que le fang qu'à vos mains je demande
N'eft pas le digne effai d'une valeur bien grande,
Mais fi vous me devez, & le fcéptre, & le jour,
Ce doit être envers moi le fceau de votre amour.
Sans ce gage, ma haine à jamais s'en défie,
Ce n'est qu'en m'imitant, que l'on me justifie.
Rien ne vous fert ici de faire les furpris,
Je vous le dis encor, le trône est à ce prix.
Je puis en difpofer comme de ma conquête,
Point d'aîné, point de roi qu'en m'apportant fa tête,
Et puifque mon feul choix vous y peut élever,
Pour jouir de mon crime, il le faut achever.

SCENE IV.

SELEUCUS, ANTIOCHUS.

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SELEUCUS.

St-il une conftance à l'épreuve du foudre,
Dont ce cruel arrêt met notre efpoir en poudre ?
ANTIOCH US.

Eft-il un coup de foudre à comparer aux coups,
Que ce cruel arrêt vient de lancer sur nous?

SE

SELEUCUS.

O haines, ô fureurs dignes d'une mégére !
O femme, que je n'ofe appeler encor mere!
Après que tes forfaits ont régné pleinement,
Ne faurois-tu fouffrir qu'on régne innocemment ?
Quels attraits penses-tu qu'ait pour nous la couronne,
S'il faut qu'un crime égal par ta main nous la donne.
Et de quelles horreurs nous doit-elle combler,
Si pour monter au trône il faut te reffembler ?
ANTIOCH US.

Gardons plus de refpect aux droits de la nature,
Et n'imputons qu'au fort notre trifte avanture.
Nous le nommions cruel, mais il nous étoit doux,
Quand il ne nous donnoit à combattre que nous.
Confidens tout ensemble, & rivaux l'un de l'autre,
Nous ne concevions point de mal pareil au nôtre;
Cependant à nous voir l'un de l'autre rivaux,
Nous ne concevions pas la moitié de nos maux.
SELEUCUS.
Une douleur fi fage, & fi refpectueuse,
Ou n'eft guére fenfible, ou guére impétueufe ;
Et c'est en de tels maux avoir l'esprit bien fort,
D'en connoître la cause, & l'imputer au fort.
Pour moi, je fens les miens avec plus de foibleffe,
Plus leur cause m'est chere, & plus l'effet m'en bleffe;
Non que pour m'en venger j'ose entreprendre rien,
Je donnerois encor tout mon fang pour le fiên,
Je fais ce que je dois; mais dans cette contrainte,
Si je retiens mon bras, je laiffe aller ma plainte;
Et j'eftime qu'au point qu'elle nous á bléffés,
Qui ne fait que s'en plaindre a du respect affez.
Voyez-vous bien quel eft le miniftere infame
Qu'ofe exiger de nous la haine d'une femme ?
Voyez-vous qu'afpirant à des crimes nouveaux,
De deux princes fes fils, elle fait fes bourreaux'?
Si vous pouvez le voir, pouvez vous vous en taire ?
ANTIOCH US.
Je voi bien plus encor, je voi qu'elle eft ma mere,
Et plus je vois fon crime indigne de ce rang,

Plus

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