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On ne rencontre en lui qu'un juge inexorable
Et fon amour nouveau la veut croire coupable;
Son erreur est un crime, &, pour l'en punir mieux,
Il veut même époufer Rodogune à fes yeux,
Arracher de fon front le facré diadême,

Pour ceindre une autre tête en fa présence même;
Soit qu'ainfi fa vengeance eât plus d'indignité,
Soit qu'ainfi cet hymen eût plus d'autorité;
Et qu'il affurât mieux, par cette barbarie,
Aux enfans qui naîtroient, le trône de Syrie.
Mais tandis qu'animé de colere & d'amour
Il vient défhériter fes fils par fon retour;
Et qu'un gros escadron de Parthes pleins de joie
Conduit ces deux amans, & court comme à la proie,
La reine au défespoir de n'en rien obtenir,
Se réfout de fe perdre, ou de le prévenir.
Elle oublie un mari qui veut ceffer de l'être,
Qui ne veut plus la voir qu'en implacable maître ;
Et changeant à regret fon amour en horreur,
Elle abandonne tout à fa jufte fureur..
Elle-même leur dreffe une embûche au paffage,
Se mêle dans les coups, porte par tout fa rage,
En pouffe jufqu'au bout les furieux effets.
Que vous dirai-je, enfin? Les Parthes font défaits,
Le roi meurt, & dit-on, par la main de la reine.
Rodogune captive eft livrée à fa haine;

Tous les maux qu'un esclave endure dans les fers,
Alors fans moi, mon frere, elle les eût foufferts,
La reine, à la gêner prenant mille délices,
Ne commettoit qu'à moi l'ordre de fes fupplices;
Mais, quoique m'ordonnât cette ame toute en feu,
Je promettois beaucoup ; & j'exécutois peu.
Le Parthe cependant en jure la vengeance,
Sur nous à main armée il fond en diligence,
Nous furprend, nous affiége; & fait un tel effort,
Que la ville aux abois, on lui parle d'accord.
Il veut fermer l'oreille, enflé de l'avantage,
Mais voyant parmi nous Rodogune en ôtage,
Enfin il craint pour elle, & nous daigne écouter;

E

Et c'eft ce qu'aujourd'hui l'on doit exécuter.
La reine, de l'Egypte a rappellé nos princes,
Pour remettre à l'ainé fon trône, & fes provinces,
Rodogune a paru fortant de fa prison,

Comme un foleil levant deffus notre horifon.
Le Parthe a décampé, preffe par d'autres guerres
Contre l'Arménien qui ravage fes terres ;
I D'un ennemi cruel il s'eft fait notre appui,
La paix finit la haine; &, pour comble aujourd'hui,
Dois-je dire de bonne, ou mauvaise fortune?
Nos deux princes tous deux adorent Rodogune.
TIMAGEN E.

Si-tôt qu'ils ont paru tous deux en cette cour,
Ils ont vû Rodogune, & j'ai vû leur amour ;
Mais, comme étant rivaux nous les trouvons à plaindre,
Connoiffant leur vertu, je n'en vois rien à craindre.
Pour vous, qui gouvernez cet objet de leurs vœux...
LAONICE.

Je n'ai point encor vû qu'elle aime aucun des deux.
TIMAGENE.

Vous me trouvez mal propre à cette confidence;
Et peut-être à deffein, Je la vois qui s'avance.
Adieu. Je dois au rang qu'elle eft prête à tenir,
Du moins, la liberté de vous entretenir.

J'

SCENE VII.

RODOGUNE, LAONICE.

RODOGUNE.

E ne fai quel malheur aujourd'hui me menace,
Et coule dans ma joie une fecrette glace,

Je tremble, Laonice, & te voulois parler,
pour chaffer ma crainte, ou pour m'en confoler.
LAONICE.

Ou

Quoi, Madame, en ce jour pour vous fi plein de gloire?

RODO.

RODOGUNE.

Ce jour m'en promet tant, que j'ai peine à tout croire.
La fortune me traite avec trop de refpect;
Et le trône, & l'hymen, tout me devient fufpect.
L'hymen femble à mes yeux cacher quelque fupplice,
Le trône fous mes pas creufer un précipice,

Je voi de nouveaux fers après les miens brifés;
Et je prens tous ces biens pour des maux déguifés.
En un mot, je crains tout de l'efprit de la reine.
LAONICE.

La paix qu'elle a jurée en a calmé la haine.
RODOGUNE.

La haine entre les grands fe calme rarement,
La paix fouvent n'y fert que d'un amusement ;
Et dans l'état où j'entre, à te parler fans feinte,
Elle a lieu de me craindre, & je crains cette crainte.
Non qu'enfin je ne donne au bien des deux états,
Ce que j'ai dû de haine à de tels attentats,
J'oublie, & pleinement, toute mon avanture;
Mais une grande offenfe eft de cette nature,
Que toujours fon auteur impute à l'offenfé
Un vif reffentiment dont il le croit bleffé;
Et, quoiqu'en apparence on les réconcilie,
Il le craint, il le hait, & jamais ne s'y fie;
Et toujours alarmé de cette illufion,
Si-tôt qu'il peut le perdre, il prend l'occafion.
Telle eft pour moi la reine..

LAONICE.

Ah, Madame, je jure
Que par ce faux foupçon vous lui faites injure.
Vous devez oublier un défefpoir jaloux,
Où força fon courage un infidéle époux.
Si teinte de fon fang, & toute furieuse,
Elle vous traita lors en rivale odieufe,
L'impétuofité d'un premier mouvement
Engageoit fa vengeance à ce dur traitement ;
Il falloit un prétexte à vaincre fa colere,
Il y falloit du tems, &, pour ne vous rien taire,
Quand je me dispensois à lui mal obéïr,

Quand

Quand en votre faveur je femblois la trahir,
Peut-être qu'en fon cœur plus douce, & repentie,
Elle en diffimuloit la meilleure partie,
Que fe voyant tromper elle fermoit les
yeux;
Et qu'un peu de pitié la fatisfaifoit mieux.
A préfent que l'amour fuccéde à la colere,
Elle ne vous voit plus qu'avec des yeux de mere ;
Et, fi de cet amour je la voyois fortir,
Je jure de nouveau de vous en avertir.
Vous favez comme quoi je vous fuis toute acquife.
Le roi fouffriroit-il d'ailleurs quelque furprise ?
RODOGUNE.

Qui que ce foit des deux, qu'on couronne aujourd'hui. Elle fera fa mere ; & pourra tout fur lui.

LAONICE.

Qui que ce foit des deux, je fai qu'il vous adore ; Connoiffant leur amour pouvez-vous craindre encore? RODOGUNE.

Oui, je crains leur hymen, & d'être à l'un des deux. LAONICE.

Quoi! Sont-ils des fujets indignes de vos feux ?

RODOGUN E.

Comme ils ont même fang avec pareil mérite,
Un avantage égal pour eux me follicite;
Mais il eft mal-aifé dans cette égalité
Qu'un efprit combattu ne panche d'un côté.
Il eft des noeuds fecrets, il eft des fympathies,
Dont par le doux rapport les ames afforties
S'attachent l'une à l'autre ; & fe laiffent piquer
Par ces je ne fai quoi, qu'on ne peut expliquer.
C'eft par-là que l'un d'eux obtient la préférence,
Je croi voir l'autre encore avec indifférence;
Mais cette indifférence eft une averfion,
Lorfque je la compare avec ma paffion.
Etrange effet d'amour! Incroyable chimére!
Je voudrois être à lui, fi je n'aimois fon frere ;
Et le plus grand des maux toutefois que je crains,
C'eft que mon trifte fort me livre entre fes mains.

LAONICE.

LAONICE.

Ne pourrai-je fervir une fi belle flamme ?
RODOGUNE,

Ne crois pas en tirer le fecret de mon ame.
Quelque époux que le ciel veuille me destiner,
C'est à lui pleinement que je veux me donner.
De celui que je crains fi je fuis le partage,
Je faurai l'accepter avec même vifage,
L'hymen me le rendra précieux à son tour;
Et le devoir fera ce qu'auroit fait l'amour,
Sans crainte qu'on reproche à mon humeur forcée
Qu'un autre qu'un mari régne fur ma pensée.
LAONICE.

Vous craignez que ma foi vous l'ofe reprocher !

RODOGUN Ē.

Que ne puis-je à moi-même auffi-bien la cacher ?

LAONICE.

Quoique vous me cachiez, aifément je devine ;
Et pour vous dire enfin ce que je m'imagine,

Le prince .

...

RODOGUNE.

Garde-toi de nommer mon vainqueur,
Ma rougeur trahiroit les fecrets de mon cœur,
Et je te voudrois mal de cette violence,
Que ta dextérité feroit à mon filence.

Même de peur qu'un mot, par hazard échappé,
Te faffe voir ce cœur, & quels traits l'ont frappé,
Je romps un entretien dont la fuite me bleffe.
Adieu; mais fouviens toi que c'eft fur ta promeffe
Que mon efprit reprend quelque tranquillité.

LAONICE.
Madame, affurez-vous fur ma fidélité.

Fin du premier acte.

ACTE

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