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SCENE V.

SELEUCUS, ANTIOCH US, TIMAGENE, LAONICE.

V

SELEUCU S.

Ous puis-je en confiance expliquer ma pensée ?
ANTIOCH US.

Parlez, notre amitié par ce doute est blessée.

SELEUCUS.

Hélas! C'eft le malheur que je crains aujourd'hui,
L'égalité, mon frere, en est le ferme appui,
C'en eft le fondement, la liaison, le gage;
Et, voyant d'un côté tomber tout l'avantage,
Avec jufte raifon je crains qu'entre nous deux
L'égalité rompue en rompe les doux nœuds;
Et que ce jour fatal à l'heur de notre vie
Jette fur l'un de nous trop de honte, ou d'envie.
ANTIOCH US.
Comme nous n'avons eu jamais qu'un sentiment,
Cette peur me touchoit, mon frere, également;
Mais, fi vous le voulez, j'en fai bien le reméde.

SELEUCU S.

Si je le veux! Bien plus, je l'apporte, & vous céde
Tout ce que la couronne a de charmant en foi.
Oui, Seigneur, car je parle à préfent à mon roi,
Pour le trône cédé, cédez-moi, Rodogune;
Et je n'envierai point votre haute fortune.
Ainfi, notre deftin n'aura rien de honteux,
Airfi, notre bonheur n'aura rien de douteux;
Et nous mépriferons ce foible droit d'aîneffe,
Vous, fatisfait du trône, & moi, de la princeffe.
ANTIOCHU S.

Hélas!

G g 2

SE

SELEUCUS.
Recevez-vous l'offre avec déplaisir ?
ANTIOCH US.

Pouvez-vous nommer offre une ardeur de choifir,
Qui, de la même main qui me céde un empire,
M'arrache un bien plus grand, & le feul où j'aspire.
SELEUCU S.

Rodogune ?

ANTIOCH US.
Elle-même, ils en font les témoins.
SELEUCUS.

Quoi! L'eftimez-vous tant?

ANTIOCH US.

Quoi! L'eftimez-vous moins?
SELEUCU S.

Elle vaut bien un trône, il faut que je le die.
ANTIOCH US.

Elle vaut à mes yeux tout ce qu'en a l'Afie.

SELEUCU S.

Vous l'aimez donc, mon frere ?

ANTIOCH US.

Et vous l'aimez auffi ; C'eft-là tout mon malheur, c'est-là tout mon fouci, J'efpérois que l'éclat dont le trône fe pare Toucheroit vos defirs plus qu'un objet fi rare; Mais auffi-bien qu'à moi fon prix vous eft connu ; Et dans ce jufte choix vous m'avez prévenu. Ah, déplorable prince !

SELEUCU S.

Ah, deftin trop contraire !
ANTIOCH US.

Que ne ferois-je point contre un autre qu'un frere!
SELEUCUS.

O mon cher frere! O nom pour un rival trop doux !
Que ne ferois-je point contre un autre que vous ?

ANTIOCH US.

Où nous vas-tu réduire, amitié fraternelle ?

SELEUCUS.

Amour, qui doit ici vaincre de vous, ou d'elle ?

AN

ANTIOCH US.

L'amour, l'amour doit vaincre ; & la trifte amitié
Ne doit être à tous deux qu'un objet de pitié.
Un grand cœur céde un trône, & le céde avec gloire,
Cet effort de vertu couronne fa mémoire ;
Mais lorsqu'un digne objet a pâ nòus enflammer,
Qui le céde eft un lâche ; & ne fait pas aimer.

De tous deux Rodogune a charmé le courage,
Ceffons par trop d'amour de lui faire un outrage;
Elle doit époufer, non pas vous, non pas moi,
Mais de moi, mais de vous, quiconque fera roi:
La couronne entre nous flotte encore incertaine,
Mais fans incertitude elle doit être reine,
Cependant, aveuglés dans notre vain projet,
Nous la faifons tous deux la femme d'un sujet !
Régnons, l'ambition ne peut être que belle,
Et pour elle quittée, & reprise pour elle,
Et ce trône où tous deux nous ofions renoncer,
Souhaitons-le tous deux, afin de l'y placer.
C'eft dans notre deftin le feul confeil à prendre,
Nous pouvons nous en plaindre, & nous devons l'at-
tendre.

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SELEUCU S.

Il faut encor plus faire, il faut qu'en ce grand jour
Notre amitié triomphe auffi-bien que l'amour.

Ces deux fiéges fameux de Thebes & de Troie,
Qui mirent l'une en fang, l'autre aux flammes en proie,
N'eurent pour fondement à leurs maux infinis,
Que ceux que contre nous le fort à réunis.
Il feme entre nous deux toute la jaloufie
Qui dépeupla la Gréce, & faccagea l'Afie;
Un même efpoir du fcéptre eft permis à tous deux,
Pour la même beauté nous faifons mêmes vœux,
Thébes périt pour l'un, Troie a brûlé pour l'autre,
Tout va choir en ma main, ou tomber en la vôtre,
En vain votre amitié tâchoit à partager,
Et, fi j'ofe tout dire, un titre affez léger,
Un droit d'aîneffe obfcur, fur la foi d'une mere,
Va combler l'un de gloire, & l'autre de mifére..
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Que

Que de fujets de plainte en ce double intérêt
Aura le malheureux contre un fi foible arrêt !
Que de fources de haine! Hélas! Jugez le refte.
Craignez-en avec moi l'événement funeste,
Ou plûtôt avec moi faites un digne effort,
Pour armer votre cœur contre un fi trifte fort.
Malgré l'éclat du trône, & l'amour d'une femme,
Faifons fi bien régner l'amitié fur notre ame,
Qu'étouffant dans leur perte un regret fuborneur,
Dans le bonheur d'un frere on trouve fon bonheur.
Ainfi, ce que jadis perdit Thébes, & Troie,
Dans nos cœurs mieux unis ne verfera que joie,
Ainfi, notre amitié triomphante à fon tour,
Vaincra la jaloufie en cédant à l'amour ;
Et de notre deftin bravant l'ordre barbare,
Trouvera des douceurs aux maux qu'il nous prépare.
ANTIOCH U S.

Le pourrez-vous, mon frere?

SELEUCUS.

Ah, que vous me preffez!
Je le voudrai du moins, mon frere, & c'est affez ;
Et ma raifon fur moi gardera tant d'empire,
Que je défavouerai mon cœur, s'il en foupire.
ANTIOCH US.

J'embraffe comme vous ces nobles fentimens.
Mais allons leur donner le fecours des fermens,
Afin qu'étant témoins de l'amitié jurée,
Les dieux contre un tel coup affurent sa durée.
SELEU CU S.

Allons, allons l'étraindre au piéd de leurs autels,
Par des liens facrés, & des nœuds immortels.

SCENE

P

SCENE VI.

LAONICE, TIMAGEN E.

LAONICE.

Eut on plus dignement mériter la couronne ?
TIMA GENE.

Je ne fuis point furpris de ce qui vous étonne.
Confident de tous deux, prévoyant leur douleur,
J'ai prévû leur conftance, & j'ai plaint leur malheur.
Mais, de grace, achevez l'histoire commencée.
LAONICE.

Pour la reprendre donc où nous l'avons laiffée,
Les Parthes au combat par les nôtres forcés,
Tantôt prefque vainqueurs, tantôt prefqu'enfoncés,
Sur l'une & l'autre armée également heureuse
Virent long-tems voler la victoire douteufe ;
Mais la fortune enfin fe tourna contre nous,
Si bien qu'Antiochus percé de mille coups,
Prêt de tomber aux mains d'une troupe ennemie,
Lui voulut dérober les reftes de fa vie ;
Et préférant aux fers la gloire de périr,
Lui-même par fa main acheva de mourir.
La reine ayant appris cette trifte nouvelle,
En reçût tôt après une autre plus cruelle,
Que Nicanor vivoit, que fur un faux rapport,
De ce premier époux elle avoit crû la mort ;
Que piqué jufqu'au vif contre fon hyménée;
Son ame à l'imiter s'étoit déterminée ;

Et que, pour s'affranchir des fers de fon vainqueur,
Il alloit époufer la princeffe fa fœur.

C'eft cette Rodogune, où l'un & l'autre frere
Trouve encor les appas qu'avoit trouvés leur pere,
La reine envoie en vain pour se justifier,

fe

On a beau la défendre, on a beau le prier,

On

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